Selon un sondage Ifop pour Paris Match,
le chef de l'Etat est crédité de 42% d'opinions favorables en novembre.
A la même période en 2007, 59% des sondés faisaient confiance à Nicolas
Sarkozy.
Six mois après son élection, François Hollande
est déjà passé sous la barre des 50% d'opinions positives. Comme Nicolas
Sarkozy, il est donc confronté à une forte impopularité. Celle-ci
est-elle de même nature ?
Jérôme Fourquet : Il faut d'abord préciser qu'à la même époque de son quinquennat, Nicolas Sarkozy était encore à 59 % d'approbation. Le décrochage de Nicolas Sarkozy est intervenu plus tard, près d'un an avant son élection,
entre décembre et janvier 2008. Durant la campagne de 2007, Nicolas
Sarkozy avait su créer de vraies espoirs et un engouement. Cela n'a pas
été le cas pour François Hollande qui a gagné grâce à son projet, mais
aussi grâce au rejet de Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, François Hollande est élu sur un programme relativement modeste et dénué de promesses.
Cela explique l'absence d'état de grâce après son élection. Les
préalables au moment de la campagne ne sont pas les mêmes. Enfin, le contexte économique et social impose à François Hollande des choix très douloureux qui expliquent son dévissage très précoce.
Aujourd'hui,
lorsque François Hollande récolte 42% d'approbation, il est approuvé
par 82% de ses électeurs du premier tour. Il récolte également 64 %
d'approbation chez les électeurs de Jean Luc Mélenchon. En revanche, il
ne récolte que 40% d'approbation dans l'électorat de François Bayrou, 6%
d'approbation dans l'électorat de Nicolas Sarkozy et 15% dans celui du
FN. François Hollande garde le soutien de son électorat naturel,
mais souffre d'une opposition virulente et massive des électeurs de
droite et d'extrême droite. On est dans la prolongation du
combat de la présidentielle. François Hollande n'a aucune clémence à
attendre du camp d'en face contrairement à Nicolas Sarkozy qui
bénéficiait d'une certaine bienveillance dans une partie de l'électorat
de gauche.
Qui sont les déçus de François Hollande ? A quelles catégories socio-économiques appartiennent-ils ?
Jérôme Fourquet :
La chute de François Hollande a été assez générale. Il chute de 21
point sur l'ensemble des Français : 22 % chez les cadres supérieurs, 20 %
chez les professions intermédiaires, 29% chez les employés et 15% chez
les ouvriers. Sa cote de popularité s'élève à 40% chez les ouvriers, 47%
chez les professions intermédiaires, 54 % chez les cadres supérieurs.
Les chiffres ne sont élevés nulle part, même si François Hollande est
plus haut dans les catégories aisés qui résistent à la crise que dans
les catégories populaires. Mais, il n'y a pas de mouvement spectaculaire
qui s'est dessiné. La baisse est étal dans pratiquement tous les
milieux professionnels.
Durant la campagne
présidentielle, François Hollande avait réussi a récupérer une partie
des classes populaires qui ces dernières années échappaient à la gauche.
Est-il en train de perdre de nouveau ces catégories qui au premier tour
s'étaient parfois tournées vers les extrêmes ?
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Plus con on ne sait pas faire.... |
Jérôme Fourquet :
François Hollande conserve une cote de popularité de 40% chez les
ouvrier ce qui correspond quasiment à la moyenne. Par ailleurs, il ne
chute que de 15 points ce qui est moins que la moyenne. Chez les
employés sa cote de popularité n'est que de 35% et sa baisse a été
beaucoup plus forte. Mais l'essentiel de la baisse n'est pas le résultat
de l'abandon de classes populaires qui avaient rejoint François
Hollande. Encore une fois, il s'agit d'une baisse générale. Les classes
populaires avaient décroché plus rapidement au début du mandat de
Nicolas Sarkozy car elles avaient beaucoup cru au discours du
"travailler plus, pour gagner plus..."
La chute de popularité de François Hollande est-elle homogène dans toutes les catégories d'âge ?
Jérôme Fourquet :
Non, il se passe clairement quelque chose en terme de génération.
François Hollande baisse de 13 points chez les 18-24 ans, 19 points sur
les 25-34 ans, 26 point sur les 36-49 ans, 27 point sur les 50-64 ans et
18 points sur les 65 ans et plus. C'est sur les tranches d'âge du
milieu, cet à dire la France active, que la baisse est particulièrement
forte. C'est aussi la population qui est en âge d'avoir des enfants et
sur laquelle les charges financières sont les plus importantes :
scolarité des enfants, emprunts immobiliers, difficultés à payer les
impôts... C'est cette tranche d'âge là qui est la plus fragilisée par la
crise. La baisse est générale, mais encore plus accentuée sur les
maillons de la population les plus exposés à la crise.
L'érosion de Nicolas Sarkozy a-t-elle été, elle
aussi, homogène dans toute les catégories de la population ou a-t-elle
été plus marquée dans certaines catégories ?
Jérôme Fourquet :
L'érosion de Nicolas Sarkozy a été assez similaire, même si les
personnes âgées l'ont soutenu plus longtemps. Le socle électoral de
Nicolas Sarkozy était majoritairement composé de 65 ans et plus tandis
que François Hollande était le candidat le populaire chez les jeunes.
Mais dans les deux cas, le maillon faible est les 35-49 ans.
Si
l'on compare l'effondrement des cotes de popularité de Nicolas Sarkozy
et de François Hollande, on s'aperçoit que les déçus de l'ancien
président de la République comme ceux du nouveau locataire de l’Élysée
appartiennent à toutes les catégories socio-économiques. Cela
signifie-t-il qu'il n' y a plus de "vote de classe" en France ? Comment
analysez-vous cette évolution ?
André Bercoff :
Cela signifie surtout que la méfiance envers les représentations
politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, ne fait qu’augmenter
à chaque élection, et ce n’est pas fini. A tort ou à raison, les citoyens pensent de moins en moins que la politique peut faire quelque chose pour eux.
La mondialisation - ses bonheurs et ses béances, la formidable poussée
des pays émergents correspondant à une Europe méridionale en peau de
chagrin - constitue désormais, n’en déplaise à Le Pen et Mélenchon,
l’horizon apparemment indépassable de notre temps. Jusqu’à preuve (pas
évidente) du contraire… Par ailleurs, le fait que François
Hollande, de façon relativement courageuse, détricote en six mois une
bonne moitié de ses promesses électorales, achève un tableau dans lequel
l’économie et la finance jouent de plus en plus les marionnettistes
vedettes. Qui peut en vouloir aux précaires comme aux protégés, dans ces conditions, de carburer au pessimisme plus ou moins résigné ?
Thomas Guénolé : Pas exactement. Il existe en temps normal, non pas un vote de classe mais un vote de catégories socio-professionnelles.
Cependant, en situation de crise, les déceptions s'accumulent, et la
défiance par rapport aux hommes politiques s'accélère. La fidélité de
l'électorat-socle s'érode.
Circonstance
aggravante, les remèdes utilisés pour l'instant par la droite puis par
la gauche sont fondamentalement les mêmes: politique d'austérité et
augmentation des prélèvements obligatoires. Des options par définition
impopulaire pour les personnes qui sont touchées. Or si la droite
touchait quasiment toutes les catégories sociales dans son augmentation
des prélèvement obligatoires, la gauche a d'abord mis en place une
première vague de prélèvements obligatoires qui touchait plutôt les
tranches supérieures mais est en train de mettre en place une seconde
vague qui touchera également les catégories "inférieures" en terme de
revenus.
Autre élément qui génère de
l'anxiété et de la frustration : la société française dans son ensemble
est beaucoup mieux informée et éduquée qu'autrefois sur les ressorts et
les rouages de la crise qui nous frappe, ainsi que sur les
raisons de notre déclin économique et géopolitique. Les Français
comprennent de plus en plus clairement que les hommes politiques ont de
moins de pouvoir et de marges de manœuvre, principalement du fait de
l'internationalisation des finances, des flux économiques en général et
des flux de main d'œuvre. Il y a une frustration des électeurs face à
l'impuissance croissante du pouvoir politique. Dans ce contexte, il y a
une crise de confiance vis-à-vis des hommes politiques et des partis
politiques en général, qu'on observe à travers le baromètre fin
2011-début 2012 de la confiance du CEVIPOF.
Comme
Nicolas Sarkozy, François Hollande est touché de plein fouet par la
crise économique qui se transforme en crise du politique. Avec une
circonstance aggravante : un sentiment de flottement et d'amateurisme
dans le pilotage du gouvernement. C'est humain car la plupart des
membres du gouvernement sont des débutants en tant que ministre, y
compris le premier d'entre eux ainsi que le président lui-même. Mais
dans des circonstances de crise qui s'aggrave, cette impression de flou
aliment encore plus la machine à impopularité.
Dans
ce contexte, deux éléments sont très dangereux. On observe des
porosités croissante entre la droite et l'extrême droite d'une part et
entre la gauche et l'extrême gauche d'autre part. Dans la dernière
semaine avant le premier tour, OpinionWay avait souligné que 10 points
de l'électorat avait hésité entre Jean-Luc Mélenchon et François
Hollande. A la dernière minutes, ils ont voté François Hollande par vote
utile et non par adhésion. Si ces électeurs étaient restés sur leur
choix initial, Jean-Luc Mélenchon faisait 21% au premier tour. On a
assisté au même phénomène de monter des extrêmes dans les années 30. Il y
a donc un vrai danger de tectonique des plaques électorales. D'autant
plus qu'il y a une conjonction de crises qui frappent la France en même
temps. Nous traversons une crise économique et financière, mais aussi
une crise démographique. On s'est endetté et sur-endetté pour maintenir
le niveau de vie collectif au fur et à mesure que nos gains de
productivité des trente glorieuses étaient déclinants, puis absent. Dans
le même temps, on n' a pas investi dans la modernisation de notre
appareil productif, dans la modernisation de nos ressources humaines par
la formation, et on n'a de moins en moins investi dans l'innovation. La
facture c'est maintenant !
A la fin de son mandat, Nicolas Sarkozy était
impopulaire dans toutes les catégories socio-économiques, mais résistait
chez les personnes âgées (65 ans et plus). A l'inverse, François
Hollande était le candidat le plus populaire chez les jeunes et
s'effondre désormais plus rapidement chez les 50-64 ans. Le véritable
clivage politique en France aujourd'hui est-il générationnel ?
André Bercoff :
Non, il est fiscal. A partir du moment où il a été démontré au peuple
l’immensité de la dette, le brouillard sur les retraites et la sécurité
sociale, comme la panne de l’ascenseur social, ne restait plus, aux
gouvernants de droite et de gauche qui pratiquèrent pendant plus de
trente ans le « courage, fuyons », qu’à tendre l’addition. En continuant
la fable des riches qui vont payer - alors qu’ils s’exilent - et de
tous les autres qui seraient épargnés – alors qu’ils reçoivent leur
première feuille de paye déjà amputée, le malaise ne peut que
s’aggraver. Si nos gouvernants – à l’échelle nationale et
locale – ne donnent pas immédiatement l’exemple en taillant hardiment
dans les dépenses publiques, qu’ils ne s’étonnent pas des prochains
retours de bâton.
Thomas Guénolé : C'est un non-dit total du débat politique, mais il existe une guerre de génération dans ce pays.
La génération des baby-boomers et la génération qui est quinquagénaire
et sexagénaire aujourd'hui, ont sacrifié purement et simplement les
quadragénaire, les trentenaires et bien sûr " les vingtenaires". Olivier Ferrand avait développé une analyse très constante sur ce thème qui montrait que notre système économique, politique et social est construit entièrement au bénéfice de l'âge croissant.
Un exemple : nous sommes l'un des rares pays où pour toucher les
minimas sociaux, il y a une condition d'âge. On est un pays où la
promotion se fait à l'ancienneté et où les différentes réformes qui sont
faites frappent beaucoup plus les durement les jeunes et beaucoup moins
durement "les vieux". Il n'est pas exclu que le clivage générationnel
devienne de plus en plus explicite et c'est un vrai danger pour la
cohésion de notre société.
En situation de crise,
le réflexe rationnel serait de poser le diagnostic et de régler le
problème calmement par la concertation. Mais la réaction humaine est de
chercher un coupable qui ne soit pas "moi" et d'exiger qu'il paie :
l'immigré, le riche, le vieux ou le jeune selon le camp où vous vous
trouvez. En situation de crise, le gâteau qu'on a à se partager
rétrécit. Il s'agit maintenant de réajuster les parts. La question
fondamentale du débat politique contemporain est de savoir : "qui va
avoir moins et à quel point ?". Il n' y a malheureusement aucune chance
que la facture soit répartie équitablement.
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