Je reconnais volontiers le déchirement que peut représenter l’empêchement de se livrer à sa vocation. Et je suis lassée de constater que c’est systématiquement la femme qui doit remettre en cause sa carrière, pour ne pas faire ombrage à son compagnon. Mais que la « première dame » , ou « first girlfriend » , soit toujours caractérisée « journaliste », je trouve cela contraire aux valeurs de ma profession.
Car voici donc une journaliste, embarquée dans l’intimité du pouvoir (ses rouages, ses voyages et dîners officiels, ses confidences, etc.), mais qui n’en dira mot. En quelque sorte, la journaliste la mieux informée de France sur la magistrature suprême pratiquera la rétention d’information permanente. Comment dès lors conserver le titre de « journaliste » , qui s’obtient en exerçant, en livrant l’info, en éclairant les points d’ombre ? Il existe donc en France une journaliste, dont tout le monde accepterait qu’elle taise l’information, qu’elle la retienne à tout prix ?
Ah pardon, elle n’est plus une journaliste « politique » mais « culturelle ». L’absolution ? Je trouverais contraire aux valeurs de mon métier qu’une journaliste « culturelle » soit en possession d’une information politique, et sous prétexte de sa case culturelle, ne dévoile pas cette information politique. J’ai été formée au journalisme en France, et l’on m’a appris qu’ « un journaliste doit s’intéresser à tout ». (Et en tant qu’étudiante belge en France, ça m’a coûté de m’intéresser au rugby.)
Alors, pour qu’elle reste dans l’activité, « Paris-Match » continue à salarier Valérie Trierweiler, pour deux ou trois critiques par mois. Imaginez la renommée nationale, voire internationale, d’un artiste pour lequel Valérie Trierweiler aura eu un « coup de cœur. » Car qu’il s’agisse d’une exagération de notre société ou pas, Valérie Trierweiler vient d’acquérir une identité nouvelle qui éclipse son patronyme : « Première dame de France » (locution qu’elle réprouve mais dont personne n’a encore trouvé de palliatif.) Bref, ce « Coup de cœur » aura le pouvoir de transformer le plomb en or (et l’artiste en « artiste de la cour. »)
Il est sans doute très dommage que la profession doive se séparer de l’un de ses talents le temps d’un mandat (ou plus). Il est encore plus dommageable que la profession se rende complice par son absence de réaction. Mais après tout, en France, la liste des entorses à l’indépendance du journalisme ne fait que s’allonger dans une relative indifférence qui confine à la normalité.
Les sommets ont été atteints lorsque Christine Ockrent a accédé à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), alors que son compagnon Bernard Kouchner occupait le ministère des Affaires étrangères. Le pouvoir de l’époque avait tenté de nous faire avaler que ce serait Matignon qui chapeauterait le holding.
Valérie Trierweiler doit avoir beaucoup d’amis dans la profession pour bénéficier d’un tel paravent contre l’indignation. D’ailleurs, c’est sans doute pour cela que la France a tardé à savoir qui était la compagne de François Hollande. En réalité, je me ficherais de savoir qui est la « Première dame », si elle n’était pas « journaliste ».
Elle craint que son statut (si toutefois c’en est un) lui donne un air « potiche. » Lorsqu’on la voit visiter le potager de Michèle Obama avec les épouses des leaders du G8, on se dit que c’est raté : elle a fait courge. Il y a pourtant d’autres activités en dehors du journalisme qui développent des valeurs similaires. Pour ne pas faire potiche, si Valérie Trierweiler mettait sa notoriété nouvelle au service d’une cause, ou exerçait un autre métier ? J’adorerais voir une « first girlfriend » travailler et gagner un salaire ! Son bagage de journaliste lui permettrait de prendre le contre-pied des épouses de présidents, qui prétendent aider l’Afrique en séjournant deux nuits dans un 4 étoiles de Ouagadougou.
Bref, s’il est déjà difficile pour François Hollande d’être un Président « normal », je pense qu’il est impossible que Valérie Trierweiler demeure journaliste.
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