jeudi 19 avril 2012
La France ou le chaos
Si la campagne présidentielle est si médiocre, n’est-ce pas justement
parce qu’elle n’est guère présidentielle ? Un jour, on semble choisir
un ministre de l’Intérieur, un autre, un ministre des Finances,
quelquefois, un responsable de la prévention routière. Faut-il rappeler
que, tous les cinq ans, l’élection présidentielle donne au peuple
français l’occasion de déterminer tout autre chose, l’essentiel de
lui-même et sa perpétuation comme acteur de l’histoire – sans quoi la
politique n’aurait plus d’intérêt et les élections pas davantage.
Le regretté Michel Jobert comparait le président de la République à
un sémaphore, repère immobile et solennel indiquant les grandes
orientations qui éclairent et ordonnent. De cette fonction, qui est bien
celle d’un chef d’État, découle une autre, celle de garder la
Constitution, par là de veiller au bon fonctionnement des institutions,
autrement dit la sauvegarde du cadre politique, autrement dit la France –
en quoi sa fonction est sacrée : sans la sauvegarde de ce cadre, il est
illusoire de fixer une politique, quelle qu’elle puisse être ; le
contenant est la condition du contenu – lequel ressort d’un autre
niveau, ce programme de gouvernement que fixera un mois plus tard une
majorité législative.
Il est curieux que, à l’heure où le cadre politique ne va plus guère de soi, où
ne sont plus tout à fait certaines les réponses à la question “Y a-t-il
une France ? ”, ces conditions premières du politique n’affleurent
nulle part dans ce qu’il est convenu d’appeler le “débat”. Or, pardon du
truisme, pour mener une politique, encore faut-il qu’il y ait un État,
que la nation soit souveraine, qu’elle puisse décider du maintien ou de
la disparition de ses frontières, de la restauration, du partage ou de
l’abandon de ses moyens d’action politique, à commencer par la
légitimité, donc l’autorité des dits “pouvoirs publics”, seule façon
d’imposer un bien commun aux féodalités de tous ordres et de mener à
l’extérieur une politique étrangère, dotée de ses propres instruments
diplomatiques et militaires ; et, en toile de fond, qu’il y ait une
civilisation, originale en ce qu’elle est fidèle à ses legs, traditions
et valeurs, cette civilisation française sans laquelle l’existence de la
nation, donc de l’État, ne se justifie plus, n’est sous-tendue par
rien. Le “grand débat sur l’identité”, l’une des rares bonnes
initiatives du quinquennat, ayant sombré dans l’insignifiance et le
ridicule, le moment était propice pour revenir sur ces fondamentaux,
pour reprendre un terme que candidats et partis s’appliquent à eux-mêmes
sans songer que les seuls fondamentaux qui importent sont ceux de la
France, les leurs propres se situant fort en aval.
De cet essentiel-là, qui se soucie – à part ceux que l’on nomme
dédaigneusement “souverainistes” ? La morne campagne s’est perdue dans
les détails – presque toujours de nature sociale ou économique, selon la
pente d’une époque matérialiste qui veut croire mordicus que toute question politique n’a de solution que par l’argent, singulièrement la dépense publique – réflexe socialiste servi ad nauseam plus
de trente ans durant avec l’heureux effet que l’on aperçoit, la
banqueroute – et d’abord la paralysie de l’État dans sa graisse. Faut-il
redire que, pas davantage que le souci social ne saurait répondre aux
problèmes sociaux (quel argent redistribuer ? ), le souci économique ne
répond aux problèmes économiques – désindustrialisation, déliquescence
de l’agriculture ou de la balance commerciale, etc. La réponse est
ailleurs, dans la capacité du politique à concevoir et à mener
rationnellement une politique de long terme. Encore peut-on se demander
aujourd’hui si le politique contient en lui-même la réponse à son propre
délabrement et si tout ne dépend pas in fine de la volonté de
ses responsables et du peuple tout entier à constituer une nation, une
civilisation et à les aimer assez pour leur vouloir encore un avenir. En
somme, de notre capacité, qui est morale et sans doute spirituelle, à
vouloir la France – et être ce que nous sommes, tranquillement mais
délibérément français.
Etre ou ne pas être français, telle est la question du choix présidentiel –
en ce que toutes les autres en découlent. Exemple : a-t-on songé aux
énormes économies budgétaires que réaliserait l’État si l’appareil de
l’Éducation nationale, dirigeants et professeurs, acceptait sa simple
mission, la transmission, singulièrement celle du patrimoine national,
avec l’autorité en principe naturelle (auctoritas) qu’induit la
mission de transmettre – c’est pourquoi les problèmes éducatifs n’ont
pas de réponse budgétaire mais ontologique, l’enseignement de l’anglais
dans les petites classes ou la déliquescence de l’enseignement de
l’histoire se faisant les grinçants symboles du refus de soi qui mine
l’institution… A-t-on songé, dit autrement, à ce que nous coûte le refus
de nous assumer comme nation et civilisation, refus larvé de notre
appareil d’éducation, qui l’a plongé dans un délire de bavardages,
palliatifs, spéculations et expérimentations ?
Mais il y a plus coûteux encore : à la fin des fins, ce à quoi mène
le refus ou la haine de soi, c’est bonnement le chaos. Sujet dont
l’instant présidentiel aurait pu fournir l’occasion de dire un mot…
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