Les électeurs irakiens ont-ils bravé les menaces d'Al-Qaida, le 7 mars, pour voir leur classe politique se déchirer autour des résultats ? Ces élections, les premières dans un contexte de départ des troupes américaines, étaient pourtant annoncées comme cruciales. La participation massive des Arabes sunnites, qui avaient boycotté le scrutin de 2005, ne leur conférait-elle pas un caractère prometteur ?
Les deux listes arrivées au coude à coude en tête du scrutin, celle de l'État de droit du Premier ministre, Nouri Maliki, et le Bloc iranien d'Iyad Allawi, tous deux chiites, s'accusent mutuellement de fraudes. Des fraudes, il y en a eu certainement, ne serait-ce que lors du vote des prisonniers, des Irakiens de l'extérieur et des forces de sécurité. Les voix ont été achetées par les uns et les autres. Il sera difficile au prochain Premier ministre d'asseoir sa légitimité avec un scrutin aussi serré.
Le système électoral irakien, basé sur la proportionnelle intégrale, interdit toute majorité et impose des coalitions. La course aux combinaisons est donc lancée. L'Alliance nationale irakienne (coalition de partis religieux chiites) et la coalition kurde sont donc sollicitées par les listes arrivées en tête.
Après avoir hésité entre Allawi et Maliki, les partisans de Muqtada al-Sadr, qui ont été durement réprimés par les deux prétendants au poste de Premier ministre, ont présenté leur propre candidat pour diriger le futur gouvernement. Leur partenaire au sein de l'Alliance nationale irakienne, le Conseil supérieur chiite, avait été le principal artisan de l'accord entre chiites et kurdes pour se partager le pouvoir. Or, ce parti religieux chiite a mordu la poussière lors des élections. Dès lors, que reste-t-il de l'attelage entre chiites et kurdes ?
L'essentiel semble ailleurs. L'Irak illustre, une fois de plus, qu'une élection ne fait pas la démocratie. Surtout lorsque les enjeux ne sont pas démocratiques. Le ras-le-bol des partis religieux chiites au pouvoir, rendus responsables de l'insécurité et de la guerre confessionnelle de 2006-2008, a suscité une forte abstention en pays chiite. La liste de Nouri Maliki y est arrivée la première, notamment dans les grandes villes et même dans les villes saintes chiites. Iyad Allawi a profité de ce désenchantement chiite et, surtout, il a reçu le soutien des Arabes sunnites. Ceux-ci ont voté en masse pour un chiite (laïc) réputé proche des Américains et hostile à l'Iran, car aucun leader ne se détachait dans leur rang.
Du coup, Nouri Maliki est renvoyé à une posture dont il essayait désespérément de sortir : celle du représentant des chiites. Car il ne lui reste plus que l'alternative d'une alliance avec la coalition des partis religieux chiites. Et encore... Sa liste pourrait bien le rejeter comme futur Premier ministre pour parvenir à un tel accord.
Les enjeux des élections n'étaient donc pas démocratiques, mais bien communautaires. Les listes arrivées en tête ont eu beau clamer leur volonté de sortir du lien religieux, elles sont condamnées à y revenir. Les sunnites n'accepteront jamais de vivre comme une minorité en Irak et leur vote pour un chiite «laïc», qui se veut l'ennemi du confessionnalisme, est bien un vote... confessionnel. Les Américains rapatrient leurs Gi's, mais ils laissent derrière eux une armée de mercenaires, et un système politique qui ne permettra pas aux Irakiens de retrouver leur souveraineté.
(*) Chercheur au CNRS, historien de l'islam contemporain.
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