vendredi 5 septembre 2014
Déclin françaDéclin français : les déterminants politiques et éthiques (5) La démagogieis : les déDéclin français : les déterminants politiques et éthiques (5) La démagogieterminants politiques et éthiques (5) La démagogie
Comment la démocratie a-t-elle pu se pervertir jusqu’à la démagogie ?
Au cœur des interactions déterminant le devenir d’une civilisation se trouve le politique. Il interagit nécessairement avec l’économique, le social, le juridique et l’institutionnel. Quant à l’aspect éthique, il est indissociablement lié au politique qui porte les valeurs déterminant la vision de l’avenir et les modalités de l’action. Cinq concepts politico-éthiques constituent la base intellectuelle du déclin de la France au début du 21e siècle :l’idéologie, le dogmatisme, le repli sur les acquis, l’hédonisme et la démagogie.
Il existe probablement une contradiction fondamentale entre l’évolution économique de l’Occident et la démocratie. Les valeurs porteuses de démocratie sont centrées sur la vertu au sens le plus traditionnel : rigueur morale voire austérité, respect des principes et des formes, idéalisme.
L’évolution économique de l’Occident a conduit à une production de masse mal régulée et à l’addiction du grand nombre à de petits plaisirs inconsistants liés à la consommation de biens ou de services. La consommation devient pour beaucoup d’occidentaux un objectif : il faut posséder certains biens ou avoir accès à certains services (restaurants, voyages par exemple) et chacun sera jugé sur son habileté à les obtenir. N’a-t-on pas fait circuler l’information qu’un Président de la République française aurait prétendu que celui qui ne possédait pas une montre Rolex à 50 ans avait raté sa vie ? Peu importe d’ailleurs que l’information soit juste ou fausse : personne, pas même un Président de la République, n’est à l’abri de telle ou telle affirmation trop rapide et caricaturale. Ce qui est intéressant, c’est qu’un tel propos ait été relevé. Il pouvait être utilisé par les médias car il est significatif de l’époque et de ses valeurs : l’hédonisme, le matérialisme, la surévaluation de l’apparence.
Société du spectacle
Un tel terrain est particulièrement propice au développement rapide d’une plante très vénéneuse : la démagogie. L’aspect le plus visible de l’emprise de la démagogie sur la pratique politique des démocraties est sans doute le glissement de la représentation au spectacle. Nos démocraties sont traditionnellement des régimes représentatifs, c’est-à-dire que le peuple s’exprime par la voix de représentants élus (députés, sénateurs, élus locaux). Jusqu’au milieu du 20ème siècle, ces représentants n’avaient que des relations épisodiques avec leurs électeurs sous forme de réunions ou d’entretiens. Avec les moyens de communication de masse, l’élu est omniprésent, et cela ne concerne pas seulement les leaders politiques. Il devient indispensable de participer à des émissions télévisées ou radiodiffusées, d’avoir un site internet, de diffuser de la documentation écrite. La scène politique devient un spectacle permanent. S’adresser directement à ses électeurs peut avoir des effets positifs en permettant un effort explicatif sur des problèmes complexes. Mais la dominante a plutôt consisté à construire un message politique en fonction des sondages d’opinion.
Le modèle est l’étude de marché précédant la mise au point d’un produit : il s’agit de répondre aux désirs du client. En matière politique, on entre alors dans le populisme : l’objectif est de séduire l’électeur-client-spectateur en lui proposant un programme conforme à ses désirs latents et non plus de présenter un programme conforme à l’intérêt général. Le populisme est plus marqué aux extrêmes que dans les partis de gouvernement. En Italie, Silvio Berlusconi a été un exemple presque caricatural de populisme de gouvernement. En France, le Front national en est le représentant le plus emblématique. Il surfe sur n’importe quel thème porteur : l’émigration, l’insécurité, l’hostilité primaire à la construction européenne, et plus récemment les thèmes sociaux. Tout est bon pour capter un électorat.
La haine de la rigueur
D’une manière plus générale, on assiste à une incapacité du pouvoir politique à proposer un changement qui s’apparente même de façon très édulcorée à la rigueur. Quant au mot austérité, il est devenu une insulte imprononçable dans une société qui ne se caractérise pourtant pas par son académisme linguistique. La détérioration gravissime de la situation financière des États occidentaux au début du 21ème siècle permet de mettre en évidence l’extrême faiblesse des dirigeants politiques face à l’opinion. Les dettes accumulées, qui menacent l’existence même de certains États, devraient inciter à des mesures drastiques, surtout dans des sociétés riches qui peuvent aisément faire baisser leur niveau de vie pour retrouver une santé financière. On assiste au contraire à des hésitations, voire à des refus chez les dirigeants de réduire les dépenses publiques.
L’exemple de la France est particulièrement illustratif : le problème des déficits pourrait être vite résolu si on augmentait les prélèvements à large assiette, par exemple la TVA, la CSG, de quelques pourcents et si l’État supprimait de multiples interventions coûteuses et inefficaces. Mais le sujet est tabou, principalement parce que cela induirait une diminution de la consommation des ménages. Augmenter la TVA de 2 ou 3% changerait-il quoi que ce soit de significatif au niveau de vie des ménages ? Bien évidemment non. Mais la démagogie est devenue telle que l’adversaire politique pourrait utiliser l’argument et drainer un électorat supplémentaire de mécontents. Il faut donc, pour faire bonne figure, proposer uniquement du bonheur consumériste additionnel.
Les débats politiques médiatisés sont ainsi devenus d’une pauvreté conceptuelle affligeante et il est permis de douter qu’il en aille autrement dans le petit cercle des décideurs. Peu importe la faisabilité de telle ou telle proposition ou ses chances de pérennité à long terme, peu importe l’efficacité d’une mesure ; il s’agit de réussir sa communication et de transmettre un message simple de façon plaisante. Ne pas ennuyer, ne pas déranger, ne pas penser surtout : édulcorer ou caricaturer. Nous sommes face à des illusionnistes, à des magiciens, qui doivent enchanter ou assombrir le réel selon qu’ils exercent le pouvoir ou sont dans l’opposition. Il existe une véritable bulle de la communication politique, de plus en plus déconnectée de la description réaliste de la société. Internet accentue encore la tendance par la technique du buzz, permettant de diffuser rapidement et massivement une information ou un document, indépendamment de sa fiabilité.
La démocratie ne consiste pas à faire plaisir au peuple mais à le respecter. Elle n’a pas pour fonction de le rendre heureux mais de lui attribuer le pouvoir de décision. La démagogie consiste au contraire en faux semblants, en promesses sans lendemain, en mépris déguisé. Polybe, théoricien politique grec de l’antiquité (200-118 av JC) pensait qu’il existait un cycle des régimes politiques comportant six phases successives : la monarchie, la tyrannie, l’aristocratie, l’oligarchie, la démocratie et l’ochlocratie. Il semble que nous soyons en fin de cycle : selon les grecs anciens, l’ochlocratie est un état de décomposition de la société et d’affaissement moral qui aboutit à la disparition du pouvoir politique, jusqu’à ce qu’apparaisse un homme providentiel qui rétablit la monarchie. Est-ce là notre destin ?
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