samedi 29 mars 2014
De François Mitterrand à François Hollande : que reste-t-il de la France unie ?
De François Mitterrand à François Hollande : que reste-t-il de la France unie ?
Depuis le slogan «la France unie» qui avait marqué les élections présidentielles de 1988, ce thème s'est effacé du débat politique français, comme ringardisé. L'unité de la France est un principe fondateur essentiel de la Nation que l'on retrouve à toutes les époques. Sous l'ancien régime, elle s'incarnait dans la personne du souverain. «L'unité du Royaume» fut ainsi la priorité absolue deRichelieu. Elle fut la véritable obsession des républicains: «Messieurs, avant de faire une France grande, faisons une France une. Refaisons l'union de tous les Français. Reconstruisons le grand parti français sous les plis d'un drapeau qui puisse l'abriter, parce qu'il est le seul sur lequel, aujourd'hui comme au temps de l'invasion, tous les Français puissent servir avec honneur» déclaraitJules Ferry dans son discours du 17 octobre 1874. Cette aspiration s'exprime en permanence dans l'œuvre de Jules Michelet qui voit dans la France une personne et prône «l'unité de l'être». Elle atteint sa quintessence avec «l'union sacrée» de Raymond Poincaré, président de la République sous la bannière de laquelle la France entre en guerre le 4 août 1914. Le général de Gaulle voyait en elle la source de la grandeur et de la réussite, fustigeant au contraire la division: «Depuis l'aurore de notre histoire, nos malheurs furent toujours en proportion de nos divisions. Mais jamais la fortune n'a trahi une France rassemblée.» (discours de Vincennes le 5 octobre 1947).
Tout porte à croire que l'unité nationale est un principe dépassé, déconnecté du réel. La société française ne cesse en effet de se fragmenter, traversée de part et d'autres de profondes fractures laissant penser que les termes «République indivisible», inscrits dans la Constitution, ne sont plus qu'un slogan vide de sens: aggravation des clivages culturels, religieux, urbains ou de génération, chômage de masse qui creuse les différences entre métiers protégés et exposés à la précarité, entre la fonction publique et le privé, entre actifs et retraités, entre la classe moyenne et 5 millions d'exclus du monde du travail… L'attitude des responsables politiques amplifie les tensions qui minent la société française. La division et le sectarisme dominent leurs comportements. On comprend mieux l'effondrement de la participation électorale et la défiance envers le politique quand on voit des politiciens s'écharper sur les plateaux de télévision, quand des gouvernants (quels qu'ils soient) se défaussent de leurs responsabilités en se contentant d'accabler leurs prédécesseurs, où quand les milieux dirigeants versent en permanence dans la haine furieuse, la calomnie, la chasse aux sorcières et l'invective. Les élites politiques ont renoncé au débat d'idées pour s'abandonner à la guerre civile froide et à l'affrontement des ambitions individuelles. Les politiques, ces dernières décennies, ont mis l'accent sur la recherche du clivage, de la polémique, de la cassure.
Pourtant, «la France unie» n'est pas définitivement morte et enterrée et «un printemps français» ne peut venir que d'elle. D'abord, les Français dans leur ensemble aiment l'unité et la souhaitent dans leur vie quotidienne comme dans la vie publique. L'objectif n'est en aucun cas d'engendrer un consensus mou qui ferait le jeu des extrêmes. Dans une démocratie il faut impérativement une majorité et une opposition, des idées et des projets différents. Cependant, «la France unie» passe par un socle commun de valeurs, une règle du jeu fondée sur le respect mutuel et des objectifs communs, la possibilité d'alliances et de compromis sur certains points. Quelques sujets qui concernent l'avenir de la Nation pourraient être placés au-dessus des alternances et faire comme dans d'autres grandes nations européennes - le Royaume-Uni par exemple - l'objet d'une entente ou au moins d'une discussion entre les divers courants politiques: l'avenir de l'école, la maîtrise de l'immigration, la réussite de l'intégration, la sécurité. Bref, la «France unie» ne doit pas être seulement un mythe mais donner lieu à des réalisations concrètes. C'est aux politiques de donner un exemple volontariste, malgré une situation sociale qui semble plus propice à la division qu'à l'unité. Se trouve-t-il assez de lucidité dans la classe dirigeante pour en prendre conscience? L'évolution des institutions politiques avec la présidentialisation du régime aggrave la division. Quand le chef de l'Etat s'occupe de tout et gouverne directement le pays en appliquant la politique de sa majorité, il ne peut plus se placer au-dessus de la mêlée et s'exprimer en garant de l'unité nationale. La Constitution de 1958 distingue les rôles du président de la République, arbitre, guide de la Nation et du Premier ministre en charge de la politique quotidienne. Elle n'est plus appliquée depuis fort longtemps et cet oubli majeur contribue au sentiment de fragmentation du pays. Respecter la Constitution tout simplement serait un premier pas, même modeste, dans la bonne voie. La France unie sera-t-elle le thème majeur des prochaines grandes échéances politiques? Il serait temps d'y penser.
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