samedi 19 juillet 2014
Natacha Polony : « Mort aux Juifs », ou la banalité de la haine à Paris
C'est désormais une habitude: dans les rues de Paris, on peut crier «mort aux Juifs». Des manifestants veulent exprimer leur colère et leur frustration: «Mort aux Juifs!». Des gens entendent protester contre les bombardements meurtriers en Palestine décidés par un gouvernement d'Israël aux mains d'une droite de plus en plus dure: «Mort aux Juifs!». Une passante prend la défense de deux jeunes filles qu'un homme menace verbalement. Il se retourne contre elle, la traitant de tous les noms, puis la regarde attentivement et s'exclame: «Mais tu es une sale Juive! Casse-toi, sale Juive ou je vais te crever.» Et c'est le déferlement. «Mort aux Juifs!»
Qui aurait imaginé que dans les rues de Paris, en 2014, on pourrait rencontrer cette expression décomplexée de l'antisémitisme le plus violent? Il y a déjà quelques années que l'on entend des politiques déplorer mollement les «importations du conflit israélo-palestinien» sans que cela n'enraye en rien une mécanique qui dépasse de beaucoup les problématiques de politique étrangère.
Bien sûr, la politique d'Israël faite de poursuite de la colonisation et de militarisation des différends est insoutenable et suicidaire. Bien sûr, on aimerait une position ferme sur la scène internationale pour interdire ce mur inique qui coupe les villages palestiniens et ne respecte pas les frontières fixées par l'ONU. Bien sûr, on voudrait entendre davantage les voix juives dénonçant la politique de l'actuel gouvernement israélien. Bien sûr, on espérerait que certains n'assimilent pas toute critique de cette politique de l'État d'Israël, ou même toute critique à l'encontre d'une personne publique se trouvant être juive, à de l'antisémitisme. Bien sûr. Mais quel rapport avec les Juifs de France et la possibilité pour eux de vivre en paix dans une nation qui est la leur?
Il y a déjà plusieurs années que des professeurs alertent sur la montée d'un antisémitisme décomplexé dans certains établissements scolaires. Cela a commencé avec des usages du mot «juif» assimilé à une insulte: «Fais pas ton Juif»… Cela a continué avec des contestations de l'enseignement de l'holocauste. Et l'on peut considérer que cet enseignement a été mal conçu, faisant le choix de l'émotion pour frapper les esprits de jeunes au détriment parfois d'un enseignement appuyé sur la raison et l'analyse, peu importe. Il ne s'agissait pas de cela mais bien de propos négationnistes tenus par des jeunes gens expliquant benoîtement qu'Hitler n'avait pas «fini le travail». Quand un rapport d'un inspecteur de l'Éducation nationale, Jean-Pierre Obin, a relaté ces faits pour s'en inquiéter, il n'a pas été rendu public par le ministère de l'Éducation nationale. Ce n'est qu'un an après sa rédaction que des professeurs et des essayistes ont choisi de le publier. Réaction de toute une partie de la presse et des associations et syndicats? «Ce rapport n'a pas de valeur scientifique car il ne parle que de quelques établissements scolaires.» Allons, ce n'est pas si grave. Fermez le ban!
Ce qui se passait dans les établissements scolaires n'était que le reflet d'un climat plus général dont il aurait fallu s'alarmer. Au lieu de cela, on a pratiqué la dénégation. Il ne fallait surtout pas analyser ce phénomène car il eût fallu admettre que cet antisémitisme n'était pas le fait de la vieille extrême droite européenne, de ce «fascisme» devenu un épouvantail à force d'être invoqué pour décrédibiliser n'importe quel adversaire.
Cet antisémitisme-là marquait la jonction entre un antisionisme d'extrême gauche assimilant avec une facilité dangereuse la haine du capitalisme et la haine d'Israël et un antisémitisme historique de populations musulmanes déracinées et en quête d'identité. L'antisémitisme des banlieues a crû parallèlement à une radicalisation religieuse savamment entretenue par certains imams salafistes gracieusement fournis par des puissances du Golfe. Le drame des populations palestiniennes n'était alors qu'un opportun catalyseur. On aurait attendu une réaction politique. Impossible puisqu'il aurait fallu admettre que les victimes du racisme et de la discrimination pouvaient, elles aussi, incarner la haine. Lancer l'alerte, c'était déjà se voir soupçonné de stigmatiser des populations à qui l'on devait, par culpabilité, une déférence extrême. Pourtant, c'est dans les manifestations contre la loi sur les signes religieux à l'école, en 2003 et 2004, qu'on entendit les premiers «mort aux Juifs» de la part de gens qui faisaient passer l'affichage d'un islam instrumentalisé et militant pour une revendication de liberté.
Peu à peu, les positions se sont radicalisées. Quand Israël lançait il y a quelques années des campagnes pour inciter les Juifs de France à faire leur alya pour fuir l'antisémitisme, c'était intolérable. Peut-on encore le dire après Mohamed Merah et Medhi Nemmouche? L'antisémitisme d'extrême droite, lors de la manifestation «Jour de colère», a rejoint l'antisémitisme d'extrême gauche. De cette jonction terrible, nul ne sait ce qui sortira.
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