lundi 12 novembre 2012
Retour de Chine
Retour de Chine
Je rentre tout juste d’une semaine à Pékin et dans ses environs. La
Chine, de ce que j’en ai vu et de multiples témoignages entendus, ne
figure plus parmi les « pays émergents » mais se présente comme une
grande puissance planétaire. La capitale offre un contraste saisissant
entre la modernité poussée à son paroxysme avec un réseau autoroutier
intense, un parc automobile quasi neuf, la prolifération de
gratte-ciels, une cité ruisselante de lumières, et le respect de la
tradition qui s’exprime dans la richesse du patrimoine historique – le
Palais d’été, oasis de paix est une pure merveille – la sérénité, la
tranquillité, la simplicité populaires. Le soir en centre ville, les
Pékinois de tous les âges et toutes conditions descendent sur la voie
publique, se groupent spontanément par milliers et se livrent à des
ballets improvisés au son d’une radio. Des poches de pauvreté
subsistent dans les quartiers déshérités de banlieue mais ni la misère
ni le désœuvrement n’apparaissent. Un haut fonctionnaire du régime
m’ayant invité à dîner avec ses amis chinois m’explique : « Les
droits de l’homme? Songez qu’il y a un demi-siècle, la famine causait
dix millions de morts chaque année au point qu’on mangeait de la chair
humaine… » Aujourd’hui, il est vrai, le taux d’alphabétisation de ce
pays d’un milliard et demi d’habitants est de presque 100%.
L’électricité et l’eau courante parviennent quasiment partout, jusque
dans les campagnes les plus reculées. Une majorité de jeunes suit des
études supérieures. Les Chinois adorent discuter, échanger sur tous les
sujets. Les blogs et sites d’échange prolifèrent sur Internet, où
s’expriment les difficultés de la vie quotidienne, le chômage, la
corruption, le crime organisé, les archaïsmes persistants comme ce
passeport intérieur qui condamne une partie de la population déracinée à
l’exclusion. L’autorité du parti unique – à l’heure de son 18e
Congrès qui bat son plein - et le culte du « grand Timonier », son
créateur, conservent cependant un caractère absolument tabou,
intouchable. Un silence assourdissant pèse sur les crimes de Mao, les
soixante millions de morts du grand bond en avant, les atrocités de la
révolution culturelle et plus récemment, Tian An Men. Les dirigeants
chinois vivent en effet dans la hantise d’une déstabilisation et d’un
éclatement du pays sur le modèle de l’URSS. Cependant, toute forme
d’idéologie est morte dans ce peuple de commerçants, obnubilé par
l’attrait de la richesse, immensément fier, à juste titre, de son
identité quatre fois millénaire et de son formidable essor économique.
Le parti est un outil, un instrument de pouvoir n’ayant de
« communiste » que le nom, destiné à préserver la cohésion sociale. Et
cela, nul ne s’en cache. Naïf, j’interroge à la fin du dîner mon
interlocuteur : « Mais comment pouvez-vous vous considérer comme « communistes » avec une société aussi inégalitaire que la vôtre ? »
Le haut responsable écoute attentivement la jeune femme qui traduit,
reformulant lentement ma question. Je vois peu à peu son visage
s’illuminer, un sourire se former sur ses lèvres, qui se transforme en
hilarité. Il échange quelques mots avec ses voisins, un rire profond
secoue la table et mon nouvel ami me répond :
« Nous en Chine, nous
pensons que plus il y a de riches, moins il y a de pauvres… C’est vous
les Français qui êtes communistes, pas nous! »
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