lundi 5 décembre 2011
L'indignation, vertu ou facilité
« Un homme qui s'indigne est sûrement un homme qui ment » : s'il fallait en croire le philosophe Nietzsche, notre monde serait, aujourd'hui, peuplé de menteurs. On ne le suivra pas sur cette pente ! La montée en puissance de l'indignation dans plusieurs pays occidentaux, le succès étonnant rencontré par le petit libelle de Stéphane Hessel nous invitent cependant à une réflexion sur les raisons, mais aussi les limites du phénomène.
Il faut tout d'abord rappeler que l'indignation, lorsqu'elle revendique une fonction politique, peut revêtir deux modalités. La première est positive. Elle consiste non seulement à se révolter contre des situations intolérables, mais aussi à peser sur le pouvoir politique afin d'aboutir à des solutions concrètes.
C'est cette alliance de l'indignation et de la proposition qui alimenta, naguère, les combats menés par l'abbé Pierre et le Père Joseph Wrezinski afin de répondre à la détresse des sans-logis et de mieux faire reculer la grande pauvreté. Mais il existe aussi une indignation négative qui, certes, se nourrit de drames sociaux, mais peine à aller au-delà du sentiment d'indignation lui-même. Or, il faut admettre que les indignations contemporaines, celles de Madrid et d'Athènes par exemple, posent bien des problèmes.
À leur manière, elles sont tout d'abord révélatrices du vide idéologique laissé par la disparition des régimes communistes. Ceux-ci avaient beaucoup perdu de leur charme initial, mais prouvaient cependant qu'un « autre monde » était possible, où l'économie du marché n'était plus souveraine. Ce beau rêve s'est envolé avec la chute du mur de Berlin, mettant par là en péril l'idée même d'une alternative.
L'indignation, au fond, n'est pas autre chose qu'une révolution qui n'a plus, aujourd'hui, les moyens de son ambition. Elle a cependant un aspect plus critiquable. Elle soustrait celui qui s'indigne à la double épreuve de la responsabilité personnelle et du débat col lectif. On ne rencontrera jamais un indigné qui accepte de s'interroger sur lui-même et de se poser la question suivante : n'ai-je pas, moi aussi, une part de responsabilité dans les drames que je dénonce ? Et l'on en rencontrera bien peu qui, au-delà de la dénonciation convenue de la « dictature des marchés », acceptent de s'engager dans un dialogue constructif. Nietzsche n'avait pas tout à fait tort : si l'indignation est parfois une vertu, elle est aussi souvent une facilité !
Reconnaissons-lui cependant un rôle de révélateur du malaise démocratique actuel. Alors que la Grèce et l'Italie viennent de confier les rênes du pouvoir à des « techniciens ». Alors que l'Espagne et peut-être demain la France ne semblent avoir d'autre choix qu'entre une « austérité de droite » et une « austérité de gauche », c'est l'esprit même de la démocratie qui est ici atteint. Tout du moins si nous entendons par démocratie un régime qui, non seulement accepte le conflit des projets et des valeurs, mais fait aussi du peuple l'arbitre de cet antagonisme.
On a souvent, dans le passé, usé et abusé de l'expression « crise de la démocratie ». Il faut malheureusement admettre que si le « peuple souverain » n'avait d'autre choix qu'entre la gestion savante et l'indignation vertueuse, cette expression ne serait pas totalement infondée.
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