jeudi 19 avril 2012
Vous avez dit “neutres” ?
De façon encore discrète et polie, mais avec une charge croissante
d’ironie, les politiques s’avisent de renvoyer dans leurs cordes des
“journalistes” indûment sanctuarisés par la fiction de leur neutralité.
Jusqu’alors, seul Le Pen, eu égard à sa diabolisation, osait prendre de
front ces agents d’influence déguisés tantôt en “experts”, tantôt en
“observateurs” et dont tout Paris connaît les sympathies partisanes.
Plus récemment, Bayrou ouvrit avec d’infinies précautions la boîte de
Pandore et Sarkozy, avec de moindres précautions, a fini par lancer
quelques Scud dans le sillage de son apostrophe à Joffrin, lors d’une
conférence de presse à l’Élysée au début de son quinquennat. Laurent
Joffrin, personnalité au demeurant fort estimable, illustre à merveille
l’équivoque de ces “journalistes” du sérail parisianiste au service
militant d’une idéologie. C’est son droit, mais dans un débat avec un
politique, il doit être perçu et traité comme tel, et non “respecté”
comme s’il incarnait la Vérité, la Probité, le Savoir, la Raison et
autre gros mots armés d’une majuscule. Pujadas, animateur non moins
estimable, qui, la semaine dernière, orchestrait une séquence de la
campagne télévisuelle avec deux acolytes, n’est pas neutre non plus.
Nul ne l’ignore dans ce “milieu” où une loi non écrite protège
quelques mandarins, présume leur “compétence” et impose une approche
monochrome des réalités, car depuis la création de Libé, il y a
presque un demi-siècle, les journalistes français sont très
majoritairement taillés dans le même patron mental. Les temps ont
changé, les esprits peu à peu s’affranchissent de certaines crédulités
et subodorent certaines opacités. Exit l’immunité des éminences du petit écran, du micro et des bulletins paroissiaux majeurs (l’Obs, le Monde, Télérama, Libé,
etc.) : des sondages révèlent avec insistance que l’opinion les
suspecte de partialité et de mauvaise foi. Elle les prend pour ce qu’ils
sont et se régale quand ils se font moucher. À ce jeu somme toute
démocratique, Mélenchon excelle. La trotskiste Arthaud a beau faire
tourner mécaniquement son moulin à prières, elle m’a comblé d’aise en
remballant jeudi dernier des procureurs pleins de mépris durant le petit
quart d’heure qui lui fut consenti par la loi. Qui avait choisi ses
interlocuteurs et selon quels critères ? Le téléspectateur est en droit
d’exiger la levée des masques, et cette exigence se perçoit de plus en
plus clairement chez le citoyen de base, las d’être pris pour un cave.
Pour une fois, les moeurs évoluent dans un sens favorable à la libre
aération des neurones.
Les politiques sont rarement courageux. Ils ont une peur enfantine
des miroirs déformants que leur tend le système médiatique, comme on
refile des cacahuètes à des singes pour qu’ils s’adonnent à des
singeries. Ils s’exécutent encore, mais commencent à s’apercevoir que le
pouvoir de ce système repose surtout sur leur lâcheté et à se dire
qu’un miroir, ça se brise si on le caillasse. Dont acte : leur début de
révolte, encore que très pusillanime, annonce peut-être la fin du règne
en vase clos d’une coterie irresponsable. Le débat public sera plus sain
lorsque, dans la sphère audiovisuelle, chaque présentateur, chaque
animateur, chaque commentateur sera sommé d’afficher sa couleur, comme
le font par exemple Naulleau et Zemmour. Ça n’empêchera pas la gente
journalistique d’être de gauche à 80 %, voire à 99 % dans les médias
publics et à 101 % à France Culture. Mais au moins l’opinion saura de
quel catéchisme procèdent les sermons des uns, les “questions”
faussement candides des autres.
En votant dimanche pour Sarkozy, j’aurai en mémoire
l’inénarrable vindicte dont il aura été l’objet, jour après jour, avec
une indécence, une incivilité sans commune mesure avec l’exercice
légitime de la critique d’un exécutif tout aussi légitime. Rien n’aura
manqué, pour l’humilier autant que pour l’abattre, y compris des
considérants sournoisement xénophobes et antisémites (il n’est pas « enraciné »,
etc.). En sorte que son éventuelle défaite ne sera pas une victoire de
la gauche, minoritaire dans ce pays, mais de la haine inoculée par des
Torquemada de basses eaux avec l’absurde complicité de Marine Le Pen, de
Bayrou, de Villepin, de Dupont-Aignan et consorts. Je voterai Sarko par
cohérence politique certes, mais aussi par réflexe de solidarité avec
un homme seul et vulnérable traqué par une meute sans foi ni loi.
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