TOUT EST DIT

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samedi 24 juillet 2010


Comment la France a ruiné son agriculture

La mondialisation a déclenché une nouvelle révolution agricole. Du côté de la demande, la consommation alimentaire explose avec la croissance et l'enrichissement de la population mondiale. La Terre comptera 9 milliards d'hommes en 2050 contre 2,5 milliards en 1950, dont une majorité de citadins ; leurs exigences alimentaires ne cessent de progresser en quantité (un Chinois consomme 59 kilos de viande contre 13 en 1980) mais aussi en qualité (laitages, fruits et légumes) et en sécurité. Du côté de l'offre, cinq évolutions se font jour. La tension entre la population et les ressources, notamment en Chine, qui abrite 25 % de la population mondiale mais ne dispose que de 9 % des terres arables et 7 % des réserves d'eau. Le développement d'une agriculture offshore avec l'achat ou la location de terres (20 millions d'hectares depuis 2006, en majorité en Afrique, qui représente 80 % des espaces disponibles) par la Chine, la Corée du Sud ou les pays du Golfe via leurs fonds souverains. L'émergence des superpuissances agricoles du Sud, à l'image du Brésil, qui se positionne comme le nouveau grenier du monde et plus largement de l'Amérique latine, dont les exportations vers l'Europe sont passées de 17 à 25 milliards d'euros depuis 2000. L'intensité de l'innovation dans un secteur décisif tant pour l'alimentation que l'énergie avec les substituts aux matières fossiles. Enfin, la contrainte écologique avec la nécessité de produire plus tout en protégeant les terres, les ressources en eau et en énergie, la qualité de l'air et la santé des consommateurs.

En dépit de leurs atouts et du dynamisme de la demande, l'agriculture et les agriculteurs français sont sinistrés. Le secteur, qui génère 4 millions d'emplois, constitue un pilier majeur de l'économie française. Il dispose du meilleur potentiel en Europe, alignant 30 millions d'hectares, des pôles d'excellence dans la consommation de masse et le luxe, une recherche traditionnellement forte, une industrie agroalimentaire et une distribution puissantes. Pourtant, ses performances se sont effondrées, avec une chute de 9,1 à 6 milliards d'euros de l'excédent commercial en 2009 qui ravale notre pays au troisième rang européen, très loin derrière l'Allemagne. Le décrochage est particulièrement brutal dans les céréales (- 24 %), les vins et champagnes (- 22 %, alors que la consommation mondiale a progressé de 15 % en une décennie), les produits laitiers et les fromages (- 16 %). Dans le même temps, le déficit se creuse fortement pour la viande (quand les exportations allemandes de porc ont bondi de 35 % en cinq ans) comme pour les fruits et légumes. La conséquence immédiate est une violente crise du revenu des agriculteurs, qui a diminué de 34 % en 2009 après avoir perdu 20 % en 2008, malgré le déversement de 11 milliards d'euros de subventions européennes. La compétitivité de l'agriculture française a été ruinée par l'étatisme, le malthusianisme et le protectionnisme promus par les pouvoirs publics et les syndicats. Au lieu de s'adapter à l'évolution inéluctable de la politique agricole commune en raison de l'élargissement et du redéploiement du budget de l'Union vers les politiques de soutien de la compétitivité, gouvernements et représentants du monde agricole ont lutté pour ériger l'agriculture et l'Europe en forteresses, coupées des marchés et des consommateurs. Les prix se sont envolés sous la pression des coûts du travail, de la multiplication des réglementations et des taxes, de la surévaluation de l'euro enfin. Le secteur est passé sous complet contrôle de l'Etat, qui mobilise un nombre de fonctionnaires supérieur à celui des exploitants pour gérer quelque 300 procédures de subventions accaparant le tiers du temps de travail des producteurs. L'économie subventionnée est allée de pair avec la promotion de l'agriculteur jardinier du paysage au détriment du producteur. Le Grenelle de l'environnement a porté le coup de grâce en interdisant de fait les OGM, provoquant le déclassement de la recherche française dans les biotechnologies.

L'agriculture, à l'image de l'appareil productif français, n'est nullement condamnée mais doit produire, investir et innover dans la mondialisation. Les exploitations doivent être concentrées et spécialisées, à l'exemple des pays d'Europe du Nord. Des filières de production ont vocation à être mises en place comme en Allemagne, avec une négociation contractuelle intégrant le partage de la valeur ajoutée. L'évolution des besoins et des goûts des consommateurs gagnerait à être prise en compte, notamment dans le secteur viticole, où la complexité des appellations et l'envolée des tarifs se sont conjuguées pour faire la fortune des exportations des Etats-Unis, de l'Argentine, du Chili et de l'Australie dont les parts de marché mondiales ont progressé de 20 à 31 % en dix ans. Les subventions européennes devraient être régionalisées, distinctes selon les types d'exploitations (intensives, intermédiaires, hors sol, touristiques...) et dirigées vers la production à travers le développement des mécanismes contractuels et des marchés. Enfin, la recherche et les investissements dans les biotechnologies doivent être libérés. L'étatisme et le corporatisme ont écarté l'agriculture comme la France du tournant de la mondialisation. Leur salut ne se trouve pas dans la réhabilitation de l'économie administrée, mais dans la reconstruction d'une offre compétitive tournée vers les consommateurs du XXIe siècle.

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