mardi 5 août 2014
Hollande s'en va (épisode 2) : Opération «Titanic»
Seul dans son appartement, un jour de décembre 2015, Jacques Attali, assis à son piano, joue du Schubert. Soudain quelqu'un sonne. C'est François Hollande.
- Voilà, Jacques, je suis venu te voir parce que je ne sais plus très bien quoi faire…
- Ça, j'avais remarqué. Et je crois que je ne suis pas le seul…»
François Hollande s'était assis dans le petit fauteuil crapaud que lui avait indiqué d'un geste de la main Jacques Attali. L'ancien conseiller spécial de François Mitterrand avait pris place dans une large méridienne qui lui permettait d'allonger ses jambes tout en scrutant son illustre visiteur.
Entre les deux hommes, à même le parquet à chevrons, il y avait des feuilles, des classeurs, des carnets et des cahiers. Avant de s'asseoir, le président de la République, la tête baissée, avait jeté un regard rapide sur cette abondante littérature qui jonchait le sol, et dont l'auteur n'était autre que l'homme à qui il rendait visite. Il y avait une explication à ce désordre. Souvent, Jacques Attali, debout dans son salon, un stylo Montblanc à la main, écrivait fiévreusement trois ou quatre mots et se promettait d'en faire le titre de son prochain ouvrage. Puis, il laissait tomber à terre sa feuille ou son cahier, lesquels, avec les jours, s'accumulaient de sorte que le parquet en point de Hongrie était presque uniformément recouvert. Avant de s'exiler pour Kuala Lumpur, les occupants du quatrième étage s'étaient félicités du bouillonnement d'idées de leur voisin du cinquième, qui leur assurait ainsi une isolation phonique idéale.
En s'avançant vers le fauteuil crapaud, François Hollande, le regard en dessous, avait donc lu, en lettres énormes, ce qui était écrit au sol: Théorie du désastre, De Charybde en Scylla,Le Pire et le Super-pire, Fin d'un monde, fin du monde. Les sourcils en accent circonflexe, Jacques Attali observait le chef de l'État. Il était impressionné par sa pâleur, son regard perdu, sa fébrilité. «M. Petites Blagues est mort à jamais, se dit-il à lui-même. Il est passé de l'autre côté du miroir. Que dois-je faire? Le consoler? À quoi bon être consolant? Si je le console, tel que je le connais, il sera ragaillardi et recommencera demain les mêmes inepties. Non, je vais l'accabler.»
Comme il ne savait pas très bien comment commencer, François Hollande tenta un: «Ça va, Jacques?»
- Mieux que toi, mieux que la France!, répondit d'une voix glaçante Jacques Attali, qui soudain se leva, se mit à arpenter le salon et se sentit les élans d'un Grand Inquisiteur. La situation, TA situation, la voilà!»
Et ce fut un déluge: la ruine du pays, l'indolence des consciences, les zigzags commodes, la faiblesse générale, l'impéritie permanente, les révoltes qui partout montaient, l'angoissant ratio dette/PIB, les médiocrités arrangeantes, les compromis émollients, les Chinois qui s'émerveillent devant tant de faiblesses françaises, les Indiens qui se frottent les mains et bientôt achèteront l'Arc de triomphe. Et le Belize, enfin, qui, comparativement, s'en sort plutôt mieux que nous. Bref, ce fut un festival. Qui dura trente minutes. François Hollande, au fur et à mesure, se recroquevillait dans son petit fauteuil sans oser répliquer au Torquemada qui l'accablait. Puis, Jacques Attali se tut.
«Jacques, je sens bien que tu es énervé. Mais au moins, reconnais que je n'ai pas eu la partie facile, tenta le président de la République. Admets que Sarkozy m'a légué une situation désastreuse…
- Sarkozy a bon dos!», répliqua Jacques Attali, qui dînait de temps à autre avec l'ancien chef de l'État.
Seul dans la nuit, il descendait l'avenue Mozart, entrait dans la Villa Montmorency et refaisait le monde avec l'ancien président. Jusqu'à une heure avancée de la nuit, les deux hommes disaient du mal de François Hollande et s'esclaffaient au point d'en pleurer. Puis il rentrait chez lui dans l'obscurité et regagnait son immeuble désert.
Mais François Hollande poursuivait, d'une voix transparente:
«Tout fuit entre mes doigts. Tu comprends, dans ma vie, j'ai toujours réussi à me raccrocher aux branches, mais là, je n'y arrive plus. Pourtant, on essaie de faire bonne figure! Sapin a ordre de dire que la croissance repart alors qu'elle ne repart pas. Rebsamen a pour mission d'expliquer au pays que lorsque le chômage progresse, en fait, c'est parce qu'il baisse! Pour Cazeneuve, c'est pareil. La hausse de la délinquance est une illusion d'optique! Jacques, tu ne te rends pas compte! On ment tout le temps! On truque, on biaise, on feinte, on louvoie, on temporise. Nous sommes plus forts que Potemkine avec ses villages en carton-pâte qui charmaient tant la Grande Catherine. Mais on n'y arrive plus. Je suis venu te voir parce qu'à l'époque de François Mitterrand, tu étais très fort pour transformer les vessies en lanternes…»
- Mitterrand avait le supplément d'âme, toi tu ne l'as pas, répliqua sèchement Jacques Attali, fixant droit dans les yeux son visiteur. Il mentait, mais il avait le supplément d'âme. Toi, sur ce point comme sur tous les autres, tu es en déficit. Tu n'y peux rien, c'est comme ça.
- Mais enfin, le truc du “supplément d'âme”, c'était complètement pipeau!, rétorqua d'une voix faible François Hollande. Souviens-toi, Jacques! Mitterrand prenait un air grave, parlait du supplément d'âme, mais ça n'empêchait pas le chômage de progresser… Bref, c'était des mots, rien que des mots.
- Toi aussi, tu t'y connais en mots!, s'exclama Jacques Attali. Mais les tiens sonnent creux. Je me demande encore où tu es allé chercher ta fameuse “boîte à outils” -qui d'ailleurs ne marche pas. Tu n'es pas vendeur chez Leroy Merlin, François, tu es président de la République.»
À ce moment-là de son réquisitoire, Jacques Attali mit ses mains sur ses joues, ouvrit grand les yeux et changea le timbre de sa voix:
«Il faut transcender, sublimer, se situer au-delà, réinventer.»
François Hollande, on le comprend, était de plus en plus mal à l'aise. Jacques Attali, qui fut jadis à l'Élysée son supérieur hiérarchique, le renvoyait à toutes ses faiblesses. Tandis que Nostradamus une nouvelle fois se levait et arpentait la pièce, le chef de l'État ferma les yeux et passa en revue les événements des derniers mois. Nous étions à 3,5 millions de chômeurs et à 2100 milliards de dettes. Ministre du Travail,François Rebsamen s'était remis au tabac. «La CGT m'emmerde! FO m'emmerde! Ces syndicats à la con m'emmerdent!», criait, dans son bureau, cet ancien de la Ligue communiste révolutionnaire. Il fumait cigarette sur cigarette, prenait son téléphone pour incendier Thierry Lepaon ou Jean-Claude Mailly, mais rien n'y faisait. À toutes ses tentatives d'assouplissement du Code du travail, les patrons de la CGT et de FO disaient non. Le Canard enchaînél'avait mis dans une situation embarrassante en rapportant une exclamation qui, un soir de très grand emportement, lui avait échappé devant trois témoins: «Plus c'est de gauche, plus c'est con!» Il avait démenti, mais, comme on s'en doute, Thierry Lepaon et Jean-Claude Mailly avaient décrété ce jour-là qu'il fallait définitivement se méfier de lui.
François Hollande, les yeux toujours clos, pensa soudain à son ami Michel Sapin. Le pauvre. Il ferraillait avec la Commission européenne, qui lui reprochait l'insincérité des comptes publics français. De fait, le ministre des Finances était contraint chaque jour de mentir comme un arracheur de dents. Il faisait en permanence des allers-retours à Bruxelles pour présenter des graphiques tronqués. Certains, à la Commission, l'avaient surnommé «Séraphin Lampion», lui trouvant des ressemblances avec ce personnage de Tintin qui tente à tout instant de vendre ses polices d'assurance à ses interlocuteurs. Comme on s'en doute, ses démonstrations volubiles et mensongères avaient fini par lasser les commissaires bruxellois. En septembre 2015, une séance à la Commission avait fait grand bruit car elle avait duré très exactement quatre minutes. Transpirant à grosses gouttes, Michel Sapin avait pris la parole pour dire que «le retour aux 3% de déficit allait prendre finalement, et contre toute attente, un peu plus de temps que prévu», et il avait ajouté d'un air mi-espiègle mi-mystérieux: «Cependant, mesdames et messieurs, je pressens de bonnes surprises pour l'an prochain…» Il avait alors été interrompu par un brouhaha. «Ah non, il ne va pas recommencer!», avait lancé Jean-Claude Juncker, hors de lui. «Ça fait trop longtemps que la France nous bassine! Il nous prend vraiment pour des imbéciles. Dans douze mois, il viendra nous faire le même cinéma et nous demandera une année de plus! Assez!» La séance avait été levée. Dépité, Michel Sapin avait repris le Thalys et n'avait pas échangé un mot avec ses collaborateurs tout au long du trajet. Sauf en arrivant gare du Nord. Il s'était levé et leur avait dit: «J'ai l'impression que mon petit numéro ne marche plus, il va falloir trouver autre chose. Messieurs, je compte sur vous.»
Dans le salon, cependant, Jacques Attali continuait de parler tout seul. François Hollande l'interrompit.
«Jacques, dit-il, toi qui sais et devines tout, dis-moi: que va-t-il se passer dans les prochains mois?»
Jacques Attali s'arrêta, pivota sur lui-même et dévisagea froidement son interlocuteur. Il se chercha une expression du visage aussi inquiétante qu'il est possible.
«Tu me demandes ce qui va se passer? François, tu as vu le film Titanic ? Eh bien, ce qui va se passer, c'est la fin du film, en pire. Aucun canot de sauvetage pour personne. Tu comprends?
François Hollande était accablé. Nostradamus ne se trompait jamais. Il fallait donc trembler.
- Jacques, à ma place, tu ferais quoi?
La réponse fusa, glaçante et définitive:
- Je partirais.
- Euh… Que je parte de chez toi?, répondit, gêné, le président de la République.
- Non, de l'Élysée.
- Que je démissionne?
- Oui. Tu vois bien que tout est bloqué dans ce pays, et que tu es toi-même le blocage. Si tu restes, ce sera pour toi un long supplice. Déjà, au PS, les gens disent qu'il faut une primaire pour 2017. Tu seras obligé de t'y soumettre, toi, le chef de l'État, et tu seras laminé, par Valls ou par Montebourg. Évite-toi cette honte, épargne-toi ce déshonneur. Pour toi comme pour la France, c'est mieux.»
François Hollande ferma les yeux de longues secondes, blanc comme un linge. Puis, il se leva et reprit le casque qu'il avait posé par terre. Les deux hommes se dirigèrent vers la porte d'entrée, évitant là un cahier, là deux carnets à spirale. Jacques Attali ouvrit la porte.
«Merci, Jacques, pour tous tes conseils. Je vais réfléchir.»
Et le président de la République s'engagea dans l'escalier.
Jacques Attali referma la porte. Il se rassit à son piano. «Voilà une bonne chose de faite», murmura-t-il. Et il attaqua le deuxième mouvement en se promettant d'appeler Nicolas Sarkozy.
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