« L'illusion du parti unique, qui tentait de rassembler la droite
décomplexée, la droite modérée et le centre-droit ne tient plus. Il y a
un problème de cohérence idéologique. » DansLe Monde cette semaine,
Jean-Louis Borloo s'est montré cinglant. Espérant sûrement, au passage,
bénéficier de quelques défections... Alain Juppé s'est montré tout aussi
catégorique : « Ce qui est en cause aujourd'hui, ce n'est pas la
présidence de l'UMP, c'est l'existence de l'UMP. » Vouloir construire,
en 2002, un parti unique, qui réunirait sous un même toit des
sensibilités différentes, était-ce utopique ? «On peut s'interroger sur
l'existence d'un tel parti , affirme le conférencier Francis Duhem,
agrégé d'histoire, ancien professeur en khâgne à Lille.
Avec
l'UMP, ils ont voulu dépasser le RPR en partant d'un noyau dur gaulliste
et en ajoutant un certain nombre de sensibilités pour en faire un grand
parti de droite. » Qui semble atteindre ses limites aujourd'hui :
«C'était prévisible quand on a deux personnes à ce point antithétiques :
tout les oppose ! » Selon la célèbre classification de René Rémond des
droites en France (lire ci-dessous ), Jean-François Copé pourrait
illustrer la droite bonapartiste, autoritaire, quand François Fillon est
davantage dans la lignée libérale, orléaniste. Des tendances qui ont
toujours cohabité au sein des partis de droite, qui se revendiquaient du
gaullisme. La phrase de Malraux prend là tout son sens : «Le gaullisme,
c'est le métro à 18 h », la société dans toute sa diversité, jusqu'à la
gauche.
L'UMP en étau
Mais le
gaullisme semble avoir vécu (lire par ailleurs ) : «Il a eu ses grandes
heures sous De Gaulle, puis certains, dont Chirac, ont tenté
d'entretenir la tradition , souligne Francis Duhem.Mais quand les
politiques ne connaissent plus le gaullisme que par ouï-dire, la
référence ne peut plus être ce qu'elle a été jusque dans les années 80. »
Les dernières figures tutellaires de la droite, Chirac et Sarkozy, sont
parvenues, peu ou prou, à assurer un consensus autour de leur personne.
Mais
depuis que la succession est ouverte à l'UMP, la bataille fait rage.
D'autant que le principal parti d'opposition se retrouve aujourd'hui
pris en étau entre le Front national et l'UDI de Borloo. Vers quel côté
basculer ? Les deux courants à l'oeuvre aujourd'hui sont-ils de nouveau
conciliables ? Avec une image simple mais révélatrice, Francis Duhem
livre la tendance qui semble se dégager depuis ces derniers jours :
«Quand on casse un vase, on a beau recoller les morceaux, on voit
toujours qu'il a été cassé. »
Des courants contraires
Dimanche,
les militants étaient aussi invités à voter pour les « courants » au
sein du parti. C'est la première fois que l'UMP officialise l'existence
de mouvements en son sein.
Est arrivé en tête (27,8 %), la
Droite forte, emmenée par les sarko-copéistes Guillaume Peltier,
Geoffroy Didier et Camille Bedin. Juste devant la Droite sociale du
filloniste Laurent Wauquiez (21,7 %) qui avait fait campagne pour les
classes moyennes et contre l'assistanat ; puis France moderne et
humaniste, emmené par Raffarin, Chatel et Leonéti (18,1 %) ; les
Gaullistes (12,3 %) ; la Droite populaire de Thierry Mariani (10,8 %),
très à droite sur les questions d'immigration et de la sécurité, mais
concurrencée par la Droite forte. Après coup, on ne s'étonne pas que La
Boîte à idées des « anti-divisions », Juppé et Balladur, n'ait fait que
9,2 % des voix, en dessous des 10 %, le seuil pour être reconnu
officiellement...
Les précédents duels à droite
Chaban-Delmas - Chirac. Deux
jours seulement après la mort de Pompidou, en 1974, Jacques
Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, annonce sa candidature. L'ancien
Premier ministre gaulliste voit se dresser contre lui le ministre des
Finances, Valéry Giscard d'Estaing. Dans cette primaire, Jacques Chirac
fait un choix risqué en faveur de VGE. Il lance « l'appel des 43 »,
opération de défection de parlementaires gaullistes visant à imposer les
pompidoliens comme partenaires privilégiés du futur président Giscard
d'Estaing. Chirac est nommé Premier ministre.
Chirac - Giscard d'Estaing.
La période 1974-76, entre VGE président et Chirac Premier ministre, se
déroule plutôt mal. De nombreuses anecdotes circulent sur leurs rapports
glacés. Chirac claque la porte, affirmant ne pas disposer des moyens
nécessaires «pour assurer efficacement ses fonctions ». Plus tard, VGE
en veut à Jacques Chirac de l'avoir «trahi» à la présidentielle de 1981 :
VGE raconte comment il a appelé la permanence de Chirac, en posant un
mouchoir sur le combiné. On lui a répondu qu'il ne fallait pas voter
Giscard, mais Mitterrand.
Chirac - Balladur.
1993 : la droite gagne les législatives. Matignon est promis à Jacques
Chirac, président du RPR. Mais il garde un mauvais souvenir de sa
cohabitation avec Mitterrand (1986-88) et a en vue la présidentielle de
1995. Il laisse la place à Édouard Balladur, «un ami de 30 ans ». Mais,
en 1995, Balladur, conforté par les sondages, se porte candidat :
celui-ci rallie la quasi-majorité de l'UDF et de ses ministres RPR.
Chirac s'assure le contrôle de la machine RPR. Sarkozy appelle Chirac à
se retirer mais celui-ci renverse la situation en sa faveur.
De Villepin - Sarkozy.
Ennemi juré de Nicolas Sarkozy, qu'il surnomme «le nain », Dominique de
Villepin, Premier ministre, rêve de lui barrer la route de l'Elysée en
2007. Mais la crise du Contrat première embauche et l'affaire
Clearstream l'ont affaibli. On prête à Sarkozy d'avoir «promis de pendre
à un croc de boucher » son rival. La victoire de celui-ci en 2007 ne
met pas un terme à leur affrontement. Après sa relaxe au procès
Clearstream, De Villepin reprend son combat. En 2012, il n'est
politiquement pas en mesure de se présenter mais se prononce contre
Sarkozy.
L'UDI de Borloo et le Front national vainqueurs
Dimanche,
l'UMP devait élire son président, un nouveau leader. Elle se retrouve
avec deux perdants. Mais la guerre des chefs à l'UMP n'est pas perdue
pour tout le monde.
Jeudi matin, sur France Info, Jean-Louis
Borloo assure que sa toute jeune Union des démocrates et indépendants
(UDI) a enregistré « plus de 1 200 adhésions » dans la nuit de mercredi
à jeudi, par Internet. Et de répéter à l'envi : « La véritable force
d'alternance, la véritable opposition, sereine, tranquille, tolérante et
ouverte, c'est l'UDI ». En début de semaine, ce parti a d'ailleurs
accueilli une figure de l'UMP, Pierre Méhaignerie, ancien ministre
centriste de la Justice, celui-ci promettant que d'autres allaient
suivre dans les semaines à venir. Info ou intox, Jean-François Copé ne
se dit pas inquiet « d'une possible hémorragie ». « Ce sont des
opérations ponctuelles », a commenté Jean-Pierre Raffarin. N'empêche,
Copé a quand même cru bon de prévenir qu'il ne « laisserait pas refaire
d'UDF » avec l'UDI de Borloo : « Je n'accepterai pas que l'UMP soit
explosée au motif que Jean-Louis Borloo vient débaucher individuellement
tel ou tel. » Au Front national, on se frotte également les mains de
ces bisbilles. Le score de Copé, c'est d'abord la preuve d'un
déplacement du curseur des militants de droite... vers la droite. Et,
comme ce 50-50 n'assure pas, quelle que soit l'issue, les coudées
franches à Jean-François Copé, comment imaginer que les électeurs ne
choisissent pas finalement l'original : Marine Le Pen. D'ailleurs, c'est
Copé qui avait la préférence de Marine Le Pen. Pour lever « l'imposture
» : « Comment peut-on aller sur les thèmes du Front national et en
même temps indiquer que le FN, c'est le diable ? » Seule inquiétude du
FN, que cette guerre fratricide ne ramène Nicolas Sarkozy dans
l'échiquier et que celui-ci, pour le coup, ne rallie les électeurs
égarés à sa cause.
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