En imposant l’austérité fiscale à ses partenaires tout en refusant obstinément que la BCE ne s'implique davantage et un plus grand soutien mutuel face à la dette, l’Allemagne démontre qu'elle est l'erreur de la zone euro, affirme Anatole Kaletsky.
Le problème fondamental n’est pas lié à l’efficacité de l’économie allemande, bien qu’elle ait contribué à la divergence entre les destins économiques des uns et des autres, mais au comportement de la classe politique et des banquiers centraux allemands.
Non seulement le gouvernement allemand a systématiquement opposé son veto aux seules politiques qui auraient permis de reprendre le contrôle de la crise de l’euro – des garanties européennes collectives pour les dettes publiques et une intervention à grande échelle de la Banque Centrale Européenne.
A l'origine de toutes les politiques mal inspirées
Histoire d’aggraver les choses, l’Allemagne a en outre été responsable de presque toutes les politiques mal inspirées mises en œuvre dans la zone euro, allant des hausses délirantes des taux d’intérêt par la BCE l’an dernier aux exigences draconiennes d’austérité et aux pertes bancaires qui menacent aujourd’hui de plonger la Grèce dans un défaut de paiement chaotique.Mario Monti, Premier ministre italien nommé par Berlin, n’a pas mâché ses mots et averti que l’Allemagne subirait un “violent retour de bâton” si elle continuait à s’opposer à des mesures susceptibles d’alléger les pressions financières sur d’autres membres de la zone euro, comme l’émission d’obligations bénéficiant d’une garantie conjointe.
Par ailleurs, plusieurs économistes, anciens gouverneurs de la banque centrale et autres capitaines d’industrie du pays ont commencé à écrire des articles préconisant un retrait de l’euro sous prétexte que la politique de l’Allemagne serait incompatible avec celle des autres membres.
Peu à peu, l’Europe se rend compte que l’erreur, dans la zone euro, c’est l’Allemagne, ce qui permet de mieux comprendre les tours et détours de la crise et comment elle pourrait se terminer. Comme les eurosceptiques l’affirment depuis le début des années 90, le projet de monnaie unique ne peut finalement aboutir qu’à l’un ou l’autre de deux résultats.
Soit l’euro se désintègre, soit la zone euro se métamorphose en fédération fiscale et en union politique à grande échelle. Cette dichotomie est aujourd’hui communément admise. La question est néanmoins de savoir ce que l’on entend exactement par “fédération fiscale”. Et c’est là que nous touchons à la racine de la culpabilité allemande dans la crise actuelle.
Pour que l’euro survive, trois conditions essentielles doivent être remplies. La première, à laquelle tient tant l’Allemagne, est la mise en place d’une discipline budgétaire qui ne peut être imposée que par un contrôle centralisé de l’UE sur les politiques fiscales et budgétaires des gouvernements nationaux.
L' occasion de se soustraire de l'hégémonie allemande
La deuxième est un degré substantiel de responsabilité collective européenne vis-à-vis des dettes publiques et des garanties bancaires. Ce soutien mutuel est le revers de la médaille du fédéralisme fiscal, comme l’a expliqué Monti sans détours, mais les Allemands ont régulièrement refusé de ne serait-ce qu’évoquer ce compromis.La troisième condition est le soutien de la BCE à la fédération fiscale, comparable au soutien monétaire apporté aux marchés de la dette publique par les banques centrales aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon, en Suisse et dans toutes les économies développées. C’est grâce à ce soutien des banques centrales en faveur des marchés obligataires que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon sont parvenus à financer des déficits beaucoup plus importants que la France ou l’Italie sans se soucier vraiment d’une dégradation de leur note.
Le problème essentiel, pour la zone euro, c’est que l’Allemagne se concentre exclusivement sur la première condition. Elle oblige d’autres gouvernements à adopter des objectifs plus sévères et irréalistes en matière d’austérité tout en refusant de seulement discuter de la contrepartie de garanties collectives et d’une intervention de la banque centrale. Du fait de l’intransigeance allemande sur ces deux questions, le nouveau traité de l’euro, théoriquement accepté le mois dernier, ressemble à un tabouret à trois pieds qui ne tiendrait plus que sur un seul.
Cela veut-il dire que la désintégration de l’euro est désormais certaine ? Pas forcément, pour deux raisons contraires. D’un point de vue optimiste, on peut considérer le “contrat fiscal” convenu le mois dernier n’a été qu’une diversion, le temps qu’Angela Merkel prépare l’opinion politique et publique allemande aux compromis qui se profilent sur les garanties conjointes et l’engagement de la BCE dans un soutien quantitatif à l’Anglo-Saxonne.
Ou alors, d’un point de vue pessimiste, l’Allemagne est bel et bien décidée à empêcher ce soulagement fiscal et monétaire pourtant nécessaire si l’on veut que l’euro ait une chance d’en réchapper. Si tel est le cas, alors les autres membres de la zone euro seront bientôt confrontés à un choix historique. Devront-ils abandonner l’euro ? Ou en excluront-ils l’Allemagne, soit en lui demandant tout simplement de partir, soit, plus vraisemblablement, en s’entendant entre eux sur une stratégie monétaire et fiscale qui pousserait Berlin à s’en aller ?
La France, l’Italie, l’Espagne et leurs partenaires de la zone euro ont les moyens de sauver la monnaie unique et pourraient en profiter pour se soustraire à l’hégémonie allemande. La seule question est de savoir s’ils se sentent assez en confiance et maîtrisent suffisamment les rouages de l’économie pour s’unir contre l’Allemagne.
Quoi qu’il en soit, il va bientôt être temps pour les dirigeants européens de cesser de rejeter la faute de la crise de l’euro sur l’économie mondiale, sur les banques ou la prodigalité de gouvernements précédents. Comme l’a écrit Shakespeare : “Si nous ne sommes que des subalternes, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles.”
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