TOUT EST DIT

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mercredi 6 juin 2012

Martine Aubry compte-t-elle être celle qui dit tout haut ce que le gouvernement prépare tout bas ?

Interrogée ce lundi matin sur France 2, la première secrétaire du PS a estimé que la priorité était d'abord de «faire rentrer des impôts complémentaires», avant la réduction de la dépense publique. Annonce ou volonté d'aiguillonner le gouvernement Ayrault en faisant entendre sa différence ?

nterrogée lundi matin sur France 2, Martine Aubry a estimé que la priorité était d'abord de « faire rentrer des impôts complémentaires ». La première secrétaire du Parti socialiste fait-elle preuve d'honnêteté politique ou fait-elle entendre sa différence au gouvernement Ayrault et à François Hollande ?

Alain Auffray : Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse. Le discours qui dit que la priorité est de faire rentrer des impôts n’est pas celui adopté par ceux qui sont à Bercy aujourd’hui. Il y a ici un réel décalage entre le gouvernement et Martine Aubry.
Je crois que c’est une démarche plus politique que personnelle. Ces propos sont de nature à fédérer la gauche plus qu’à aider le gouvernement. En d’autres termes, c’est une manière de faire pencher à gauche le centre de gravité du gouvernement avant les législatives. On ne s’attend pas à un raz-de-marée socialiste pour les législatives : ils n’auront peut-être pas de majorité absolue. S'il n'y a pas de majorité sans le Front de gauche, cela compliquera la donne.
Michaël Darmon : Je crois que Martine Aubry veut faire entendre sa différence en dénonçant les décisions difficiles à prendre. Elle renvoie en permanence, de manière un peu subliminale, au fait qu’il ne sera pas question pour le gouvernement en place d’esquiver les décisions difficiles à prendre.
Il est également évident qu’elle doit gérer sa déconvenue. Elle fait partie de ceux qui n’imaginaient pas que François Hollande serait candidat et vainqueur de la présidentielle. Ensuite, elle s’imaginait à Matignon, et en arrivant au bureau national du Parti socialiste la veille de l’entrée à l’Elysée de François Hollande, elle apprend la nomination de Jean-Marc Ayrault. Depuis, elle refuse tout.
Josée Pochat : Tout d’abord, ce n’est pas de l’honnêteté politique, bien au contraire : on en revient aux vieilles lunes du Parti socialiste. Les augmentations d’impôts prévues par François Hollande, soit 30 milliards d’euros en années pleines, sont essentiellement supportées par les entreprises. Or des charges supplémentaires pour les entreprises, ce sont des liquidités en moins, et au final des problèmes d’emploi. Ce n’est ni du courage politique ni de la clarté ! Je rappelle que sur ce sujet, l’une des voix de gauche les plus fortes est celle de Jean Peyrelevade, anciennement directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy, est le premier à dire qu’on ne s’en sortira pas sans réduction de la dépense publique.

Quant au positionnement politique de Martine Aubry, cela va au-delà de marquer sa différence… Le parcours des 18 derniers mois de Martine Aubry en témoigne, et François Hollande a réussi là où elle a échoué. François Hollande est parti en premier dans la course à la primaire socialiste avec seulement 3% d’intention de vote chez les sympathisants socialistes. Martine Aubry a préféré passer un accord avec DSK dans l’espoir de se retrouver à Matignon, en sachant alors qu’il était crédité de 60% des intentions de vote à la primaire socialiste. Elle a finalement joué de malchance.

Bien qu’elle tienne l’appareil politique pour le Parti socialiste et qu’elle se soit fait violence suite à la victoire de François Hollande aux primaires, elle n’a pas été récompensée par la suite. On imagine sa déconvenue, sachant le discours violent qu’elle a tenu à l’encontre de François Hollande durant les primaires socialistes, où elle jugeait de son programme par l’expression « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! ». Elle était d’ailleurs intimement convaincue que les courbes d’intentions de vote allaient se croiser… C’est un échec quasi personnel, elle a raté son alliance avec DSK, manqué les primaires, et Ayrault est préféré pour le poste de Premier ministre.

Martine Aubry peut-elle constituer une nouvelle épine dans la politique du gouvernement Ayrault, pire que celle de Jean-Luc Mélenchon ?

Michaël Darmon : Je ne crois pas que cela puisse être pire que Jean-Luc Mélenchon. Quand on n’est pas aux manettes, il est très difficile d’influer réellement. Entre un post sur un blog ou une déclaration dans un journal et une décision ministérielle, il n’y a pas photo en termes d’impact sur l’action publique.
Mais Martine Aubry n’a pas forcément dit son dernier mot. Dans une deuxième étape, en fonction des évolutions politiques, elle pourrait tout à fait incarner la deuxième partie du mandat de François Hollande. Qui pouvait imaginer qu’en début de quinquennat Sarkozy, placé sous la rupture absolue avec Jacques Chirac, que 5 ans plus tard le Président serait entouré d’autant de chiraquiens ?
Josée Pochat : C’est une certitude ! L’épisode Bayrou en témoigne. Pierre Moscovici avait assuré de son soutien à François Bayrou en renonçant à présenter un candidat socialiste contre lui aux législatives. Martine Aubry, elle, est montée au créneau pour présenter un candidat socialiste contre François Bayrou.

Reste que Jean-Luc Mélenchon reste très en retrait du PS, du fait de son programme notamment, et de sa volonté de constituer la véritable opposition de gauche. Mais quand il joue cette carte, il est conscient qu’il ne sera jamais un vrai recours comme parti de gouvernement. En 2017, Martine Aubry pourrait tirer profit d’avoir joué le jeu « un pied dehors, un pied dedans », en particulier suite à un quinquennat difficile avec les difficultés financières qu’on connaît.

A cinq jours des élections législatives, peut-on qualifier sa sortie d'erreur stratégique ?

Alain Auffray : D’une certaine façon, c’est du pain béni pour la droite. Ils étaient déjà partis sur le thème « la gauche au pouvoir, c’est du matraquage fiscal. » Roger Karoutchi, dans un communiqué récent, a trouvé un slogan « la facture salée, c’est maintenant ». C’est un thème qui devrait largement être repris par l’opposition.
Michaël Darmon : Je ne crois pas que cela soit une erreur de stratégie. Les Français ne regardent pas ce genre de chose. Il existe en France une maturité démocratique : un président a été élu, il a été déclaré légitime, la logique de la Vème république est de donner les moyens de gouverner au Président pour ensuite, éventuellement, le sanctionner dans les urnes lors des élections intermédiaires.
Josée Pochat : Si elle pensait que c’était une erreur stratégique, elle ne l’aurait pas commise. Elle se fait entendre, montre les dents, mais peut mordre également… Bref, il faut compter avec elle.

Reste que cela ne peut évidemment qu’être dommageable pour l’unité de façade du PS. L’UMP n’a d’ailleurs pas hésité avant de s’engouffrer dans la brèche. Le discours de Martine Aubry est quand même très lourd, les impôts d’abords, en particuliers pour ceux qui jouissent de tant de privilèges…

Enfin, il ne faut pas oublier le caractère très fort de cette femme, comparée régulièrement à Alain Juppé, mais plutôt pour ses mauvais côtés : cassant, méprisant, sec… Tout l’opposé de François Hollande !

La Première secrétaire du Parti socialiste a assuré de son départ à l’automne mais certains socialistes semblent en douter...  Jean-Christophe Cambadélis a reconnu qu'il existait pour l'instant une ambiguïté sur les intentions de Martine Aubry : « Jusqu'à présent, je n'ai pas entendu: 'je pars tel jour à telle heure’ » Quel avenir politique pour Martine Aubry ?  Peut-elle rester à la tête du PS ?

Alain Auffray : Le début du mandat, ce n’est pas le « temps des partis ». C’est le temps de la gouvernance, des réformes, du Parlement, du groupe mais pas du parti. Je ne crois pas qu’elle ait trop intérêt à rester à cette position. La présidence du parti majoritaire en début de quinquennat n’est pas une sinécure. C’est une position extrêmement ingrate même si sur la fin cela peut devenir intéressant. Patrick Devedjian l’a appris à ses dépens lorsqu'il était à la tête de l’UMP en début de quinquennat Sarkozy.
Je ne suis pas sûr que cela soit un job qui la passionne tant que cela, sauf s’il n’y a qu’une majorité relative et que les questions politiques reprennent une importante cruciale entre les différents partis à gauche. Mais dans l’hypothèse où le Parti socialiste obtient la majorité absolue au Parlement, la fonction de présidente de parti, dans la première partie du quinquennat, perd largement de son intérêt.
Michaël Darmon : Jean-Christophe Cambadélis est un bon connaisseur du PS, de Martine Aubry et de sa complexité. Quand il parle d’incertitude, je pense qu’il est au plus près de la réalité. On ne sait pas ce qu’il se passera avec Martine Aubry.
Je ne la vois pas s’inscrire dans une logique de conquête présidentielle. Elle a prouvé que le contrôle du parti ne garantissait en rien un avenir à ce niveau-là. Si elle quitte la tête du Parti socialiste, elle retournera probablement à Lille et se placera « en réserve de la République » en attente d’un éventuel poste. Un petit peu comme Alain Juppé à Bordeaux pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Elle ne s’interdira pas, au nom de sa liberté, de commenter les décisions politiques qui ne lui conviennent pas.
Josée Pochat : Je n’en ai aucune idée, mais ce qui est certain, c’est qu’elle fera tout pour servir ses intérêts, et restera là où elle peut continuer à peser le plus. Notamment afin de se positionner pour la suite, très certainement 2017. A la fin du quinquennat, François Hollande apparaîtra très certainement comme usé des efforts qu’il aura dû produire sur l’aspect financier, et Martine pourrait vraisemblablement jouer la carte de la rupture avec François Hollande, un peu comme Nicolas Sarkozy avec Jacques Chirac en 2007.


Elle ne donne d’ailleurs pas le sentiment de quelqu’un capable de se retirer et passer à autre chose. Et ses « pavés dans la mare » réguliers tendent à le prouver.


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