vendredi 10 février 2012
La honte de soi
Derrière ce tumulte se cache une vérité. Claude Guéant avait pris l’habitude de ces attaques. Mais mardi, la gauche est allée trop loin. Un député socialiste martiniquais, Serge Letchimy, assimilait ses déclarations à l’idéologie nazie. « Ils veulent m’empêcher de parler parce que mes propos les dérangent », m’avait-il confié lors d’une précédente polémique.
Le samedi 4 février, il déclarait donc, dans un discours écrit prononcé devant les étudiants de l’Uni : « Il y a des comportements qui n’ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu’ils sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde, à celle en particulier de la dignité de la femme et de l’homme. Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation. »
Voilà ce qui a provoqué la fureur et les tremblements des porte-parole de la gauche. De cette campagne, on peut se lamenter ; mais en dénonçant « l’idéologie relativiste de gauche », le ministre de l’Intérieur a mis “la plume dans la plaie”. Le scandale illustre la force du parti pris “politiquement correct” pour lequel une phrase comme « toutes les civilisations ne se valent pas » est insupportable. Claude Guéant l’avait déjà souligné dans le Figaro du 12 octobre dernier : « Défendre nos valeurs, c’est mener un combat contre le fanatisme qui menace, contre le prêt à penser d’une certaine idéologie relativiste qui sape les fondements de notre contrat social. »
Pour cette idéologie, tout se vaut ; le bien, le mal, le beau, le laid, le vrai, le faux, et même les sexes, ne sont que des valeurs successives et interchangeables selon les modes et l’air du temps. Cela traduit une crise d’identité qui n’est pas nouvelle : « du passé faisons table rase » (l’Internationale) – car ce sont les racines, l’histoire, le travail, qui dessinent un paysage, une maison, une cathédrale, qui construisent un homme et à travers lui une civilisation. Oui, une civilisation est mortelle (Valéry) dès lors que l’on ne s’appuie pas sur elle comme sur une liturgie pour perpétuer la destinée d’une nation.
La pensée Mai 68 est passée par là. Le communisme totalitaire a disparu en même temps que le Mur, mais le relativisme a prospéré. Le 14 mai 1968, Georges Pompidou, premier ministre, disait à l’Assemblée : « Je ne vois de précédent dans notre histoire qu’en cette période désespérée que fut le XVe siècle, où s’effondraient les structures du Moyen Âge et où, déjà, les étudiants se révoltaient en Sorbonne. À ce stade, ce n’est plus, croyez-moi, le gouvernement qui est en cause, ni les institutions, ni même la France. C’est notre civilisation elle-même. Tous ceux qui prétendent guider les hommes se doivent d’y songer, parents, maîtres, dirigeants professionnels ou syndicaux, écrivains et journalistes, prêtres et laïcs. »
Cette prise de conscience a-t-elle eu lieu ? Dans quelques “camps des saints” sans doute, mais chez les responsables ? C’est une propriété de la gauche française et de son terreau intellectuel que cet interdit prononcé sur la fierté de soi. C’est une singularité fréquente en Occident de pratiquer la mauvaise conscience avec un acharnement tel que cela en devient la honte de soi. Comme si l’on devait avoir honte d’avoir façonné l’histoire de la planète au point que tant de peuples ont adopté nos codes, nos modes de vie et de gouvernement. Les Japonais, les Chinois, ou même les Russes et les Américains et tant d’autres ont-ils honte de leur civilisation ou de leur culture ? Au contraire, ils ne cessent de défendre leur place sur le podium ou de vouloir y accéder.
Qu’est-ce que la France sans son universalisme qui l’a portée partout, pour le meilleur et parfois pour le pire, des rives du Mississippi à celles du Mékong, de la Loire au Congo, où elle a laissé ses sillons et ses tombes (Ô Jules Ferry !)… Et cette formidable aventure, on devrait la couvrir d’un linceul comme s’il s’agissait d’une histoire ancienne à enterrer ? C’est pourtant bien parce que la France reste la France que nous sommes allés nous battre dans les faubourgs d’Abidjan, les vallées afghanes et le ciel libyen. Mais si la gauche défend de dire pourquoi et qu’elle était entendue, alors il ne faudrait pas s’étonner que les gamins des quartiers, déjà privés de service militaire, préfèrent s’adresser à l’imam plutôt qu’à l’instituteur. Car l’humanité est ainsi faite qu’il y a toujours une hiérarchie.
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