Pourquoi les Français ont-ils eu autant de mal à accepter l’hypothèse, de plus en plus sérieuse, d’une culpabilité de Dominique Strauss-Kahn ? Lundi, en dépit de charges apparemment accablantes contre le directeur général du FMI, ils étaient encore 57 % à croire à une machination pour le faire tomber.
Comme s’il était inconcevable qu’un favori à la présidentielle puisse être capable d’une tentative de viol ! Il était forcément victime d’une manipulation... Ou alors, il y avait une provocation. Forcément une explication pour expliquer un geste «qui ne lui ressemble pas»: comme si on ressemblait à la face la plus sombre de sa personne ! Quant à la prudence de nos élites et de certains médias, au nom de la très respectable présomption d’innocence, elle a étonné nos voisins, surpris par la gêne et les périphrases des commentaires bien obscurs au pays des Lumières. Comme l’a souligné justement l’avocate et féministe Gisèle Halimi, la classe politique, toute en retenue, a donné l’impression d’être en quelque sorte solidaire du calvaire de l’un des siens honteusement livré en pâture aux caméras du monde entier «comme n’importe quel justiciable» (horreur suprême ?).
Cette attitude dominante a mis en évidence un trait psychologique embarrassant. Une certaine indulgence gauloise pour le «séducteur» un peu trop insistant dans lequel on refusait de reconnaître le harceleur occasionnel. Et une certaine insensibilité pour sa victime, une simple femme de chambre ravagée par l’assaut de son agresseur, et dont on met en doute la véracité du récit. Le scénario de la suite 2 805 du Sofitel de Times Square, pourtant, est probablement l’histoire tragique d’une obsession banale qui, cette fois, sous le jeu des circonstances, aura mal tourné.
Mais, à l’instar de BHL, nombreux sont ceux qui peinent encore à admettre qu’un surdoué puissant, brillant et apprécié de ses amis pour son tempérament sympathique - bref un membre de la caste dirigeante - puisse basculer dans quelques minutes de folie et se transformer en violeur.
Il s’agit bien d’un double déni. Celui qui serait prêt à passer en pertes et profits d’une ambition suprême, un de ces abus ancestraux que les femmes subissent dans toutes les civilisations. Et l’autre, qui refuserait d’envisager froidement le pire : la réalité d’une agression gravissime commise par un homme de pouvoir.
Cette attitude, à la fois machiste et corporatiste sans le dire, ne peut qu’accentuer la méfiance de l’opinion à l’égard d’un personnel politique désormais soupçonné de dissimuler ses pires turpitudes derrière de grands principes protecteurs. Et de faire corps en cas de tempête. Une vague d’interrogations qui déferle au pire moment sur une démocratie française fatiguée, vulnérable à tous les discours simplistes et prête, par lassitude, à se laisser abuser.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire