lundi 13 août 2012
Indispensable poésie
« Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne sais pas à quoi. » Peu
de gens partagent aujourd'hui la conviction de Jean Cocteau. Moins de
1 % de la population lit, de temps à autre, les poèmes d'auteurs connus
ou moins connus, si nombreux dans ce dernier cas. Car on écrit encore
beaucoup de poésie, souvent publiée par de petits éditeurs courageux.
Une illustration : l'anthologie de Charles Le Quintrec, Poètes de Bretagne du XXe siècle, ne comporte pas moins de 70 noms.
Pourquoi donc ce désintérêt ? Une première raison vient à l'esprit :
l'allure parfaitement gratuite de ce jeu avec et sur les mots, les
rimes, les harmonies subtiles... Un jeu réservé, croit-on, à des
personnes de sensibilité exacerbée, à fleur de peau, des écorchés à
l'écoute d'états d'âme raffinés, déchiffrés avec complaisance et
transmis dans un langage énigmatique. « Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose... » (Ronsard), « Mon enfant, ma soeur, songe à la douceur... » (Baudelaire), « C'est un trou de verdure où chante une rivière... » (Rimbaud), « Solitude au grand coeur encombré par les glaces... » (Supervielle).
Tout cela est bien gentil, dit-on, mais il y a tout de même mieux à
faire ! Nous sommes des gens sérieux qui n'avons pas de temps à perdre
avec ces enfantillages ! Sous le rapport de l'utilité, il est vrai que
la poésie ne pèse pas plus lourd que le chant des oiseaux, le parfum des
fleurs ou un paysage sublime. Mais sans eux, la vie deviendrait
instantanément asphyxiante. Et puisqu'il est question d'« utilité »,
faut-il rappeler que de très grands poètes (Hugo, Garcia Lorca, Char,
Neruda, Césaire et tant d'autres) ont joué un rôle dans l'histoire ?
Il y a une seconde raison, sur laquelle a souvent insisté le poète et traducteur Yves Bonnefoy : la prolifération des images. « Le jeune professeur pourra-t-il élever en silence, chez ses élèves, l'épi de blé du langage ? »
La saturation visuelle rend cette tâche de plus en plus délicate. Car
qu'est-ce que la poésie sinon un jeu miroitant d'images, de métaphores
visant à signifier ce que le langage ordinaire ne parvient pas à
exprimer dans l'ordre des sentiments ou des réalités cachées ?
La force du symbole est de faire signe vers un au-delà des mots,
alors que l'image semble se suffire à elle-même. L'un évoque, l'autre
montre. C'est toute la différence qui, par ailleurs, oppose érotisme et
pornographie. Le problème est que nous sommes de plus en plus
positivistes : nous ne jugeons digne d'intérêt que ce qui se voit et se
maîtrise. Foin des symboles !
Or, « nous ne sommes pas les maîtres », n'a cessé de répéter le poète grec Georges Haldas, selon qui « l'état de poésie » suppose une forme de lâcher prise :
« Pour que l'émotion poétique se produise, il faut être en état de
constante disponibilité... faire le vide en soi et recevoir ce que la
réalité fait surgir en nous. » Bref, accueillir et cueillir la
beauté du monde, dans le silence, envers et contre tout et, s'il le
faut, au prix de l'incompréhension car, comme le dit si bien Baudelaire
dans L'albatros : « Le poète est semblable au prince des
nuées/Qui hante la tempête et se rit de l'archer/Exilé sur le sol au
milieu des huées/Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. »
Mais, sans lui, que le monde est triste et irrespirable !
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