« Sud Ouest ». En l'état de votre connaissance du dossier, où en est-on aujourd'hui de la réforme des collectivités territoriales ?
Alain Juppé. Cela évolue tellement vite... Ont été dissociés plusieurs aspects puisque la partie fiscale avec la réforme de la taxe professionnelle est dans la loi de finances. En revanche, la loi électorale n'est prévue nulle part. Or, c'est un des éléments essentiels de la réforme. Restent les principes qui seront fixés dans le texte envoyé au Sénat et qui paraissent très en retrait par rapport à ce qui était envisagé au départ. Il n'y a qu'un point dur qui semble pour le président de la République non négociable : c'est l'élection des conseillers territoriaux. Ce sera un changement très profond, justifié par deux motifs. Le premier, quelque peu démagogique, est de diminuer le nombre d'élus ; ce qui fait toujours plaisir. Le deuxième est d'amorcer le rapprochement entre la collectivité régionale et la collectivité départementale. Mais beaucoup dépendra de la loi électorale, pour mesurer l'impact de cette réforme. Comment ces conseillers seront-ils élus, on ne le sait pas. Était prévu, initialement, un système dual entre le milieu rural avec des cantons revus et corrigés transformés en circonscriptions territoriales, et un système de scrutin de liste en milieu urbain. Or, cela semble poser un problème de constitutionnalité. Il faut attendre la loi qui n'est pas déposée.
Se pose aussi la question des transferts de compétences. Cela est-il tranché ?
Il s'agit plutôt de définir les blocs de compétences entre Région et Département et la question de la clause de compétence générale enlevée ou non. On va voir jusqu'où le Parlement est prêt à aller, ce que le gouvernement pourra obtenir en particulier du Sénat dont une grande partie est hostile à la disparition de la clause de compétence générale des départements. La bataille va être rude.
Et concernant les nouvelles compétences des agglos ?
On est là encore très en retrait par rapport à ce qui était envisagé. Le transfert de compétences du Département à l'agglo, en particulier l'action sociale, semble remis en cause. On en restera donc là. C'est tout de même les deux tiers du budget des Départements. Et, à l'intérieur même des agglos, tout ce qui devait réaffirmer la primauté de la métropole sur la commune a du plomb dans l'aile. Des élus de gauche comme de droite ont brandi l'étendard de la révolte, s'élevant contre la suppression de la clause de compétence générale. On n'aura donc pas le système des villes, fonctionnant comme des arrondissements à la parisienne, par rapport à la communauté urbaine qui devenait la collectivité de référence. À mon avis, on va en rester à un système peu différent de ce qu'il est.
Sait-on plus précisément comment seront élus les conseillers communautaires ?
On nous dit qu'en terme électoral, on fléchera les listes, ce qui permettra de respecter la parité. Ce sera un progrès mais cela ne transformera pas fondamentalement la nature de l'élection qui restera une élection commune par commune. Il sera difficile de faire émerger un débat et une légitimité communautaires, ce que je regrette.
Pouvez-vous préciser cette idée de fléchage ?
Sur la liste des municipales de Bordeaux comptant 60 conseillers municipaux, le fléchage concernera les 30 premiers qui iront siéger automatiquement à la CUB, alors qu'aujourd'hui, c'est le conseil municipal qui choisit les conseillers communautaires sans être lié ni par l'ordre de la liste, ni par la parité. Le futur système permettra certes d'individualiser un peu mieux les enjeux mais pas plus. Cela ne change rien à l'élection de l'exécutif. Enfin, on verra tout cela lors du débat parlementaire qui va durer longtemps. La réforme ne sera pas adoptée avant l'été 2010. Pour en revenir à la taxe professionnelle, cela ne va pas être simple. Là, il faut dire que le gouvernement cherche la provocation.
Pourquoi ?
Le premier texte évoquait une compensation mais dégressive. Moins 5 % chaque année pendant vingt ans. Dès la deuxième année, la CUB perdait plusieurs millions. C'est tout de même se foutre du monde. Le président Sarkozy avait promis une compensation euro par euro mais il avait oublié de dire pendant un an. Jeudi et vendredi, pour les Journées des communautés urbaines, cela va être un festival anti-gouvernement...
Vous serez présent ?
Bien sûr. Je fais l'ouverture. J'ai tout de même été président pendant dix ans et je suis vice-président.
Vous semblez très dubitatif sur cette réforme. Serait-ce une réforme pour rien ?
Non, ce n'est pas un bouleversement. Mais c'est toujours pareil avec Sarkozy, on vous dit que c'est une rupture avec tout ce qu'on a fait par le passé... C'est une transition. Cela peut effectivement faire évoluer le système notamment avec les conseillers territoriaux. Là, c'est vrai, ce sera un changement. Aujourd'hui, que ce ne soit pas les mêmes qui siègent à la Région et au Département, constitue un élément de blocage.
Dans une vision ambitieuse de rupture, quel aurait été le bon périmètre ?
Il y a plusieurs hypothèses, tournant toutes autour d'une cinquantaine de communes. Cela recoupe à peu près l'aire du SCOT (NDLR : le Schéma de cohérence territoriale). Au départ, la commission Balladur prévoyait un regroupement obligatoire. Cela a évidemment volé en éclats tout de suite. On revient au volontariat, c'est-à-dire au gel.
Quelle serait pour vous la grande métropole idéale ?
Je l'ai dit, je suis intellectuellement pour une grande agglo, puissante, avec un vrai exécutif communautaire, même si pour moi, c'est peut-être suicidaire... Autre péril : le nombre de vice-présidents va être diminué de moitié. Cela va nécessiter des arbitrages...
Plus globalement, le sujet qui me tient particulièrement à coeur et qu'Agora étudiera, est de définir ce qu'est une métropole durable. C'est un vrai enjeu politique. Est-on d'accord pour dire que le premier ennemi du développement durable, c'est l'étalement urbain ? Pour le combattre, il faut renforcer les centralités, notamment celle de Bordeaux. Il faut que la ville-centre se repeuple. On a fait exactement le contraire depuis trente ou quarante ans. Mon ambition, est que Bordeaux regagne 100 000 habitants. On peut construire 30 000 logements nouveaux. Mais cela est très lié au réseau de tram 2025. Or, ce qu'on nous a présenté ne nous convient pas parce que l'irrigation de la plaine rive droite n'est pas bien assurée. Je viens d'adresser une lettre à la Communauté urbaine cosignée avec les maires de Cenon, Bassens et Lormont.
Où en est le Grand stade pour Bordeaux ?
Alain Juppé dit n'avoir aucune garantie sur le niveau de participation de l'État. Il a demandé à celui-ci 50 millions d'euros pour un projet évalué entre 200 à 230 millions. « Mais, a-t-il précisé, plusieurs architectes disent que cela peut être moins cher, inférieur à 200 millions. Si tel est le cas, cela devient plus facile, le Club s'engageant sur 100 millions. »
Alain Juppé compte désormais sur la CUB, la Région et surtout le Département - où « le président Madrelle est en grève politique » - pour boucler le tour de table d'ici la fin du mois.
mercredi 7 octobre 2009
Réforme des collectivités territoriales : Alain Juppé ne voit pas venir la rupture
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