Kenneth Thompson, lui, s'installe au milieu des journalistes comme devant un tribunal de l'Histoire. Sa haute stature, son superbe costume gris, sa voix sans hâte malgré le boucan, évoque la légende de ces lawyers-pasteurs des droits civiques, les Martin Luther King, les Andrew Young, les Thurgood Marshall, et même son mentor, feu Johnny Cochran, ténor noir du barreau américain. "J'ai quelques mots à dire sur Dominique Strauss-Kahn et ma cliente, tonne l'avocat de la présumée victime, sa longue main levée comme pour donner le tempo de la colère. Car ce que l'on vous dit d'elle est un mensonge."
La demi-heure qui suit mériterait sa place dans la saga des insurrections américaines ; une plaidoirie de rue, un réquisitoire rageur et élégant contre ce qu'il dépeint comme les lâchetés de la justice politicienne. Son discours, scandé par instants comme un prêche, hypnotique, se veut aussi une courageuse profession de foi. Un mois plus tôt, cet avocat star, quadragénaire au visage trompeur de chérubin, semblait embrasser une nouvelle cause, exemplaire et limpide, en offrant gratuitement ses services à une immigrée illettrée contre un richissime potentat de la jet-set financière.
Le 6 juin, en s'asseyant au premier rang du public, pour entendre l'ancien patron du FMI plaider non coupable, Thompson s'offrait un putsch: le remplacement surprise des deux précédents lawyers de Nafissatou, Jeffrey Shapiro, un spécialiste des erreurs médicales engagé au départ après une simple recherche sur Internet par un proche de la victime supposée, et surtout Norman Siegel, activiste légendaire des droits civiques new-yorkais. Kenneth Thompson, révéré à New York depuis 1999, pour son rôle de procureur fédéral dans le procès de trois policiers tortionnaires d'un immigrant haïtien nommé Abner Louima, mettait une nouvelle fois sa réputation en jeu.
Mais voilà la plaignante désormais paria de l'opinion. Thompson a certes été sidéré en apprenant que Nafissatou Diallo avait touché de l'argent d'un dealer à la petite semaine, mais, en dépit des faiblesses de sa protégée, le récit du viol reste inchangé, comme les analyses médico-légales confirmant, selon lui, les violences. La femme de chambre guinéenne, engluée dans ses mensonges, lui a à nouveau demandé son soutien et promis qu'elle disait vrai sur DSK. "J'emporterai dans la tombe le souvenir de ce qui s'est passé dans cette chambre", lui a-t-elle dit.
Il a fallu du cran à ce fils de flic, devenu procureur fédéral à Brooklyn, pour s'atteler, en 1999, au réquisitoire contre les policiers ripoux de l'affaire Louima. Le Haïtien, victime d'une bagarre à la sortie d'un bar, avait été conduit au poste et soumis à des sévices affreux, sodomisé et éventré avec un manche de ventouse, dans les toilettes du commissariat. La plaidoirie de Thompson ne se contentait pas de stigmatiser une bavure, elle ouvrait le procès des abus de pouvoir du dernier mandat du maire Rudy Giuliani, et celui de la trahison, par les représentants de l'ordre public, des espoirs dejustice des immigrants. Le principal tortionnaire a écopé de trente-cinq ans de prison, et Louima reçu 8 millions et demi de dollars, lors d'un procès civil ultérieur.
Propulsé dans le privé, dès 2003, par sa nouvelle notoriété, Thompson aurait pu se contenter de faire fortune en traitant les litiges de Wall Street au prestigieux cabinet Morgan Lewis, s'il n'avait opté pour les procès en discrimination sexuelle et raciale, défendant des ouvrières contre le harcèlement de la direction de leur usine.
L'avocat, discret malgré ses faits d'armes, logé à l'époque à Brooklyn avec sa femme et sa fille, disposait déjà, depuis Louima, d'une ligne directe avec Charles Shumer, sénateur de New York, et l'indéracinable député Charlie Rangel. Ses relations s'étendaient jusqu'au département de la justice de George Bush, en la personne d'Alexander Acosta, chargé des droits civiques. A Brooklyn, son amitié avec l'imposant A. R. Bernard, pasteur du Christian Cultural Center, plaque tournante de l'intelligentsia noire de New York, a assuré la promotion du film de Beauchamp, la réouverture de l'affaire Emmett Till et celle d'une dizaine d'affaires classées depuis les années 1960.
"Ken est un mentor brillant et un leader, confirme Blanche Wiesen Cook, sa prof d'histoire du John Jay College, réputée pour ses recherches sur Eleanor Roosevelt. Il sait aussi que la lutte pour les droits civiques n'a fait que commencer dans les années 1960, et se poursuit aussi avec la défense des femmes et des immigrés. Il a eu le courage de se lancer dans l'affaire DSK, et je sais qu'il y a retrouvé sa cause."
1 commentaires:
Félicitations! Bien fait.
Si on lit les journaux français il est la seulement pour l'argent.
Dommage son parcours n'est pas connu en France.
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