TOUT EST DIT

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samedi 24 octobre 2009

Pourquoi Axel Duroux a démissionné de TF1

Jeudi soir, après une semaine émaillée de conflits terribles, Axel Duroux, le numéro 2 du groupe TF1, a plié ses affaires et posé sa démission. Un départ express qui replonge TF1 dans ses tourments managériaux. Dans la nuit de jeudi à vendredi, la direction de la communication de TF1 peaufine une formule lénifiante pour tenter de masquer le fracas de ce départ : "TF1 et Axel Duroux ont décidé de se séparer d'un commun accord pour divergences de vues stratégiques sur la conduite de l'entreprise. Axel Duroux quitte TF1 ce jour." Le communiqué est adressé à la presse à 8 h 23.

La vérité, c'est qu'entre Nonce Paolini, le pdg, et Axel Duroux, son second, rien n'a fonctionné. Exigeant et fonceur, Duroux, transfuge de RTL, avait pris des habitudes de numéro 1 auxquelles il pouvait difficilement renoncer. Pour la première fois dans l'histoire d'une entreprise, le pdg et le dg possédaient "le même périmètre". De quoi s'étriper copieusement toute la journée. Cela n'a pas manqué. À peine Axel Duroux avait-il mis un pied à TF1, à la mi-septembre, que les premières frictions sont apparues .

Corse ombrageux contre "beau gosse" autoritaire

"Le conflit portait à la fois sur le style des deux hommes, leur philosophie de l'action et l'appréciation que chacun portait sur la situation de TF1", explique un proche des deux managers. Autant Duroux est rapide et brutal, autant Nonce Paolini est lent et consensuel. Mais, sous des dehors suaves, le Corse Paolini est un ombrageux qui s'offense vite. Quant à Duroux, sous une carapace de beau gosse bronzé et éternellement souriant, c'est un autoritaire qui dirige à la baguette. Le précipité est apocalyptique !

La divergence de vue entre les deux managers sur la situation de TF1 a donné lieu à des scènes d'un comique absurde. "Quand vous entrez dans le bureau d'Axel Duroux, au 14e étage de la Tour TF1, on vous dit que la chaîne va mal, qu'il faut agir vite et concentrer toute l'énergie des talents sur l'antenne et les programmes, explique un cadre de TF1. Mais si vous frappez à la porte à côté, chez Nonce Paolini, on vous explique qu'après l'embellie de l'été avec les succès de Secret Story et l'amélioration des recettes publicitaires, TF1 ne va pas si mal et que, ma foi, il n'y a pas d'inquiétudes à avoir sur l'avenir."
Naturellement, entre ces deux discours, les cadres de la maison ne savaient plus à quel saint se vouer. Ce que l'un décidait, l'autre le défaisait... Au bout de deux semaines, Duroux et Paolini comprennent qu'il va falloir être un peu plus clair dans la répartition des tâches. À Paolini, le business, à Duroux, la haute main sur les contenus. Chacun possède néanmoins un droit de regard sur le domaine de l'autre. Évidemment, ce rafistolage n'a pas tenu plus d'un mois. Et les tensions sont réapparues très vite.

Les limites du système Bouygues

Le rôle de Martin Bouygues, actionnaire de référence de TF1, est intéressant de ce point de vue. Tenu au courant des tensions, il convoque les deux hommes dans son bureau le lundi 5 octobre. "Mais il se garde bien de trancher", nous explique-t-on. En effet, pour Bouygues, le big boss, c'est Nonce Paolini, comme Patrick Le Lay avant lui. Dans la conception de l'entreprise selon Martin Bouygues, un pdg est le maître chez lui. C'est donc à Nonce Paolini et à personne d'autre de domestiquer la fougue de son numéro deux... Lui ne s'en mêle pas. Est-ce un tort ? En tout cas, il privilégiera toujours la fidélité d'un Nonce Paolini, grandi dans le sérail de la maison Bouygues, par rapport à une pièce rapportée, aussi brillante soit-elle.

On sera d'ailleurs très étonné d'apprendre que Nonce Paolini ne briguait pas la présidence de TF1... mais celle de Bouygues Télécom ! Une entreprise où il excellait au poste de numéro 2. "Quand Martin vous propose TF1, même si cela ne vous enchante pas, vous ne pouvez pas refuser", confie Paolini à ses proches. Martin Bouygues a sans doute commis ici sa plus grande erreur : après l'ère Mougeotte-Le Lay (un tandem qui a décimé la génération suivante), au lieu d'aller directement chercher un spécialiste de la télé extérieur à TF1, Bouygues préfère confier les rênes de sa filiale à l'homme qui a organisé les funérailles de son père Francis : Nonce Paolini... Fidélité, abnégation, discipline. C'est, à la fois, la force du système Bouygues... et aussi sa limite.

Ronald Blunden, l'entremetteur

Notons également un problème de timing qui n'a pas arrangé les choses : Paolini a fait appel à Duroux au pire moment pour TF1. Quand Duroux, à la fin de sa période de préavis chez RTL, prend ses fonctions, mi-septembre, Paolini est ragaillardi par un bel été. Il pense, à ce moment-là, que la présence de Duroux à ses côtés est, certes utile, mais moins urgente qu'auparavant. Il peste qu'on puisse présenter Duroux comme "Merlin l'enchanteur" ou "le magicien" ( sic ) tandis que, lui, pendant deux ans, a essuyé, seul, la mitraille... Le 26 août, la conférence des programmes de TF1 est hallucinante. Paolini rayonne tandis que Duroux, bloqué par sa clause chez RTL, est toujours contraint à l'inaction. Et le pdg pavoise, présente ses managers, répond à la polémique créée par les débordements de Secret Story... Pour la première fois, il sent qu'il maîtrise son métier. Sur Duroux ? Pas un mot...

Un désamour avant même leurs retrouvailles, quinze jours plus tard. Pour comprendre, il nous faut revenir en arrière. Nous sommes le 23 février, Nonce Paolini a le moral au plus bas. TF1 tombe en capilotade et accumule les bourdes depuis un an et demi. Ce jour-là, il déjeune au Lutetia avec son ami Ronald Blunden, ancien dircom' de TF1 passé chez Hachette. "Il faut que tu te fasses aider", suggère Blunden. Tu ne peux pas rester seul à la barre." Paolini regimbe : "Mais il n'y a personne..." Blunden lui jette un regard par en dessous : "Mais si, il y a quelqu'un..." Paolini soulève une paupière : "Oui, je sais, tu vas encore me parler d'Axel Duroux." Blunden est, en effet, l'ami des deux hommes. Duroux et Blunden ont été collègues chez IBM où tout deux travaillaient à la communication du groupe informatique américain. Paolini trouve alors toutes les bonnes raisons pour écarter l'idée que Duroux puisse être son numéro 2 : "Il est patron de RTL, il n'acceptera jamais d'être mon second. Et puis, il a gagné son procès contre Endemol. Il est riche. Pourquoi viendrait-il chez nous ?"

Le Lay et Mougeotte avaient fait le vide

Entre février et avril, la situation de TF1 empire. Martin Bouygues commence à se poser des questions. Il consulte les anciens, dont Étienne Mougeotte... Finalement, Nonce Paolini rappelle Blunden : "J'ai bien réfléchi. Je ne peux pas piloter le groupe tout seul. Qu'est-ce que ça me coûte d'essayer ? Essaie de tâter le terrain auprès de Duroux..." Ni une ni deux, Ronald Blunden décroche son téléphone et invite Axel Duroux à déjeuner, le 18 mai, à la Maison du Danemark, un restaurant chic sur les Champs-Élysées. Naturellement, Duroux réagit de manière intéressée... et n'est pas vraiment surpris que TF1 lui envoie Blunden en éclaireur. Cela fait quelques mois qu'il convoite de sauter sur la Une. D'autant plus qu'à RTL, filiale du géant allemand Bertelsmann, il sait qu'il se heurtera tôt ou tard à un plafond de verre : il a beau avoir stabilisé l'audience, il n'est pas Allemand. Ses perspectives sont limitées.


À l'issue de ce déjeuner, Duroux accepte donc de discuter avec Nonce Paolini. Blunden lui laisse le numéro de portable du pdg de TF1. Paolini aurait pu appeler Duroux et convenir d'un rendez-vous. Les choses ne se passent pas exactement ainsi. C'est à partir de là que deux versions circulent. Selon Nonce Paolini, Axel Duroux est son choix propre. Selon ses détracteurs, Martin Bouygues a imposé Duroux à Paolini... Nous ne trancherons pas, mais un détail paraît troublant : Duroux n'a pas de tête-à-tête avec Paolini avant de rencontrer Martin Bouygues. Curieux, non ? Un jour, Duroux reçoit un texto de Paolini qui l'invite discrètement à un petit-déjeuner avec lui-même et Martin
Bouygues. Pour des raisons de confidentialité, la rencontre à trois a lieu au siège du groupe Bouygues. "C'est l'entretien d'embauche le plus simple de ma vie", dira Duroux lorsque son transfert de RTL à TF1 sera rendu public, le 15 juin. Mais déjà, le hiatus existe : Paolini se cherchait alors un numéro 2 spécialisé dans les programmes, comme
l'était Mougeotte pour Le Lay. Pour Duroux, il n'en est pas question. Lui se voit comme un futur numéro 1, à la fois stratège et saltimbanque. Dans le plus grand secret, les deux hommes vont passer quinze jours à discuter le bout de gras. Duroux, se sentant en position de force, ne lâche rien. "On a pris la fonction de directeur général qui existait dans les statuts de TF1", expliquaient ses proches en juin. Voilà comment on aboutit à ce compromis bancal où le pdg et le dg ont les mêmes attributions stratégiques et opérationnelles. Cela ne pouvait pas fonctionner. Le départ de Duroux est aussi fracassant que son arrivée. Jeudi 22 octobre, les deux hommes se sont toutefois serré la main en se quittant. Un échec pour tout le monde, mais dont la responsabilité ultime repose sur les épaules de Martin Bouygues.

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