(1) Éditions Vendémiaire.
samedi 14 mai 2011
Ennemis combattants
C'est bien connu : quand on veut se débarrasser de son chien, on l'accuse d'avoir la rage.
C'est ainsi que l'on fit pour enfermer à Guantanamo des centaines de « suspects » arrêtés un peu partout dans le monde, souvent sans qu'il y ait d'actions répréhensibles prouvées. On ne voulait pas les traiter en prisonniers de guerre, car ils auraient ainsi échappé aux investigations et autres interrogatoires renforcés menés par les policiers américains. On les désigna donc du nom « d'ennemis combattants ».
Ce n'était pas la première fois que l'on inventait ainsi une sorte de catégorie pseudo-juridique pour pouvoir, en toute bonne conscience, priver quelqu'un de sa liberté et le garder à disposition. Ainsi, en 1945, après la reddition massive des soldats de la Wehrmacht, ceux-ci auraient dû être considérés comme des prisonniers de guerre. À ce titre, selon les conventions de Genève, après la fin des hostilités, il fallait les libérer dans les plus brefs délais.
Or, les pays qui avaient été des champs de bataille, comme la France, manquaient de main-d'oeuvre pour reconstruire et se remettre à flot. La France demanda alors aux Alliés de lui livrer un million sept cent cinquante mille hommes pour déblayer et déminer. Le haut commandement militaire allié ne voulait pas en livrer plus d'un million trois cent mille.
Ces discussions et marchandages étaient indignes : « L'idée même d'un transfert de prisonniers de guerre était en totale infraction avec les lois internationales en vigueur. Aucune convention, ni écrite ni coutumière, ne permettait de traiter ces détenus comme un butin ou d'en faire l'objet d'un transfert d'autorité », écrit Valentin Schneider dans son livre Un million de prisonniers allemands en France (1).
« Personnel militaire désarmé »
Pour tenter de dissimuler l'infraction massive aux conventions humanitaires internationales, les soldats captifs ne furent plus nommés « prisonniers de guerre » mais « personnel militaire désarmé ». Ainsi désignés, ces hommes ne relevaient plus du droit international. Ils ne pouvaient plus prétendre à un traitement humanitaire. En effet, ils n'étaient plus représentés par un État, étant donné que celui-ci n'existait plus. De ce fait, ils n'étaient plus autorisés à recevoir des visites du Comité International de la Croix-Rouge. Malgré les rappels à l'ordre de la Croix-Rouge, les Alliés continuèrent à entasser les personnes en question dans des camps souvent mal équipés, mal ravitaillés. Ils y moururent par milliers (au moins 24 000 dans les dépôts français, 5 000 à Rennes).
Pour en revenir à Guantanamo, voilà qu'on recommence à vanter l'efficacité des méthodes qui y sont en vigueur. Elles auraient permis la localisation et donc l'élimination de Ben Laden. Les dites méthodes, nous le savons tous, sont la pratique institutionnalisée de la torture, malgré son interdiction par toutes les instances internationales. Les représentants des États-Unis y ont fait référence ouvertement. Autrement dit, pour eux, la fin justifie les moyens. On se serait attendu à autre chose de la part d'une grande démocratie. En effet, quand la fin justifie les moyens, nous savons que le pire est sur le seuil de nos sociétés et à la porte de nos coeurs. C'est ainsi que commence le déclin qui mène au pourrissement et à la disparition des civilisations humanistes.
Le Président Obama avait manifesté la conscience qu'il avait de l'inhumanité de ces systèmes. Il avait annoncé la fermeture de Guantanamo. Pourtant, s'y trouvent encore aujourd'hui de ces « prisonniers combattants » qui, des années après leur arrestation, n'ont toujours pas été jugés et demeurent sans véritable statut juridique... Trois ans après cette promesse, Guantanamo reste pourtant en fonction, ternissant ainsi les étoiles du drapeau des États-Unis.
Comment on le voit, il est plus facile de mettre en marche des systèmes inhumains que de les arrêter.
(1) Éditions Vendémiaire.
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