lundi 16 juin 2014
Petite histoire du droit de grève : si la CGT existe, c'est grâce aux libéraux !
En ces temps de perturbations ferroviaires et d'opérations escargot menées par les taxis, certains sont tentés de remettre en cause le droit de grève. Il n'est donc pas inutile d'en rappeler les origines historiques, pour mieux comprendre ce que la grève peut être, et ce qu'elle ne doit pas devenir.
Contrairement à ce qu'on peut lire parfois, les grandes luttes du 19e siècle sur ce front ont été remportées non par les socialistes, mais par les libéraux, qui à l'époque osaient encore revendiquer cette étiquette. La grande loi de 1864 reconnaissant le droit de grève avait pour rapporteur le libéral Emile Ollivier, tandis que la loi de 1884 autorisant les syndicats fut l'œuvre du député libéral Edouard Lockroy et du ministre de l'intérieur non moins libéral Pierre Waldeck Rousseau. Si aujourd'hui la CGT existe, c'est grâce aux libéraux!
Cette position fut largement inspirée par un discours retentissant du député et économiste libéral Frédéric Bastiat, prononcé à la Chambre le 17 novembre 1849. Bastiat entendait appuyer l'amendement Morin contre la répression des «coalitions industrielles» (autrement dit, des grèves collectives), qui sera finalement repoussé. S'opposant aux conservateurs, et s'inspirant des Britanniques qui avaient autorisé la grève une vingtaine d'années auparavant, Bastiat fonde son raisonnement non sur la lutte des classes, mais au contraire sur la liberté de l'ouvrier.
Interdire la grève, argumente Bastiat, c'est obliger au travail et donc, en un sens, rétablir l'esclavage. «Car qu'est-ce qu'un esclave, si ce n'est l'homme forcé, par la loi, de travailler à des conditions qu'il repousse?» Par ailleurs, comment admettre que la possibilité d'interrompre le travail soit accordée à un homme isolée tout en étant déniée à un groupe? «Une action qui est innocente en soi n'est pas criminelle parce qu'elle se multiplie par un certain nombre d'hommes», la possibilité de s'associer de manière volontaire étant au fondement même de la pensée libérale.
La grève est ainsi conçue comme une manière de faire jouer de manière continue l'offre et la demande (de travail), sans les limiter aux périodes de recherche d'emploi. «Si les ouvriers se sont concertés, se sont entendus et qu'ils disent: Nous ne voulons pas vendre notre marchandise, qui est du travail, à tel prix, nous en voulons tel autre, et si vous refusez, nous allons rentrer dans nos foyers ou chercher de l'ouvrage ailleurs, — il me semble qu'il est impossible de dire que ce soit là une action blâmable». C'est, en un sens, une accélération de la temporalité du marché du travail, qui permet de réévaluer et d'adapter en permanence le taux naturel des salaires.
Enfin, si la grève nuit parfois aux intérêts des grévistes eux-mêmes, qui perdent de l'argent et ternissent leur image, elle est censée les responsabiliser en retour. «Je suis d'accord, explique Bastiat à la tribune, que, dans la plupart des cas, les ouvriers se nuisent à eux-mêmes. Mais c'est précisément pour cela que je voudrais qu'ils fussent libres, parce que la liberté leur apprendrait qu'ils se nuisent à eux-mêmes». Renforcez le service minimum, et vous aurez des grèves continuelles, puisqu'elles deviendront indolores…
En revanche, Bastiat pose des limites à la grève: celles de la légalité et, bien sûr, du dommage à autrui (hormis l'employeur). «Vous avez demandé une augmentation de salaires, nous n'avons rien dit ; vous vous êtes concertés, nous n'avons rien dit ; vous avez voulu le chômage, nous n'avons rien dit ; vous avez cherché à agir par la persuasion sur vos camarades, nous n'avons rien dit. Mais vous avez employé les armes, la violence, la menace ; nous vous avons traduits devant les tribunaux.» L'abus de grève doit être réprimé. Ce serait le cas, par exemple, des opérations escargot des taxis sur les autoroutes, qui ne représentent pas un simple arrêt de travail («force d'inertie», selon Bastiat), mais une nuisance volontaire envers les usagers, et sont d'ailleurs très contestables en droit européen. Si les taxis se contentaient de faire grève, comme à Londres la semaine dernière, ils ne nuiraient qu'à eux-même: l'inscription à Uber y a augmenté de 850% en une journée!
Quid alors de la SNCF? Dans la ligne du raisonnement de Bastiat, je prônerais moins un service minimum, fondé sur l'argument toujours douteux de «l'intérêt général», qu'une ouverture rapide du rail à la concurrence, au nom de la liberté d'entreprendre. L'Allemagne l'a fait il y a déjà vingt ans, à la satisfaction générale. Et ainsi, les grèves pénaliseront davantage les entreprises que leurs usagers - ou plutôt, leurs clients…
Briser le monopole de la SNCF ne sera pas aisé. Rassemblons notre courage en concluant avec Bastiat: «La liberté peut réserver aux nations quelques épreuves, mais elle seule les éclaire, les élève et les moralise.»
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