mardi 30 octobre 2012
«Taxe Google: c’est la liberté de la presse qu'on assassine»
«Taxe Google: c’est la liberté de la presse qu'on assassine»
Alors qu’Eric Schmidt, le président exécutif de Google, va être
reçu lundi 29 octobre par François Hollande, Olivia Phélip, directrice
de la rédaction de JOL Press, adresse une lettre ouverte au gouvernement
au sujet du dossier qui oppose le célèbre moteur de recherche aux
éditeurs de presse. Selon elle, le projet d’une éventuelle taxation des
contenus référencés sur Google au profit des éditeurs, ne servira qu’à
accroître le pouvoir des grands groupes et portera atteinte à la liberté
de la presse.
En recevant aujourd'hui Eric Schmidt, le président exécutif de Google,
vous vous engagez dans une bataille dont nous pensons qu’elle pourrait
aboutir au but inverse que celui que vous pensez atteindre.
En effet, vous prenez acte que la guerre est déclarée entre les éditeurs de presse et le géant Google. Au départ, il y a une situation de fait : Google référence les liens des articles publiés
par les médias en ligne, ce qui permet aux internautes de chercher à
partir d’une requête les articles qui correspondent le mieux à leur
recherche. Le réflexe est donc devenu courant chez les consommateurs
d’information de rechercher leurs lectures, non pas par le titre
de presse qui produit les contenus, mais par l’article référencé par
Google notamment.
Se souvenant peut-être des éditeurs de livres qui s’étaient attaqués à Google, afin de lui interdire de reproduire le contenu des livres dont ils possédaient les droits, les éditeurs de presse allemands, français et maintenant italiens, se sont unis pour faire pression sur Google, afin d'exiger que celui-ci les rémunère, sur la base des contenus référencés. En oubliant au passage, qu’ici, la situation est bien différente, car si d’un côté Google référence les titres des articles, il renvoie vers leur site initial et contribue donc à leur audience. Donc selon nous, le
partage est équitable : Google bénéficie de la publicité qui accompagne
sa sélection de liens dans la partie des requêtes générales (il n'y a
pas de publicité sur Google Actualités), quand les médias, eux, vivent
de la publicité générée par les renvois de liens, d'où qu'ils
proviennent.
Or, vous êtes-vous demandé pourquoi ces éditeurs s’unissaient ainsi ? Le lobby des éditeurs de presse, représenté majoritairement par de grands groupes
a fait pression sur vous au nom de la défense des intérêts de sa
corporation, tout en prétendant défendre les contenus d’information. Ce lobby se permet même de parler aussi au nom des petits pure players
(médias d’informations n’existant que sur Internet), sans jamais les
avoir consultés et sans chercher à comprendre leur intérêt.
Dans ce climat délétère qui semble diaboliser le moteur de recherche
en le présentant comme un « pilleur de contenus », nous ne pouvons
rester silencieux. Car, selon nous, Google est au contraire le meilleur défenseur de la presse et des journalistes.
En effet, un site comme le nôtre, indépendant de tout groupe de presse,
qui s’est lancé il y a un an sans budget et sans notoriété, n’a pu
exister que grâce à Google. Car à partir du moment où Google nous a sélectionnés pour faire partie de Google Actualités, notre audience est montée en flèche. En ce sens, Google est donc un formidable levier pour la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes.
C’est donc exactement l’inverse de ce que prétendent les éditeurs de
presse. Leur volonté d’exiger un paiement de leurs contenus est injustifiée et contrairement à ce qu'ils prétendent, une atteinte à la liberté de diffuser l'information.
Injustifiée, car le travail de référencement que fait Google
est un vrai service qui n'est pas payant et comme chaque lien renvoie
vers le site initial, il sert en vérité son audience qui, elle-même,
permet aux éditeurs de bénéficier de leurs revenus publicitaires.
Une atteinte à la liberté de l’information, car c’est Google qui a permis à des pure players d’exister.
En cherchant à s'unir contre Google, les éditeurs de presse souhaitent surtout défendre leur corporation contre les petits, car les petits contribuent à l’érosion de leur audience et ne pourraient exister sans Google. En prétendant défendre les journalistes, ils défendent avant tout leurs intérêts.
Le vrai sujet est économique. Comme l’explique très bien Fabrice Boé, ancien PDG de Prisma Presse, dans sa dernière tribune sur JOL Press,
là où les pure players ont su générer une valeur avec la publicité,
des coûts de production optimisés et des activités de service, les groupes de presse ont des difficultés à rentabiliser leurs sites web, et à réussir la mutation de leur modèle papier. Quand on sait que Newsweek a décidé de passer au tout numérique à partir du début 2013, on comprend l’enjeu du déploiement de la presse sur le web.
L'époque où les éditeurs regroupés en quelques grands groupes ont
dominé la presse en kiosque depuis les années 60 est révolue et le web a
redéfini le champ de diffusion de l’information dans un monde ouvert et
libre.
Alors il est facile de désigner un bouc émissaire pour tenter de régler les problèmes de trésorerie et de chercher des sources financières alternatives. Et bien tentant de se débarrasser de quelques sites qui dérangent, et d’imposer un paysage numérique maîtrisé, réservé à un club trié sur le volet, protégeant ses privilèges.
Avez-vous imaginé concrètement les conséquences d’une loi pour taxer Google ?
Google vous a adressé récemment une note blanche annonçant qu’il déréférencerait tous les contenus français, italiens et allemands si ceux-ci devenaient payants. Dans une telle situation, ce sont tous les sites dépendants de l’audience que leur rapporte Google qui disparaîtraient, tout comme les emplois des rédacteurs concernés.
Nous avons lu sur le site du Nouvel Observateur, que, selon Nathalie Colin, présidente de l’IPG, (l’association qui regroupe la presse française) et co-présidente du Nouvel Observateur, la taxe permettrait à la presse « d'entrer dans un cercle vertueux où chaque média aurait l'assurance d'être rémunéré pour la production d'articles ». Et « avec
un droit voisin numérique, des pure players pourraient être lancés avec
peu de moyens, mais des contenus de qualité. Cela apporterait un réel
pluralisme à la presse en ligne ». Mais ceci est illusoire. Il est abusif que soudain l'IPG prétende agir aussi dans l'intérêt des pure players, et tout autant abusif que seuls les tenants de l’IPG aient été consultés et aient participé au projet de loi en préparation au ministère de la Culture. La vérité est que le seul exemple de taxe Google se situe au Brésil
et que cela s’est traduit par une régression de la presse et une crise
grave pour les sites indépendants. Nous avons donc toutes les raisons
d'être très inquiets.
Selon nous, un tel texte ferait subir à de petits sites d’informations comme le nôtre, une double peine, car non seulement, comme nous ne faisons pas partie des corporations de la presse, nous ne bénéficions d’aucune subvention, mais en plus, nous perdrions notre unique vitrine de diffusion.
Il est étonnant qu’un gouvernement socialiste qui prétende être
attaché à la liberté d’expression se soit laissé influencer
exclusivement par les géants de la presse, plutôt que de replacer la
question dans un contexte plus large en pensant à la défense des petits, et donc, paradoxalement, d'un géant comme Google qui est le meilleur garant de leur impunité.
En menaçant Google, c’est en réalité notre profession qu’on risque d’assassiner, car ce sont tous les journalistes et les sites indépendants qui seront amenés à être en difficulté. C’est aussi ce formidable pluralisme de l’information qui a vu le jour grâce au remarquable travail de référencement de Google, qui sera attaqué.
Voilà pourquoi, au nom de tous les sites d’information indépendants comme le nôtre, nous souhaitons non seulement exprimer notre gratitude vis-à-vis de Google sans qui nous n’existerions pas, mais aussi vous
demander de ne pas poursuivre dans une voie dogmatique et théorique qui
risque de causer beaucoup de tort à notre profession et finalement aux
consommateurs d’information.
Par conséquent, nous vous demandons, soit d’annuler ce projet de taxe
qui nous semble très dangereux, soit, si vous souhaitez ouvrir les
négociations, d'accepter de laisser les médias eux-mêmes libres de décider s’ils veulent ou non faire partie du champ de la loi. Car en ce qui nous concerne, nous souhaitons conserver nos conditions actuelles de référencement sur Google et ne souhaitons pas les voir remises en cause.
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