jeudi 9 août 2012
Contrairement à ce que pense Christiane Taubira, c'est l'absence de peine, pas les courtes peines, qui crée de la récidive
Interviewée par Libération, Christiane
Taubira se prononce contre les peines planchers, contre les courtes
peines, contre les centres éducatifs fermés... Ne devrait-elle pas
d'abord faire en sorte que les peines prononcées par les magistrats
soient appliquées ?
Xavier Bebin :
Christiane Taubira se trompe complètement de combat : ce qui produit la
récidive, ce ne sont pas les courtes peines, ce sont les 80 000 peines
de prison toujours en attente d'exécution, faute de places de prison.
Cela devrait être sa priorité, surtout quand on sait que la France compte 88 places de prison pour 100 000 habitants, quand la moyenne européenne est de 144.
Le problème est là, dans la capacité de nos prisons depuis des années à
accueillir les personnes condamnées. Cela est criminel, et elle n'en
dit pas un mot : c'est inquiétant.
D'autant
que sur la question des courtes peines, le précédent gouvernement était
déjà allé très loin – trop loin selon nous – dans la logique de les
réduire, puisqu'il est allé jusqu'à imposer l'aménagement
quasi-systématique des peines allant jusqu'à 2 ans de prison,
dans la loi Dati de 2009. Elle dit que la peine de prison en matière
correctionnelle doit être prise en dernier recours, dans le cas, je
cite, où « toute autre sanction est manifestement inadéquate ». La loi
demande donc au juge d'éviter la prison autant que possible et a mis en
place une procédure qui fait en sorte que lorsqu'on est condamné à une peine allant jusqu'à deux ans de prison ferme, on est presque garanti de ne pas aller en prison. Aller aujourd'hui encore plus loin dans cette logique est incompréhensible, car la loi de 2009 allait déjà trop loin.
Aujourd'hui,
il faut prévoir un nombre de place suffisant pour accueillir les
personnes condamnées. C'est la crédibilité, la légitimité et
l'indépendance de la justice qui est en jeu, car les peines de prison
ferme sont bien prononcées par les magistrats. Tous les textes de loi
les dissuadent d'en prononcer s'ils le font, c'est bien qu'ils sont face
à des profils pour lesquels aucune autre solution n'est possible.
Il
n'y a rien de plus incitatif à récidiver que de se faire condamner par
la justice à de la prison ferme et ne jamais voir sa peine exécutée !
Voilà qui encourage à la récidive, alors qu'il n'a jamais été prouvé que
les courtes peines l'encouragent. L'absence de peine, ça oui, c'est
certain.
Là aussi, la
priorité de Christiane Taubira devrait être de dire qu'elle va faire
reculer la délinquance des mineurs. D'après les chiffres du ministère de
la Justice, les violences commises par les mineurs ont augmenté de 575%
depuis 1990. C'est quand même un chiffre qui devrait nous interpeller. Les
14-18 ans représentent 5% de la population, mais 25% des viols et des
agressions sexuelles, 34% des cambriolages et 45% des vols avec
violence.
Non,
cela veut dire qu'on n'est pas allé assez loin dans la logique. Il y a
chez les mineurs, encore plus que chez les majeurs, une forme d'impunité
qui est très importante, faute de structure pour les accueillir et pour
les écarter de leur milieu le temps qu'ils se reforment et qu'on puisse
leur donner des outils éducatifs.
Un seul
exemple : en début d'année, trois mineurs ont été interpellés après
avoir commis un viol collectif à la Part-Dieu à Lyon, en pleine journée.
Ces mineurs ont été remis en liberté – le sont toujours – dans
l'attente de leur procès. Ils n'ont même pas été placés dans un CEF. On
voit avec un tel exemple qu'il y a des personnes accusées de crimes très
graves qui ne sont même pas aujourd'hui placées dans des CEF. C'est
pour cela qu'il était question d'en doubler le nombre, ce qui était une
bonne mesure pour contenir des mineurs souvent multirécidivistes, ou
ayant commis des crimes graves.
On revient
aujourd'hui à cette lubie, qu'on croyait réservée aux années 70, qui
est de dire que l'éducation n'est pas compatible avec la privation de
liberté. C'est pour cela que l'aspect fermé des CEF rebute une
partie de la magistrature pour enfants, qui est toujours sur des
méthodes complètement dépassées. Or, l'éducation peut se concevoir dans
des centres fermés, c'est même préférable lorsqu'on a affaire à des
multirécidivistes.
Dans
une autre intervention, elle disait déjà qu'elle s'occupait de justice,
et que pour les questions de sécurité il fallait voir avec Manuel
Valls. Cela montre son inconscience de l'importance du pénal dans la
lutte contre la criminalité. Nous disons depuis longtemps que pour
faire reculer la criminalité, il ne faut pas se reposer seulement sur
la police, les forces de l'ordre et la création de zones de sécurité
prioritaires. Il faut aussi prendre en compte la réponse pénale : que
les délinquants soient poursuivis, condamnés, et que leur peine soit
exécutée. Christiane Taubira fait passer l'idée qu'il y a un
partage des rôles entre la Justice qui serait là pour réparer les
dommages, et l'Intérieur qui serait là pour faire reculer l'insécurité.
C'est cela au fond le plus inquiétant, quand on connaît l'importance que
représente la justice et son fonctionnement pour réduire l'insécurité.
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