L'Etat cherchant à remplir ses caisses, c'est sans donc sans surprise qu'il a décidé ce jeudi de céder une partie des 54,5% du capital qu'il possède dans Aéroports de Paris (ADP) aux côtés du Fonds stratégique d'investissement (FSI) qui en détient 5,6%. Comme l'étaient EADS et Safran, dans lesquelles l'Etat a également cédé récemment une partie de sa participation pour au total 1,19 milliard d'euros , ADP est également bien valorisé. L'opération devrait rapporter 690 millions d'euros sur la base du cours du 29 mai.
«On voit bien qu'à part les valeurs qui touchent de près ou de loin à l'aéronautique, il n'y a pas grand-chose à vendre », explique un banquier. Thales serait également une opportunité mais la présence de Dassault à son capital rend les choses plus compliquées. Quant à EDF ou Orange, il faudrait que les cours de Bourse progressent fortement pour qu'une cession puisse être envisagée sans que le gouvernement ne soit accusé de brader.
L'Etat reste majoritaire
Dans l'opération ADP, l'Etat entend rester majoritaire. Pas sûr du coup qu'elle intéresse Vinci(qui possède déjà 3%) si l'Etat ne veut pas aller plus loin.
Mais,si la cession de 10% du capital rapporte déjà 700 millions d'euros à l'Etat, pourquoi ne pas en vendre davantage et ne pas privatiser ? Par simple refus idéologique ? Par calcul politique ? Parce que les aéroports sont, comme les ports, considérés par la quasi-totalité des Etats comme stratégiques ? La réponse est dans tout cela évidemment.
Pour privatiser il faut changer la loi
Tout d'abord, si l'Etat souhaite passer en dessous de la barre des 50%, il lui faut modifier la loi aéroportuaire de 2005, comme cela avait été le cas en 2005 pour GDF. Risqué aujourd'hui de faire passer une loi de privatisation avec la seule majorité PS (qui perd des sièges et dont la frange gauche refusera), sachant que les Verts et le Front de Gauche s'y opposeront. Un nouveau camouflet serait en effet désastreux pour l'image du gouvernement.
Sauf en cas d'affolement politique, certains observateurs ne voient pas donc d'éventuelle privatisation avant la prochaine législature, à condition que la droite revienne au pouvoir. D'autres n'excluent pas qu'une privatisation puisse être lancée d'ici à la fin du quinquennat. "C'est un gouvernement pragmatique", explique un autre analyste qui parie sur une privatisation au second semestre.
Un actif stratégique?
Mais, au-delà de ces débats, se pose la question de fond. ADP est-il un actif stratégique et à ce titre doit-il rester dans la sphère publique ? Un regard sur ce qui se pratique ailleurs dans le monde, est édifiant. Dans la quasi-totalité des pays de la planète, les aéroports sont dans le giron de l'Etat. Ils sont bel et bien considérés, en particulier les portes d'entrées internationales, comme des actifs stratégiques, indispensables à l'économie d'un pays et à son rayonnement. C'est notamment le cas aux Etats-Unis.
« Aéroports de Paris a aussi une mission d'intérêt général en participant aux côtés de l'État aux actions de sécurité, de sûreté (attentats), d'environnement et d'aménagement du territoire », expliquait en 2008, l'ancien PDG d'ADP, Pierre Graff, dans une interview à La Tribune. L'interrogation sur une privatisation porte sur deux risques : la baisse des investissements colossaux nécessaires pour ces infrastructures (15 à 20% du chiffre d'affaires en période de basse eaux), et la hausse possible du montant des différences redevances dans le but d'améliorer le retour sur investissement.
« En outre, dans le cas d'une vente à un groupe contrôlant plusieurs aéroports, la France s'expose au choix possible de l'actionnaire pour investir dans un aéroport autre que Roissy », estime le même expert. Pour autant, l'exemple britannique montre que la privatisation de BAA n'a pas entraîné de désastre pour les aéroports londoniens, dont le frein à l'investissement se situe dans le refus politique d'autoriser la construction d'une troisième piste à Londres-Heathrow.
Le risque d'une baisse des investissements et d'une hausse des prix
Pour un banquier tenant de la privatisation, «il n'y a pas de raisons de ne pas privatiser des infrastructures qui dans tout les cas sont contrôlées à travers la régulation ». Depuis 2006, l'Etat signe tous les cinq ans un contrat de régulation économique (CRE), qui fixe notamment le niveau de hausse des redevances, les investissements et les objectifs de qualité de service. Un argument que réfute un proche d'Aéroports de Paris. «On l'a vu pour les autoroutes, les prix ont augmenté. Par ailleurs, aucun investisseur ne mettra 4 milliards d'euros pour racheter ADP sans veiller au préalable à obtenir de l'Etat des CRE lui garantissant des hausses tarifaires. Et le gouvernement lâchera s'il a besoin d'argent », explique un observateur.
Dernier obstacle, et non des moindres, à une privatisation totale d'ADP : le gestionnaire des aéroports parisiens a la pleine propriété de ses actifs (pistes, tours de contrôle...), une situation assez unique. Il semble difficile pour l'Etat d'en perdre entièrement le contrôle pour des raisons stratégiques assez compréhensibles. Il faudrait donc qu'en cas de cession, il récupère une partie des actifs. " Mais il faudrait alors indemniser le million d'actionnaires qui, pourrait s'estimer spolié. C'est compliqué », explique-t-on.
Une privatisation est conciliable avec une entreprise stratégique. De nombreux cas dans le monde et en France en témoignent dans l'industrie de défense et l'énergie. Le tout est que l'Etat dispose des moyens de s'opposer à tout projet contraire aux intérêts du pays. Le meilleur moyen est le maintien d'une participation lui garantissant une minorité de blocage.
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