Qu'est-ce qu'un vrai bistrot?
Qu’est-ce qu’un bistrot? Qu’est-ce qui distingue un bistrot d’une brasserie et d’un restaurant? À quoi reconnaît-on un vrai bistrot d’un faux? Pas facile de répondre. Mais voici l’avis d’un expert : François Simon, le masqué chroniqueur gastronomique du Figaro and Co. Superbes photos à l’appui de sa démonstration, il passe en revue les dix "règles d’or" (locution décidément à la mode) ou les dix composantes qui font que l’on peut ranger sous le nom de bistrot le resto du coin.
D’abord le patron dont la gouaille, ou la bonhomie, ajoute au tropisme du lieu si la cuisine est bonne. On vient aussi pour lui, surtout s’il trône en majesté et en familiarité au bar, lequel "fait partie des confessionnaux des temps modernes". Le chef du bistrot est un "saint homme" pris entre la tyrannie du patron et l’impatience de la clientèle. Il n’est pas là pour inventer, s’éclater, ajouter des fruits tropicaux ou des herbes du Mékong aux recettes françaises traditionnelles. Il est aux fourneaux pour réaliser avec justesse des plats canailles, de l’œuf mayo et des harengs pommes à l’huile à la sole meunière, au lapin à la moutarde et au bœuf bourguignon. Après quoi, fromages, un vrai plateau, puis desserts : paris-brest, tarte Tatin, île flottante, etc.
L’ardoise est nécessaire parce que la cuisine, qui dépend des produits du marché, change tous les jours. On n’achète pas à n’importe quel prix comme dans les adresses étoilées. C’est une cuisine du moment, opportuniste, tout en restant classique. On l’accompagne de vins - eux aussi bénéficient souvent de l’ardoise au mur - qui ne sont pas des châteaux armoriés mais des appellations gouleyantes de comptoir, des vins de copains, des crus modestes, choisis avec amour dans l’extraordinaire diversité de nos terroirs. Les serveurs ont de la tchatche et de l’esprit (François Simon ne dit pas comment il les préfère habillés : tablier noir? tablier blanc? gilet?). Ils participent à l’atmosphère du lieu, comme les larges serviettes, les assiettes blanches, les célèbres chaises bistrot et tout le décor. Les clients apportent leur bonne humeur et leur appétit. Ils parlent haut et fort, ils rient volontiers, ils sont gourmands, ils sont heureux, de sorte qu’il serait stupide d’ajouter de la musique au brouhaha. Enfin, un bistrot se reconnaît à ses odeurs. "Lorsqu’on y entre, c’est comme soulever le couvercle d’une cocotte."
C’est à travers le Bistrot Paul Bert (où je ne suis jamais allé), de son ami Bertrand Auboyneau - qui signe aussi l’album -, que François Simon, avec son habituel style vif et imagé, a dressé l’inventaire du bistrot. D’autres fameuses adresses, avec leurs patrons hauts en couleur, complètent la démonstration : L’Ami Jean, Le Baratin, Le Comptoir, Philou, Le Verre volé, Le Villaret, etc. À quoi il faut ajouter de nombreuses recettes qui font de ce livre un régal de papier. S’il y a des familles culturelles et littéraires (comme le montrait Marie-Laure Delorme dans le dernier JDD avec le portrait croisé des Tesson père et fils), il existe aussi, plus nombreuses, des "familles de bouche".
On s’y transmet de génération en génération un savoir-faire en cuisine, au laboratoire, en boutique. Ainsi les Bras, les Marcon, les Haeberlin, tous cuisiniers de père en fils et tous trois fois étoilés au Michelin. Ainsi la mère et les filles Sibilia, charcutières à Lyon, les familles chocolatières Hirsinger, à Arbois, et Bernachon, encore à Lyon, etc. Tous sont dans l’excellence. Et tous maintiennent, en les ajustant, en les rénovant, des recettes qui perpétuent un héritage d’autant plus fragile qu’il est glorieux. Pour dessert de cette chronique un petit livre : Le Chocolat. À croquer. Délicieusement documenté. Le chocolat dans la littérature, dans les dictionnaires, dans l’histoire, dans les expressions, dans la médecine, etc.
Bistrot, Bertrand Auboyneau et François Simon, photographies de Christian Sarramon, Flammarion, 220 p., 29,90 euros.
Le Goût transmis, Catherine Ruedin et Vincent Tasso, Rouergue, 224 p., 32 euros.
Le Chocolat, Nicole Cholewka avec la collaboration de Jean Pruvost, Honoré Champion, 141 p., 9 euros.
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