lundi 12 décembre 2011
Clivages artificiels, danger réel
Sondage après sondage, les Français ne cessent de redire massivement qu'ils doutent de la capacité de la droite, comme de la gauche, à sortir le pays de la crise. Ceux qui s'expriment ainsi ne sont pourtant pas, loin s'en faut, des partisans des extrêmes. En fait, bien des Français ne pensent pas que l'opposition droite-gauche soit pertinente. C'est ce que montrait une étude de la Fondation Jean-Jaurès, l'été dernier : seuls 17 % des Français qui se classent à gauche et 14 % de ceux qui se classent à droite jugeaient ce clivage « structurant ». La part de l'électorat flottant, dont le vote n'est pas acquis « idéologiquement », est donc importante. Résultat : les partis cherchent comment l'ancrer chez eux.
Personne n'ignore que la crise des finances publiques en Europe laisse peu de marges de manoeuvre. Droite et gauche conviennent qu'il va falloir réduire les déficits, faire des économies. Tout le monde le sait : la différence entre le Parti socialiste et l'UMP n'est plus celle qui opposait naguère marxistes et libéraux. La bataille se joue dès lors du côté des symboles et de l'émotion.
Sécurité, nucléaire civil, vote des étrangers, immigration, mariage homosexuel... Il faut forcer le trait. Ou alors on joue sur la critique acerbe, systématique, exagérée... D'une manière ou d'une autre, il faut cliver, durcir les oppositions, faire saillir les antagonismes. La politique française devient un formidable exemple de ce que René Girard appelle « la crise mimétique » : désirant le même objet (les électeurs flottants), les acteurs politiques s'affrontent de plus en plus durement.
Cette violence n'est pas physique, heureusement, mais médiatique et mentale. C'est presque un réflexe pavlovien. Les responsables politiques semblent ne pas comprendre qu'ils contribuent ainsi à défaire le peu de confiance qui demeure à leur égard. Soit ils donnent l'impression qu'ils tentent de manipuler l'opinion sur des dossiers secondaires (non sans importance, mais semblant utilisés comme des écrans de fumée pour détourner l'attention). Soit ils mobilisent les passions sur des questions qui, à terme, ne laisseront pas place à de grandes différences, parce que les contraintes sont trop lourdes pour des virages aigus (comme c'est le cas, par exemple, du nucléaire). Au total, ils accroissent encore le nombre des Français qui doutent de leur capacité à faire la première chose qui importe face à la crise : rassembler. En mai, les électeurs pourraient donc non pas choisir celui qu'ils préfèrent, mais celui qu'ils rejettent le moins... Situation à haut risque !
De cette situation naît un danger encore plus grand. Le problème des crises mimétiques, c'est qu'elles tendent à se résoudre par la désignation d'un ennemi commun à qui l'on fait endosser la culpabilité de la situation. On voit bien que c'est aussi ce qui se cherche confusément, lorsque l'on se crispe sur les étrangers, sur l'islam, sur les récidivistes, ou maintenant sur la domination allemande. Les politiques devraient y prendre garde. Comment sera-t-il possible, demain, de surmonter les oppositions pour s'occuper de l'essentiel ? Comment apaisera-t-on les passions soulevées ? Comment réduira-t-on les antagonismes qu'on instrumentalise aujourd'hui ? À trop vouloir cliver, les politiques risquent d'injurier l'avenir.
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