Le conseiller spécial du chef de l'État évoque le gel des dépenses publiques, la crise grecque et tire les leçons des trois premières années du mandat de Nicolas Sarkozy.
LE FIGARO. - François Fillon a annoncé jeudi un gel des dépenses publiques jusqu'en 2013. La gauche dénonce un «plan de rigueur». Que lui répondez-vous ?
Henri GUAINO.- La «rigueur», c'est l'ajustement économique par la baisse du pouvoir d'achat. Ce n'est pas du tout la politique du président de la République et du gouvernement. Une telle purge déflationniste casserait la reprise et creuserait davantage les déficits au lieu de les réduire. Quelle est la politique du gouvernement depuis trois ans ? Ne pas augmenter les impôts, investir, réduire les dépenses courantes, poursuivre les politiques structurelles pour rétablir la compétitivité de notre économie. Cette politique ne change pas. Ceux qui hurlent à la rigueur aujourd'hui, ce sont les mêmes qui voulaient doubler le plan de relance, et qui après vociféraient contre les déficits.
Depuis trois ans, le déficit s'est beaucoup creusé…
Comme dans tous les pays, parce que la crise a provoqué une chute des recettes fiscales et une augmentation des dépenses sociales. Il y a bien sûr aussi le plan de relance. Mais il a été ciblé sur l'investissement plutôt que sur la stimulation à fonds perdus de la consommation. C'est dire s'il n'y a eu aucun laxisme dans la gestion de nos finances publiques. Depuis trois ans, le gouvernement tient fermement le cap entre ceux qui veulent jeter l'argent par les fenêtres et ceux qui ne voient de salut que dans les politiques sacrificielles.
La situation de nos finances publiques n'est-elle pas dangereuse ?
Il faut apurer le passif de la crise, mais sans étouffer le retour de la croissance. Le mot d'ordre du président c'est : «Garder son sang-froid.» Plus le climat est à la fébrilité, plus c'est nécessaire.
La crise grecque ne pousse-t-elle pas à une politique plus restrictive ?
La crise grecque n'a rien à voir là-dedans.
Trois ans après, que reste-t-il de la rupture ?
La fin du renoncement : nous ne sommes pas condamnés à subir. Malgré les difficultés de tous ordres, malgré les crises sans précédent qu'il a dû affronter depuis trois ans, il n'a pas un instant dévié de cette ligne. Après tant d'années de renoncements, d'inaction, de résignation, pour moi, c'est l'essentiel.
Nicolas Sarkozy voulait incarner le volontarisme, ne découvre-t-il pas les vertus de l'humilité ?
Croyez-vous vraiment qu'il ait jamais pensé un seul instant que ce serait facile ? Croyez-vous qu'il ne savait pas que la France est un grand pays difficile à gouverner ? Que la France n'est pas une page blanche ? Croyez-vous qu'il ignorait que la France n'est pas seule au monde et que son sort est lié à celui des autres ? Il est au contraire le premier président de la République à tirer toutes les conséquences de la complexité du monde moderne, de l'Europe, de la mondialisation… Non pour se résigner à une forme d'impuissance mais au contraire pour en faire un levier. Il est le premier à tirer toutes les conséquences du fait que dans le monde d'aujourd'hui on ne peut plus séparer la politique intérieure de la politique extérieure. Je suis convaincu que l'histoire lui rendra justice sur ce point.
Mais avec le temps, ce volontarisme ne tourne-t-il pas à vide ?
Heureusement qu'il y a eu le volontarisme de Nicolas Sarkozy face à toutes les crises traversées depuis trois ans. Sans la France, sans Nicolas Sarkozy, la Géorgie aurait été rayée de la carte, il n'y aurait pas eu de G20, ni de réponse européenne à la crise financière, ni de plan de sauvetage de la Grèce. Où en serions-nous s'il n'avait pas décidé avant tout le monde de ne laisser tomber aucune banque ? Que ce serait-il passé s'il n'avait pas mis en œuvre le plan de relance en brisant tous les tabous de l'orthodoxie ?
Mais les Français attendent toujours des résultats concrets…
La crise est passée par là. Elle aurait été bien pire sans ce volontarisme. Comparez les indicateurs économiques de la France avec ceux de ses partenaires ! Mais le plus important, c'est le retour à une politique structurelle qui prépare l'avenir. Je pense au Grenelle de l'environnement, à la politique industrielle, à la recherche, à l'autonomie des universités, au fond stratégique d'investissement, à la suppression de la taxe professionnelle, au grand emprunt, à la réforme de l'État… Cela portera ses fruits.
Reconnaissez-vous, comme François Fillon, avoir commis des erreurs ? Le président ne s'est-il pas trop dispersé ?
Il fallait provoquer une masse critique de changements pour remettre la société et l'économie françaises en phase avec la marche du monde. Quand on recule sur tous les tableaux, il faut se battre sur tous les terrains. La carte judiciaire attendait sa réforme depuis des décennies, la fusion de l'ANPE et des Assedic était un projet de Philippe Séguin, ministre des Affaires sociales en 1986, la taxe professionnelle était déjà jugée comme un impôt imbécile par François Mitterrand !
Et la taxe carbone, remise à plus tard, devait être le début d'une révolution fiscale…
Nous ne pouvons taxer nos entreprises que si un mécanisme compensatoire aux frontières de l'Europe les protège contre la concurrence déloyale des pays pollueurs.
Le grand emprunt porte sur 35 milliards. Vous réclamiez plus. N'est-ce pas une déception ?
C'est une rupture considérable par rapport à l'habitude prise pendant des décennies de sacrifier l'investissement public. Pour la première fois depuis longtemps, on reconnaît que l'on paye les dettes d'hier avec les revenus de demain et que les revenus de demain ce sont les investissements d'aujourd'hui…
Le style du chef de l'État est constamment critiqué. A-t-il désacralisé la fonction ?
Jamais depuis des décennies la France n'a été aussi écoutée, aussi présente, aussi influente sur la scène du monde. Cela ne rend que plus extravagant le procès en illégitimité que font au chef de l'État certains médias et certains milieux qui n'ont jamais accepté son élection. À voir tous les jours ce qu'il donne de lui-même dans l'exercice de ses fonctions, je ne peux m'empêcher de me demander s'il faut chercher la cause des attaques incessantes dont il est l'objet dans la bassesse ou bien dans la dérive d'une société qui, en détruisant toute forme d'intimité, désacralise toutes les fonctions et toutes les institutions. Dans tous les cas, c'est inquiétant.
Dans un récent rapport, le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, décrit une société française au bord de la dépression. Cela fait-il partie du bilan ?
La dépression française est réelle mais elle n'a pas commencé avec Nicolas Sarkozy. Changer le rapport à l'avenir, c'est peut-être le plus grand défi que nous ayons à relever. Mais on ne change pas les mentalités, les représentations collectives du jour au lendemain.
Nicolas Sarkozy avait promis d'être le «président du pouvoir d'achat». Était-ce une formule malheureuse ?
Pas du tout. La question du pouvoir d'achat, comme celle de l'emploi, est au cœur du malaise français. Mais le pouvoir d'achat ne se décrète pas. La clef est dans la croissance, dans le partage de la valeur ajoutée, la revalorisation du travail, le recul du chômage… Si ceux qui travaillent sont de moins en moins nombreux et ceux qui sont à charge de plus en plus nombreux, c'est sans issue. C'est ce que Nicolas Sarkozy a toujours dit. Et je crois que de plus en plus de Français le comprennent. Depuis 2007, des heures supplémentaires au RSA en passant par la fin des 35 heures, le contrat de transition professionnelle, ou le cumul emploi-retraite, toute la politique économique et sociale va dans ce sens.
La crise de 2008 n'a-t-elle pas invalidé le projet de 2007 ?
Bien au contraire. A-t-il jamais été plus nécessaire de réhabiliter l'effort, le travail, l'esprit d'entreprise face à la spéculation, à la rente, à l'assistanat ? A-t-il jamais été plus urgent de restaurer la prééminence de l'économie réelle, de mettre en œuvre une politique industrielle, de sauver notre agriculture, d'investir à long terme ?
La crise grecque et ses risques de contagion ne démontre-t-elle pas que tout reste à faire en matière de régulation ?
Elle montre que tout le système financier, bancaire et monétaire doit être remis à plat. C'est dire ce que sera la responsabilité de la France pendant l'année où elle va présider le G20 à partir de la fin 2010.
Cela ne met-il pas en lumière les graves problèmes de gouvernance de la zone euro ?
C'est une évidence constamment rappelée par Nicolas Sarkozy depuis trois ans et qui commence enfin à s'imposer. Mais le problème n'est pas qu'institutionnel. Il nous faut aussi sortir des manières de raisonner, de penser qui nous ont menés au désastre de 2008. Sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Nicolas Sarkozy a beaucoup parlé de nation, de République. Finalement, la loi sur la burqa devrait voir le jour. Avec un risque juridique, puisque le Conseil constitutionnel pourrait la déclarer non conforme. N'est-ce pas un exemple de ces postures qui ne débouchent sur aucun changement concret ?
On disait la même chose pour le foulard à l'école… Si la burqa est indigne, contraire à nos mœurs, à nos valeurs, alors, la seule attitude cohérente est de l'interdire. C'est cela la République. Et chacun doit prendre ses responsabilités. C'est ce que fait le gouvernement. Je voudrais dire que derrière la burqa se trouve posée une question essentielle pour notre avenir : à la fin des fins, dans quelle société voulons-nous vivre ? Oui ou non voulons-nous la République ? Oui ou non refusons-nous le communautarisme ? Oui ou non voulons-nous l'égalité de l'homme et de la femme ? Oui ou non voulons-nous défendre notre identité, notre modèle de civilisation, notre conception de la laïcité ? Le moment est venu que chacun réponde.
Le président avait annoncé le retour de l'autorité et la liquidation de «l'héritage 68». Y êtes-vous parvenus ?
Toutes ces notions sur lesquelles l'idéologie de Mai 68 avait jeté l'opprobre - l'autorité, mais aussi le mérite, le travail, le devoir, la nation - Nicolas Sarkozy les a remises au centre du discours et de l'action politiques. Songez d'où l'on vient, et ce qu'était le politiquement correct d'il y a encore à peine quelques années.
Après trois ans à l'Élysée, éprouvez-vous de la lassitude ?
Il reste encore tant à faire…
lundi 10 mai 2010
Henri Guaino : «Il faut garder son sang-froid»
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