mardi 28 septembre 2010
Comment taxer nos amis les riches
Voilà un crime presque parfait ! Alors que le bouclier fiscal est mort, les hommes politiques de gauche et aussi de droite continuent d'en débattre comme s'il était encore vivant, efficace, repoussant les flèches du percepteur. Certes, il existe toujours officiellement un dispositif plafonnant le prélèvement des impôts directs (impôt sur le revenu et sur la fortune, taxes foncières et d'habitation) à 50 % du revenu d'un foyer. Mais ce dispositif est ébréché par la loi sur les retraites, et il va l'être à nouveau par le budget 2011. Ceux qui continuent d'y croire raisonnent en technocrates obsédés par l'impact du troisième chiffre après la virgule. S'ils faisaient l'effort de se mettre dans la tête d'un citoyen fortuné, ils comprendraient aussitôt que le bouclier a disparu. Il faudrait être fou pour renoncer à s'expatrier vers des cieux fiscalement plus cléments au nom d'un bouclier encore neuf et déjà troué ! Le seul effet du dispositif pour les contribuables qui en profitent est désormais un effet d'aubaine.
On hésite toutefois à le dénoncer haut et fort. Car au pays du bricolage fiscal, quelques têtes bien-pensantes pourraient aussitôt imaginer des pansements pour boucher les trous d'un bouclier lui-même déjà conçu comme une compensation du stupide impôt de solidarité sur la fortune (ISF). A moins de dix-huit mois de l'élection présidentielle, il est hélas peu vraisemblable que l'on s'oriente vers la solution de bon sens qui consiste à supprimer le bouclier et l'ISF en relevant le taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu et éventuellement la taxation des successions. La solution est pourtant envisagée par des hommes politiques de droite et aussi de gauche. Qui savent bien qu'il resterait de quoi s'étriper sur les bancs de l'Assemblée à propos du relèvement du taux marginal à 50 %, de la création d'une supertranche surtaxée de revenus au-delà de 200.000 euros ou d'un accroissement des prélèvements sur les héritages pour s'aligner sur les normes anglo-saxonnes.
Avec la crise, la taxation des foyers aisés est redevenue un sujet brûlant. Aux Etats-Unis, Barack Obama veut supprimer les allégements d'impôts pour les Américains gagnant plus de 200.000 dollars par an. Au Royaume-Uni, le tory David Cameron a maintenu le relèvement de 40 % à 50 % du taux marginal de l'impôt sur le revenu décidé l'an dernier par le travailliste Gordon Brown. Il n'y a aucune raison que la France échappe au débat. Et il n'y a aucune raison que les riches français soient moins taxés que les riches britanniques. Au contraire : la France étant championne du monde de la dépense publique parmi les grands pays, elle doit aussi être championne du monde de l'impôt. Sauf à devenir championne du monde du déficit, titre périlleux en ces temps de marchés défiants.
Pour continuer à financer des mégadéficits, il y aurait bien une piste révolutionnaire, explorée par la France il y a un peu plus de deux siècles : l'emprunt forcé. Si l'Etat n'arrivait plus à lever des fonds sur les marchés internationaux, les contribuables seraient forcés de lui prêter de l'argent, dans une proportion augmentant en fonction de leurs revenus. En 1793, alors que les caisses publiques étaient vides, la Convention avait voté un emprunt progressif sur les revenus. « Tu es riche […], je veux que tu prêtes ta fortune à la République », avait lancé lors des débats le pourtant modéré négociant en toile Pierre-Joseph Cambon, financier réputé, celui-là même qui a donné son nom à la rue parisienne où est aujourd'hui installée la Cour des comptes. A l'époque, l'emprunt n'avait finalement pas pu être levé, comme le racontait à la fin du XIX e siècle le théoricien anarchiste Pierre Kropotkine : « Comment le prélever sur les riches qui ne voulaient pas payer ? La saisie ? La vente ? Mais cela demandait tout un mécanisme, et il y avait déjà tant de biens nationaux mis en vente ! » Aujourd'hui, il y a beaucoup plus d'argent qui circule. Il serait par exemple plus facile de créer une conduite forcée sur les tuyaux par lesquels les Français épargnent 200 milliards d'euros par an. L'emprunt forcé, une idée baroque ? C'est pourtant exactement ce que sont en train de faire les Etats avec les nouvelles règles de prudence imposées aux banquiers et aux assureurs, qui vont de facto les contraindre à acheter davantage d'obligations notées AAA -c'est-à-dire émises en très grande majorité par… les Etats.
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