lundi 4 février 2013
Le travail réenchanté ?
Le travail réenchanté ?
Les années 1980-1990 résonnaient de l'annonce de la fin prochaine du travail.« C'est fini et c'est une bonne nouvelle ! », claironnait Guy Aznar, chantre de la créativité. L'Américain Jeremy Rifkin, spécialiste de la prospective, prophétisait la fin du travail, devenu, selon la sociologue Dominique Méda, « une valeur en voie de disparition » qu'elle jugeait encore urgent, dix ans plus tard, de « désenchanter ».Bref, le travail semblait en plein déclin.
Il l'était, en effet. L'emploi productif amorçait un net recul du fait des gains de productivité et de la délocalisation dans les pays à bas coûts. Le chômage explosait. Une question dominait alors : ne faut-il pas se désintoxiquer en vue de la « vraie vie » et du partage de ces emplois devenus rares ? C'était le « Travailler moins pour travailler tous » qui n'a pas tardé à buter sur l'écueil de la compensation salariale totale, exigeant de nouveaux gains de productivité, contraires à l'objectif d'embauche et désastreux pour la santé. On connaît la suite (stress, suicides...). Elle a conduit à ne plus voir que la face sombre du travail.
Mais - paradoxe - les Français ont confirmé, dans le même temps, leur attachement au travail, loin devant les autres pays. En 2009, 84 % des salariés en avaient une perception positive. Un effet de sa rareté croissante, de la peur du chômage ? Pour une part, sans doute, mais l'explication ne suffit pas.
Tout comme on ne saurait réduire le travail à sa fonction économique de pourvoyeur de revenus. C'est bien sûr important. Nombre de salariés, rencontrés par François Chérèque lors de l'enquête qui a nourri son dernier livre, avouent qu'ils « laisseraient tomber leur job fastidieux » s'il n'y avait pas cette contrepartie. Une manière de dire, a contrario, que le travail ne revêt de l'intérêt que lorsqu'il permet de se construire, voire même de s'épanouir. Il constitue donc une valeur qui ne doit pas être exagérée, comme par le passé, pas non plus être sous-estimée.
Depuis les années 2000, on peut parler de redécouverte des aspects positifs du travail. Sans nostalgie, ni moralisme bêlant. Il s'agit d'un retour, attesté par une abondante littérature, à sa dimension anthropologique. Les Français le reconnaissent comme un vecteur d'intégration sociale (« essentiel pour trouver sa place dans la société »pour 93 %), de création de lien et d'épanouissement (pour 90 %), de langage par lequel chacun exprime sa singularité dans le rapport aux hommes et aux choses.
Mais cette « positivité » impose des conditions. Je ne me réalise dans mon travail qu'à condition de pouvoir m'y reconnaître avec un minimum de fierté. Nommons cela une dimension esthétique : d'une certaine manière, mon travail est une « oeuvre », sous peine de devenir un fardeau.
Toutes les enquêtes démontrent qu'une large part de la souffrance professionnelle résulte de l'impossibilité du « travail bien fait », du fait de la pression, de la vitesse d'exécution. Combien d'employés au contact de la clientèle, d'infirmières, d'agents de Pôle Emploi le déplorent. « Vite ! ». Rarement : « Bien ! »
Voilà qui dit clairement, par le négatif, l'importance de se réaliser et de se faire reconnaître par son oeuvre. Mais la question subsiste, terrible : comment faire en sorte que le plus grand nombre accède, comme il y aspire, à ce travail épanouissant, si rude mais si bienfaisant ?
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