TOUT EST DIT

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lundi 19 décembre 2011

Grèce. Même les pères Noël mendient

A la veille de Noël, les Grecs n'ont pas le cœur à la fête. L'austérité imposée depuis plusieurs mois par l'Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, fait subir au pays une dépression collective.
Reportage cette semaine à Thessalonique, sur cette Grèce qui souffre et s'enfonce dans la pauvreté.
Le Père Noël s'appelle Christos. Il a 27 ans, porte un habit rouge de mauvaise feutrine avec une pauvre barbe d'ouate blanche. « J'essaye juste de survivre », dit-il en distribuant la carte de visite de la taverne Katériniotis, tandis que sa copine fait goûter gratuitement les boulettes de viande maison. Aubaine dont profite immédiatement un homme au visage cabossé par la rue…
Christos ? Dans le civil, il a un diplôme de marketing. Et à quelques jours du 25 décembre, il est le seul Père Noël visible, avenue Polytechnique, en plein centre ville. Un extra à « 30 € pour 12 heures de travail », précise-t-il, nerveux, parce que la patronne le regarde causer au lieu de héler le passant. La crise ? « Je ne sais pas où ça va s'arrêter, jusqu'où on va tomber. Je suis terrifié comme chacun », écourte-t-il alors la conversation, rhabillant son visage d'un grand sourire pour jeter son réglementaire Joyeux Noël : « Kala Xristùgena ! » Mais le cœur n'y est pas… L'oreille le sait.

"On fera la fête à Pâques"

Car à Thessalonique, la crise s'entend avant de se voir. Dans la capitale de la Macédoine, la rue s'est mise en sourdine. L'ébullition perpétuelle ? L'éternelle stridence des klaxons qui vous rappelaient qu'au nord du pays et face au Mont Olympe, cette métropole de 1,5 million d'habitants, deuxième ville de Grèce était aussi la porte de l'Orient, le port stratégique des Balkans ? Au ralenti. L'essence chère et l'argent rare ont calmé les ardeurs du trafic.
« Maintenant les gens prennent de plus en plus le bus ou marchent, les jeunes découvrent le vélo », explique Stavros. Quant à Noël, cette année, les cadeaux seront remis aux calendes grecques : « On fêtera Noël à Pâques », résume ce professeur d'université, marié et père de trois enfants. Il gagnait 2 500 € il y a deux ans contre 1 496 € désormais. Ses impôts ont explosé. Il a perdu 50 % de ses revenus. Comme tous ses compatriotes, il ne sait donc pas « de quoi demain sera fait ».
Ce demain qui peut soudain prendre le visage d'un cycliste à l'allure de cadre sportif plantant brutalement son VTT devant vous pour vous demander « 50 cents, s'il vous plaît ». À moins qu'il n'ait la tête de ce petit retraité fouillant les poubelles ou de ces dames tentant de garder leur dignité sur l'escalier de la soupe populaire. Car à Thessalonique, si la jeunesse dorée se prélasse encore aux terrasses du front de mer, deux rues derrière, les vitrines de magasins fermés disent « à vendre, à louer »… Une guirlande de rideaux tirés décore la ville tandis que Noël joue partout profil bas.

Adorateurs de la saignée

à l'heure où les comptes de millions de Grecs clignotent en rouge, les illuminations évitent en effet l'ostentatoire tandis que les bardages métalliques des affaires en faillite appellent à la révolte. « Ne fais plus carrière, fais un sabotage », « Université = parking à chômeurs », bombés en lettres écarlates… Ici, plus personne ne croit au Père Noël comme l'attelage franco-allemand, la Banque Centrale Européenne et le FMI ont livré le pays en cadeau aux marchés. Exsangue, la Grèce malade se rend compte qu'elle n'a pour médecins que des adorateurs de la saignée. Et chaque jour réserve sa nouvelle ponction.

« Les gens achètent à manger »

Aujourd'hui ? Quotidien régional, « Le Messager » annonce que « La Troïka veut des salaires à 450 € ». Pour sauver ce qui peut encore l'être avant les fêtes, les magasins font des promotions entre - 20 et - 70 %. Cela ne suffit pas. « Je n'ai jamais vu ça » confirme Théophile, vendeur de déco. « Les gens ne regardent même pas. Ils savent que c'est du superflu, ils achètent en fonction des priorités : d'abord à manger, puis de quoi s'habiller ». Sur les trottoirs encombrés, les sacs sont rares au bout des bras. Institution pâtissière de Thessalonique, Athanase Agapitos, 80 ans, n'en revient pas non plus. « Nous sommes à -50 %. Les gens n'achètent rien, ou juste ce qu'il faut. C'est-à-dire d'abord le pain. » Une clause de style ? Non. Deux cents mètres plus loin, Dimis Cohen tient une petite boulangerie. « Depuis quelques mois, je fais +20 % de chiffre d'affaires. Mes clients achètent plus de pain, ça remplit le ventre », reconnaît-il. Le seul à voir plus de monde ? Le « Paradis », brocante de 400 m2 de jouets, de bouquins, de bibelots. « On me snobe moins. Les gens veulent des trucs pas chers et j'ai doublé ma clientèle. Mais chacun n'achète que pour 3 ou 5 €», explique le patron.
Tiens ? Un couple de Père Noël installé à un feu rouge ? Lui marche avec des béquilles, elle lui rajuste la barbe tendrement… Ils sont roumains, mariés, un enfant. Pour la première fois, ils tentent de mendier déguisés, « mais on ne sait pas ce que ça va donner ». Un camionneur passe et lance goguenard : « C'est au Père Noël de faire des cadeaux, pas d'en recevoir ! » Kala Xristùgena… Il fait beau. Mais la misère n'est jamais moins dure, au soleil.

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