Les investisseurs, qui spéculent sur une explosion de l'euro et
un retour du Deutsche Mark, achètent des obligations allemandes, même si
les rendements sont négatifs. Les articles qui envisagent une explosion
de l'eurozone se multiplient dans la presse européenne.
Un des vrais problèmes du suivi de la crise de la zone euro est que
la couverture faite par les médias vient des journalistes économiques.
Immanquablement, cela signifie que les questions politiques brûlantes
sont rapportées par des gens qui sont parmi les moins compétents pour
les comprendre. De toutes façons, ils montrent avoir peu de capacités à
comprendre leur propre spécialité. J’en veux pour preuve la fréquente
sur-interprétation des mouvements de marché à moyen terme. Les
commentateurs suggèrent régulièrement que ces mouvements de marché ont
beaucoup plus d’importance qu’ils en ont réellement.
Ainsi en a-t-il été pour l’article
concernant l’augmentation de toutes les bourses, et la hausse de la
valeur de l’euro par rapport au dollar avant-hier – largement
interprétées par les médias comme une réponse à l’attente vis-à-vis de
la Banque Centrale Européenne de commencer à acheter des obligations
espagnoles et italiennes. Il y a peut-être quelques opérateurs de marché
qui y croient. Mais il faut bien garder en mémoire que la
quasi-totalité des opérations de marchés sont dorénavant automatisées
par ordinateur, sans aucune intervention humaine. Lors de la période
estivale relativement calme, ils peuvent conduire le marché, réduisant
toute tentative d’analyse à un avis insignifiant.
Le marché est bien sûr une machine à faire des profits. Ainsi, il est
stérile d’utiliser les fluctuations à court terme comme une source
d’intelligence politique. Seulement une certaine crédulité et une propension à encourager les comportements délirants peuvent tirer des conclusions de la plupart de ces données.
Pour une analyse sur le long terme de l’euro plus mûrement réfléchie, nous devrions nous référer à une étude menée par la Commerzbank, qui a conclu que l’euro est condamné à s’affaiblir. Un article récent du Spiegel explique aussi que des investisseurs se préparent à un effondrement de l’euro. De plus, un article important de Die Welt
nous donne une bonne indication des sentiments réels du marché. Il y
est écrit que les spéculateurs parient sur un retour du Deutsche Mark.
C’est une interprétation de la volonté des investisseurs qui achètent
des obligations allemandes, même si pour quelque temps il n’y a
virtuellement pas de rendement. Récemment certaines obligations ont même
eu un rendement négatif. Il faut donc payer le gouvernement allemand
pour lui prêter de l’argent. En effet, les investisseurs s’attendent à
être compensés [NdT : sur leurs pertes de rendement] par des gains
massifs sur les opérations de change quand l’euro explosera. Avec les
titres possédés suite aux appréciations du Deutschemark, tout pourrait
s’acheter pour une bouchée de pain. Des difficultés à exporter
pourraient toutefois compenser la possibilité d’acheter des actifs
bradés à l’étranger.
C’est peut-être pourquoi, une fois encore, nous entendons des discussions sur un “Plan Marshall” pour la Grèce, comme celui qui a été discuté en Février dernier.
Essentiellement, nous allons voir que l’Allemagne va acheter tous les
intérêts de la Grèce en euros. Une somme de 90 milliards d’euros a été
mentionnée – une petite somme comparée au millier de milliards d’euros
que l’Allemagne devrait supporter autrement, et il ne faut pas oublier
le potentiel de profit. Tout ce que le gouvernement a à faire, dit Handelsblatt,
est de dire clairement qu’il refusera toute aide supplémentaire à la
Grèce - ce qui conduirait en fait à la sortie d’Athènes de la zone euro –
non pas en vue de poursuivre une stratégie de "renationalisation" de
l’Europe mais pour sauver l’euro et rendre l’Europe crédible à nouveau.
Avec cela, après le silence relatif des médias internationaux, nous
atteignons le point de saturation pour la parution d’articles
d’analyses. Même le Figaro
nous en fait les honneurs et discute des perspectives pour l’euro.
Partout à travers l’Europe, et même en Allemagne, il se dit, qu’il y a
“une confirmation implicite que l’Europe prépare un plan B dans le cas
d’une sortie de la Grèce de la zone euro”.
Les Italiens s’y mettent aussi, avec le commentaire du Corriere della Sera
se réjouissant de la nouvelle suivante : l’agence de notation Moody’s
pense que la crise sera terminée en Italie d’ici à 2013. Les pays comme
la Grèce et l’Irlande devraient prendre jusqu’en 2016 pour compléter
leurs programmes d’assainissement budgétaire, disent les agences. Mais
l’Italie, l’Espagne et le Portugal seraient capables de sortir de
l’ornière après 2013, s’ils sont capables d’appliquer complètement les
réformes adoptées jusqu’ici.
La presse italienne est tout spécialement intéressante puisque La Republica et la Stampa contredisent l’affirmation d'Ambrose Evans-Pritchard [1] selon laquelle l’Allemagne a acheté tout un lot d’obligations de la BCE. La Stampa dit en fait qu’à la fois "Berlin et la Bundesbank" s’opposent à la BCE.
Incidemment, nous apprenons que le Failygraph a offert deux
versions de ses gros titres pour l'article d’Ambrose. Sur le Web,
c’était : "L’Allemagne soutient le plan obligataire de Draghi contre la
Bundesbank", mais la version papier est devenue : "Le responsable de
l’Allemagne à la BCE soutient le plan obligataire". Plus clair, Faz
a intitulé : "La BCE et la Bundesbank en plein mélodrame." De son côté,
Lüder Gerken, président du Centre de Fribourg pour la Politique
Européenne, est peut-être le plus franc à propos de la BCE. Le plan ne
vise en aucun cas la sortie de la crise de la dette, dit-il. Il ne peut
pas résoudre les problèmes ayant amené à la crise de l’euro, ou
rééquilibrer la crise des balances de paiement. La BCE est maintenant
dans une impasse, ajoute-t-il.
Nous avons évoqué tous les points de vue, et pourtant la quantité des commentaires ne diminue pas. Les autres commentateurs
comme Martin Walser – qui voit l’explosion de l’euro comme un ‘scénario
cauchemardesque’ – ont très peu de chose de neuf à offrir.
Effectivement, nous sommes de retour là où nous en étions avec l’article de Booker, avec Handelsblatt nous expliquant
que "la Grèce est à la merci des politiciens allemands", ensuite
décrivant l’ "automne chaud" du sauveur de l’euro. Ce dont nous avons
réellement besoin nous dit Frank Schäffler,
ce sont des règles pour les retraits et les expulsions de la zone euro.
Beaucoup de gens sont d’accord avec lui. Si ces règles étaient déjà en
place, la Grèce serait déjà en train de vendre des séjours de vacances
en drachmes.
vendredi 24 août 2012
Les spéculateurs parient sur un retour du Deutsche Mark
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