dimanche 13 novembre 2011
Un saut dans le vide
Les pressions des marchés et des partenaires européens semblent sur le point de vaincre le coûteux acharnement de Silvio Berlusconi à rester au pouvoir. Mais sa sortie de scène ne suffira pas à résoudre la crise politique et sociale de l’Italie.
Il n’y a peut-être jamais eu autant d’attention pour l’Italie que dans la journée d’hier [le 7 novembre]. Non pas l’attention bienveillante que l’on réserve à un pays curieux, avec ses paysages et ses musées inoubliables, dont on sait qu’il ne respecte pas toujours les règles jusqu’au bout mais qui est doté d’inventivité et de souplesse ; mais l’attention froide et hostile de ceux qui considèrent que l’Italie est un risque pour tous, l’attention de ceux qui savent que de ce qui se passe en Italie peut dépendre leur avenir et celui du système global.
C’est l’attention de ceux qui ont assisté au désastre grec et qui savent qu’un désastre italien semblable serait bien plus grave, qu’il bouleverserait les équilibres économiques déjà précaires de toute la planète, et que, s’il se produisait, il entraînerait avec lui la France – qui, ce n’est pas fortuit, a publié hier son plan d’austérité avec une augmentation de la TVA [réduite] – et après la France, qui sait, les Etats-Unis. Les marchés pensent que l’Italie pourrait faire la différence entre un écroulement mondial et une reprise globale. Dans ces circonstances, Silvio Berlusconi a cessé d’être considéré hors des frontières comme un type un peu bizarre avec un penchant pour les blagues embarrassantes. Un voisin avec lequel, depuis quelques années, les chefs d’Etat étrangers évitent de se faire photographier.
Il est devenu une source, pour ne pas dire “La” source de risques, une mine flottante sur la mer en tempête d’une crise mondiale dont les proportions ne cessent de croître. Et voilà que les médias mondiaux, à commencer par Reuters et The New York Times, se demandent si c’est une "fin de partie" qui se joue pour l’Italie ; que le Wall Street Journal et le Financial Times découvrent combien l’image de l’Italie est stéréotypée et combien le reste du monde sait peu de choses de ce maillon de la chaîne mondiale devenu soudain le maillon faible.
Tandis que le reste du monde se pose des questions aussi graves, le Président du Conseil, plutôt que de s’occuper des affaires de l’Etat, est en réunion, dans sa villa D’Arcore, avec ses enfants et Fedele Confalonieri, le président de son groupe de communication Mediaset et qui siège au conseil d’administration des principales affaires de la famille. Pendant ce temps, les bourses, considérant que la démission du Cavaliere n’est plus qu’une question d’heures, exultent prématurément. Ensuite, le Président du Conseil reçoit les dirigeants de la Ligue du Nord, peut-être à propos de la mise en route des “réformes” (dont son allié, le chef de la Ligue Umberto Bossi, est le ministre en titre), ces réformes que les autres pays interprètent d’une manière si différente de la nôtre et que beaucoup en Italie, y compris dans l’opposition, espèrent ne devoir jamais faire. Ce n’est qu’après avoir aquitté ces tâches qu’il part pour Rome, remplir, une fois encore, sa mission de chef du gouvernement.
Le plan des intérêts personnels de Silvio Berlusconi serait-il donc antinomique par rapport aux problèmes européens et de l’économie mondiale ? Sans doute en a-t-il toujours été ainsi, mais le reste du monde ne s’en souciait guère, pas davantage qu’un grand nombre d’Italiens. Entre ces deux plans, le global et le personnel, se situe l’Italie. Une Italie contrainte à se faire dicter ses décisions politiques et à faire contrôler ses comptes par les marchés mondiaux parce qu’elle a du mal à payer ses dettes. Quant au reste du monde, il s’intéresse avant tout au programme du gouvernement italien, indépendamment de la couleur de celui-ci, alors que le monde politique italien s’intéresse surtout à la couleur de son gouvernement, presqu’indépendamment de tout programme.
Cette Italie se caractérise donc comme un vide : un vide politique, avec la démission annoncée, puis démentie du Président du Conseil, et avec une opposition incapable de tenir des positions suffisamment claires. L’Italie, malheureusement, apparaît aussi, et c’est peut-être là le plus préoccupant, comme un terrible vide social, avec pratiquement un jeune sur quatre – plus de deux millions de personnes en tout – entre 15 et 29 ans, qui ne travaille et ne fait pas d'études, comme l’a montré une récente étude de la Banque d’Italie, alors que le pays aurait grandement besoin de ce travail et de ces études.
Ce vide, risque d’entraîner l’Italie vers le fond. Tout d’abord, parce que c’est un vide qui coûte cher. Il est possible – – même si c’est compliqué – de calculer combien coûte au Trésor public chaque jour supplémentaire de présence, dans de telles conditions, de Silvio Berlusconi à la tête du gouvernement. Ce coût se mesure en termes d’augmentation du taux d’intérêts sur la dette italienne, qui est constamment révisée à la hausse, dévorant ainsi les bénéfices que devraient apporter au Trésor Public la récente augmentation de la TVA. Aujourd’hui, ce taux se mesure sur une base de 500 points de base, soit 5% de plus réclamés par le marché au titre de “prime de risque” pour acheter des titres de la dette italienne plutôt que des titres allemands. A cela s’ajoute un taux occulte, résultant de la perte de prestige et de crédibilité de l’Italie dans le monde de la finance, et pas seulement : un coût que les chefs d’entreprises connaissent fort bien et que dont reste du pays commence à prendre conscience dans toute sa gravité.
C’est ce vide que le Pays doit regarder en face. Tous les acquis du passé, des positions sur les marchés internationaux au poids politique au sein de l’Union européenne, aux “droits acquis” des travailleurs et des retraités, tout semble être aspiré par un tourbillon duquel nous ne commencerons à sortir qu’avec un changement de l’exécutif. L’erreur la plus grave serait cependant de croire que ce changement va suffire à résoudre miraculeusement tous les problèmes. Si tout se passe bien, nous aurons devant nous pour quelques lustres un chemin difficile et plein d’embûches.
Silvio Berlusconi n’est pas le seul chef de gouvernement à qui la crise aura fini par coûter son poste : selon La Vanguardia, son homologue espagnol José Luis Rodríguez Zapatero devrait subir quant à lui "une défaite électorale plus que sévère le 20 novembre prochain", bien que "par personne interposée". C’est en effet le nouveau chef du Parti socialiste Alfredo Pérez Rubalcaba qui porte les couleurs de la majorité sortante. A ce moment-là, note le quotidien, “ceux que l’on surnomme les PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne en anglais) auront écarté du pouvoir tous ceux qui étaient aux commandes lorsque le tsunami financier et la crise de la dette ont commencé. Pas un seul de leurs dirigeants n’aura survécu.” Si, comme les économistes et Angela Merkel elle-même l’ont prévu, "dix ans de souffrances nous attendent”, “un deuxième cycle de changement complet d’un bout à l´autre des PIIGS ne devrait pas être écarté", conclut La Vanguardia.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire