Il y a vingt-cinq ans, la catastrophe de Tchernobyl avait frappé le monde de stupeur mais n’avait pas remis en question le nucléaire. Si elle avait joué le rôle d’un test d’effroi – grandeur nature, hélas – son souffle n’était pas parvenu à enrayer la progression irrésistible d’une source énergétique dont les promoteurs parvinrent à imposer l’idée qu’elle était finalement bien plus propre que la plupart des autres. La contestation radicale des années 70 au son de «No nukes» avait perdu la bataille sur le terrain idéologique, en même temps qu’elle avait rendu les armes face au dogme supérieur de l’indépendance énergétique. Si une centrale avait explosé en Ukraine, c’était un accident, après tout : la faute aux effets pervers du bureaucratisme soviétique.
Un quart de siècle après l’explosion, les images de la zone interdite délimitée après le funeste 26 avril 1986 sont aussi irréelles que désespérantes, tant elles mettent en évidence la fuite irréversible de la vie. Mais au rythme des tours opérateurs qui le font désormais visiter, le site fait presque figure de curiosité de la planète.
Le désastre de Fukushima, lui, va frapper l’imaginaire du monde bien plus profondément, instillant le doute jusque parmi les peuples dont les dirigeants rêvaient de posséder la précieuse technologie atomique. Un peu partout, la côte de popularité du nucléaire a perdu des points. Si elle reste globalement majoritaire, c’est désormais de très peu. Même la France, qui l’a toujours approuvée, est en proie au doute.
Cette fois, quelque chose s’est bel et bien cassé dans la confiance que le lobby mondial du nucléaire avait patiemment réussi à imposer dans les esprits. Promettre de «dire la vérité» – comme le réclame en guise d’acte de contrition le président russe Medvedev – ne suffira même plus, maintenant qu’un pays aussi développé que le Japon était incapable de maîtriser un incident.
Au moment même où, de l’autre côté du Rhin, le gouvernement d’Angela Merkel arrête, sans état d’âme, les réacteurs allemands les plus anciens, l’arrogance avec laquelle EDF continue de prétendre qu’une vieille centrale comme Fessenheim est «aussi sûre qu’une neuve», insulte non seulement les promesses faites à plusieurs reprises par l’État, mais aussi le discernement de l’opinion.
Plus qu’une stratégie de rapprochement avec les Verts, le revirement de Nicolas Hulot en faveur d’une sortie progressive du nucléaire est emblématique de l’évolution, encore floue, des mentalités dans une catégorie charnière de la population française. Le discours sécuritaire de l’industrie nucléaire aura désormais d’autant plus de mal à convaincre que le risque n’est plus un fantasme mais une réalité vécue en direct et au jour le jour. Alors qu’importe qu’il soit plus ou moins faible puisqu’il est de toute façon monstrueux.
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