lundi 17 mars 2014
Les paradoxes du genre
Les débats récents sur la question du “genre” font apparaître au grand jour un raisonnement répandu sur l’égalité entre hommes et femmes. Les inégalités constatées, notamment au travail, seraient le produit de la discrimination, donc de stéréotypes, qu’il faut s’attacher à déraciner dès le plus jeune âge. D’où l’utilisation d’une pédagogie qu’on a pu accuser de flirter avec les études de genre pour apprendre aux enfants que les choix professionnels “genrés” doivent être déconstruits. Ce raisonnement me semble prendre appui sur un constat erroné, celui de la discrimination systématique des femmes.
Malgré des décennies de lutte, d’accès à l’éducation et de promotion sociale, les femmes sont toujours moins nombreuses que les hommes dans le monde des affaires, les sciences dures, le droit, les sciences de l’ingénieur ou encore la politique. On comprend que cela provoque, chez les progressistes, un haut-le-coeur et un recours immédiat à la grille de lecture qui prévalait jusque-là : jusqu’à récemment, il y avait en effet des barrières véritables et injustes à l’accès des femmes à certaines fonctions. Mais les temps ont changé. Le passionnant ouvrage de Susan Pinker, The Sexual Paradox (2008), permet de comprendre dans quelle mesure.
Pinker s’attache à démontrer qu’hommes et femmes n’ont pas les mêmes intérêts. Alors que la majorité des enfants rencontrant des problèmes scolaires sont des garçons, ceux-ci finissent souvent par dépasser ces obstacles à l’âge adulte. Les hommes se tournent ensuite en majorité vers des domaines quantitatifs, où les interactions sociales sont plus faibles. Parallèlement, les jeunes filles, qui obtiennent en moyenne de meilleurs résultats que les garçons durant leurs études, finissent par choisir des emplois moins rémunérateurs, la naissance de leurs enfants accentuant cette tendance. Pinker cite aussi de nombreux exemples de femmes cadres dirigeants, parfaitement reconnues par leurs supérieurs, quittant des métiers trop contraignants pour leur préférer une activité leur laissant davantage de temps pour leur famille.
Comment expliquer ce paradoxe ? Pour Pinker, les deux sexes ne sont pas biologiquement équivalents et les différences sexuelles fondamentales — génétiques, cérébrales, hormonales — influent sur les choix professionnels. Par exemple, la concentration supérieure de testostérone chez les garçons explique largement les difficultés premières de ces derniers, et ensuite leur capacité à se concentrer de façon parfois obsessionnelle sur certaines tâches. L’ocytocine féminine, elle, explique la plus forte empathie ressentie par les femmes.
Pinker ne prétend pas que la discrimination ne joue aucun rôle, elle pense seulement que ce rôle est minime. Elle montre que les parcours que nous regardons comme le fait de cette dernière sont en grande partie le fruit de choix, donc que l’égalité entre les hommes et les femmes, tout à fait louable, ne peut signifier leur identité. La liberté existe, mais elle est ancrée dans un temps et un corps.
Par conséquent, l’idée que les femmes devraient poursuivre exactement les mêmes objectifs professionnels que les hommes est justement, selon Pinker, une vision paternaliste, qui repose sur la représentation de l’homme comme le standard de l’être humain.
Qu’en est-il alors de ces “stéréotypes” dont les femmes seraient victimes ? Bien sûr qu’il en subsiste. Mais ils déclinent à mesure que les femmes occupent des fonctions autrefois réservées aux hommes. Il est d’ailleurs étrange de voir ces impératifs gouvernementaux émerger à l’heure où la situation des femmes dans les pays développés n’a jamais été aussi favorable.
Certes, les conclusions de Pinker peuvent faire débat. Mais ses thèses méritent d’être regardées avec attention. Notre ignorance à leur égard me semble significative : nous nous intéressons peu aux études scientifiques sur les questions de société, surtout étrangères ; nous sommes souvent en retard d’une guerre, celle d’il y a quelques décennies, où les combats féministes avaient tout leur sens. Je crains que cette petitesse d’esprit ne nous soit un jour fatale.
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