Plus que jamais, la crise européenne impose ses urgences et sa dramaturgie. Pour la troisième fois en six mois, les réunions de cette semaine – rencontre Sarkozy-Merkel ce lundi 5 décembre, puis sommet de Bruxelles jeudi et vendredi – vont être présentées comme vitales pour sauver l'Europe. Et ce sera un peu plus vrai encore qu'en juillet ou en novembre, tant la défiance mine la zone euro.
Plus que jamais, cette crise imprime sa marque sur la campagne présidentielle. Non seulement les Français n'ont pas encore la tête à la joute électorale du printemps – ils s'inquiètent bien davantage des menaces économiques et financières du moment –, mais l'incertitude de la situation et de l'avenir à six mois est telle que ni le président sortant, Nicolas Sarkozy, ni celui qui aspire à le remplacer, François Hollande, n'ont intérêt à se découvrir trop tôt. Plutôt que de foncer dans le brouillard, l'un et l'autre diffèrent donc le moment de s'engager à fond.Dans cet exercice, le chef de l'Etat est évidemment en position avantageuse : l'actualité se charge de lui fournir un agenda et autant d'occasions de s'exprimer ès qualités, sans compter celles inscrites dans son programme systématique de labourage de terrain engagé depuis des mois. Il en use, voire en abuse, mélangeant les genres et entrelardant tous ses discours de président d'incises de candidat contre la gauche en général et son champion en particulier.
C'est de bonne guerre, dira-t-on. Et surtout bien pratique. Ainsi à Toulon, le 1er décembre, les vigoureux coups de patte contre la retraite à 60 ans et les 35 heures, ces "fautes graves", ou contre ceux, suivez mon regard, qui "boudent le nucléaire" et "renoncent à notre indépendance énergétique", ou encore ceux, les mêmes, qui envisageraient de renoncer au droit de veto de la France au Conseil de sécurité de l'ONU - même si M. Hollande a nettement écarté cette hypothèse -, bref ces attaques ont peu ou prou masqué l'absence cruelle de propositions du président face à la crise.
Ce ministère de la parole, incessant depuis la fin octobre, comme celui de l'activisme qui est dans sa nature ont permis à M. Sarkozy de desserrer l'étau dans lequel il était pris depuis de très longs mois. Sa cote de popularité comme les intentions de vote en sa faveur paraissaient installées à des niveaux irrémédiables. En regagnant quelques points sur ces deux tableaux, il a retrouvé et redonné à ses partisans quelque espoir.
Il est vrai qu'il a été bien aidé par son concurrent socialiste. François Hollande avait soigneusement analysé les campagnes présidentielles précédentes. Il s'était préparé à ce faux plat séparant son investiture de son entrée en campagne effective, en janvier 2012. Il avait prévu de consacrer ces cent jours-là à l'organisation de son équipe, à la décantation de son projet et à des déplacements significatifs à l'étranger. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait.
Mais deux facteurs sont venus chahuter ce beau programme. D'une part, d'étonnants cafouillages ont terni son image. L'ancien premier secrétaire du PS avait réussi à se délester de cette encombrante tunique et à faire de cette liberté l'un de ses principaux atouts, dans la primaire et au-delà. Les négociations laborieuses et les marchandages confus avec les écologistes l'ont renvoyé à ce tropisme-là, qui est aux antipodes de la logique présidentielle. De même, s'il s'est tenu à distance de quelques déclarations intempestives, dans son camp, contre la raideur allemande face à la crise européenne, il ne les a pas clairement condamnées. Dans les deux cas, il est apparu finasseur ou flottant.
D'autre part, les électrochocs de la crise ont cassé le rythme qu'il s'était fixé. Il avait annoncé, au lendemain de la primaire, une période de "diète médiatique". Il s'est presque immédiatement trouvé contraint de la rompre, tant le silence du candidat socialiste eût été incompréhensible. Mais il l'a fait, presque toujours, avec un temps de retard, obligé de réagir, prisonnier, en quelque sorte, des initiatives et commentaires présidentiels. Et justifiant, du même coup, le jugement des Français : selon une récente enquête d'Ipsos (Le Monde du 23 novembre), M. Hollande distance largement M. Sarkozy pour ce qui est des convictions, de la compétence, de la sympathie, de l'honnêteté ou de la sincérité ; mais moins de la moitié des sondés (47 %) le jugent dynamique, très loin derrière le chef de l'Etat (73 %). Dans la période actuelle, c'est une faiblesse.
Pour autant, les partisans de Nicolas Sarkozy auraient tort de se réjouir trop vite. Si la crise lui permet aujourd'hui un léger rebond, elle souligne également sans pitié ses handicaps.
L'enquête mensuelle de conjoncture de l'Insee auprès des ménages rendue publique le 25 novembre est sans appel : la confiance des Français est en recul et se situe à son plus bas niveau depuis février 2009. Qu'il s'agisse de l'appréciation de leur situation financière, de leur capacité d'épargne, de l'évolution de leur niveau de vie (qui a chuté de 20 points depuis juillet et atteint son plus bas niveau historique) ou des perspectives d'évolution du marché de l'emploi, tous les indicateurs sont en baisse. L'aggravation brutale du chômage depuis trois mois (5,1 millions d'inscrits à Pôle emploi) et la menace d'une croissance très faible, voire d'une récession au début de 2012, ne sont pas de nature à redonner confiance aux Français. Ni à exonérer le chef de l'Etat de sa part de responsabilité dans la situation d'un pays qu'il dirige depuis bientôt cinq ans. Rien ne lui servira d'être actif s'il apparaît, tout autant, impuissant et comptable d'un bilan très négatif.
Comme le dit froidement un conseiller de Nicolas Sarkozy, "François Hollande est, intellectuellement, un candidat de crise. L'est-il biologiquement ?" Il lui reste à le démontrer. Sans précipitation, certes. Mais sans hésitation non plus. C'est la condition sine qua non pour créer un élan et une dynamique. Et pour espérer l'emporter.
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