lundi 14 novembre 2011
La bête immonde rôde encore
La crise est aussi dans nos têtes. On se souvient que la culture européenne a pu être le berceau de la barbarie. Avons-nous compris quelque chose à l'histoire ?
Il y a des mots qui font peur et que l'on renvoie au passé du sable qui rassure les autruches... Les dictateurs charismatiques ne sont pas des détails de l'histoire. Des chefs qui fascinent des foules aveugles ont continué d'ensanglanter tous les continents. Mais l'on préfère parler d'extrémisme de droite et l'on hésite à parler de fascisme. Nous vivons avec l'assurance que les démocraties nous protègent... N'affolons donc personne avec ce gros mot. Et pourtant, « le bacille de la peste s'endort mais ne meurt pas », écrivait Camus, abondamment cité par Rob Riemen dans un essai venu d'Amsterdam (1).
Nietzsche avait compris l'enjeu de la décadence des valeurs, le danger du nihilisme qui prévaut quand la culture et la morale s'estompent, quand le goût de la vérité, de la justice, de la liberté qui créent de la beauté, cède devant la servitude des préjugés de l'ignorance : c'est la bestialité qui gagne et la liberté n'est plus alors que celle de vivre ses pulsions. Tout est alors permis. Surtout le pire sous la houlette du chef. Car c'est la masse qui prend le pouvoir au détriment de l'individu.
On peut se demander si les conditions de l'heure ressemblent à cela. La crise anesthésie l'humanisme européen, cette tradition qui permet l'épanouissement de l'homme libre et respectueux alors que les phénomènes de masse révèlent que l'homme perd son humanité sous la matraque insidieuse des modes et le poids des conformismes.
La multiplication du divertissement ne rend pas l'homme heureux mais crée de la frustration. Menno Ter Braak racontait cela dans les années 30 : le dysfonctionnement de la société et la crise économique jouent un rôle dans la montée du fascisme... Il se nourrit du ressentiment quand la société de masse souffre d'un vide spirituel, quand l'homme du peuple se sent trahi par les élites, quand la politique devient une rhétorique de la démagogie, quand le populisme et l'opportunisme sont des arts politiques. Et qu'avons-nous sous les yeux aujourd'hui : les tentations du nationalisme (contre l'Europe et pour cette curiosité qu'on appelle démondialisation pour ne pas dire préférence nationale), une frustration de pouvoir d'achat qui résonne avec une rigueur nécessaire à l'équilibre des comptes communs, sans oublier la haine de l'autre qui surgit à tout instant, y compris dans la tentation de l'islamophobie au nom de la laïcité ou le délire des sectes américaines.
Oui, la bête immonde rôde encore. « C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau », disait Primo Lévi. Et dès 1946 Churchill indiquait la voie : « Le remède contre la guerre est de récréer la famille européenne, une sorte d'États-Unis d'Europe ».
(1) Rob Riemen, L'éternel retour du fascisme, Nil, 80 pages, 9,50 €.
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