samedi 11 janvier 2014
Lakis Lazopoulos, le Coluche grec
C'est l'histoire d'un mec qui fait rire la Grèce d'elle-même. Tous les soirs à Athènes, Lakis Lazopoulos, le Coluche grec, joue à guichets fermés sa pièce Sorry, I'm greek. Il y tourne en dérision son pays en crise. Retour sur le parcours retentissant d'un humoriste très politique.
Tous les soirs de cette semaine de "fête officielle" pour cause de présidence grecque de l'Union européenne, le théâtre Bretania, au centre-ville d’Athènes et à deux pas de la place de la Constitution, refuse du monde. Alors, les spectateurs déçus s’installent sur le trottoir et improvisent des sketchs à la manière de Lakis, comme l'appelle affectueusement les Grecs.
Il égratigne les travers du petit peuple mais, surtout, peste contre ceux qui profitent de la situation: les créanciers étrangers ou le parti nazi Aube dorée. Lakis revendique le rôle social de son travail artistique.
Nous vivons une véritable catastrophe. Les Grecs se décomposent en tant que peuple. Comme le rire est le pendant de la peur, mon rôle est de faire rire, autant que cela est possible",
insiste le comédien.
Je vais directement au cœur de ce qui blesse et menace les Grecs. Je suis en quelque sorte le thermomètre qui prend la température populaire. Les gens sont dans un état d’ébullition avancé et sont très pessimistes pour leur avenir. Chaque foyer grec vit en ce moment une histoire désespérante. Cela constitue la source de tout mon spectacle".
Un spectacle au succès international. Le quotidien britannique The Guardian, qui vient de lui consacrer une pleine page, va jusqu'à le surnommer "l’Aristophane (poète comique grec du Ve siècle avant J.-C, ndlr) de la Grèce moderne en crise".
Ces représentations sur scène sont la suite logique du combat qu’il a mené des années durant, à la télévision cette fois, dans son émission phare 'Al Tsachtir' News (Nouvelles 'Va te faire foutre'), sur la chaîne privée AlfaTV. Chaque mardi, un quart du pays s’arrêtait alors de 21h à minuit pour suivre l’émission en direct: plus de 2,5 millions de téléspectateurs sur 11 millions d'habitants !
Sur le plateau: un public de 1 000 personnes, jeunes, personnes âgées, familles et élèves d’un collège ou lycée d’un coin chaque fois différent de Grèce brandissent des banderoles dans une atmosphère de concert, de piste de cirque et de meeting politique, on ne sait plus trop. Un concentré de la population grecque réunie dans une salle, riant à gorge déployée, souvent les larmes aux yeux, reprend en chœur les refrains. Le tout dans un décor où s’accumule un désordre très étudié, poubelles éventrées et barbecues fumants surplombés d'écrans de TV qui diffusent des reportages relookés grâce aux dernières trouvailles des jeux vidéo.
Sur scène, Lakis fait son numéro. Il alterne one-man show et saynètes caustiques jouées avec d’autres comédiens. L’humoriste a ainsi fait travailler de nombreux artistes grecs, désormais sans contrat, mettant ou remettant en selle jeunes talents et vieilles gloires oubliées. Ton corrosif et mordant, toujours empreint d’une profonde humanité, le comique passe l’actualité de la semaine en revue, décryptage acéré à mille lieux des éditos d’une presse grecque aux ordres. L’émission, jugée dangereuse par le pouvoir, a d'ailleurs été supprimée l’été passé, sans aucune justification.
Privé de ce contact galvanisant avec le public grec, l’artiste est donc parti en tournée dans toutes les villes européennes, où vit une diaspora grecque établie de longue date. À laquelle vient s’ajouter désormais une nouvelle émigration née de la crise, des jeunes diplômés surtout (le taux de chômage des jeunes en Grèce avoisine les 60 %), qui se sont entièrement retrouvés dans son spectacle Sorry, I’m greek: ceux-là connaissent bien tous ces clichés qui ont fleuri sur les Grecs ces dernières années, et dont l'humoriste fait le sel de son propos sans pour autant dédouaner ses compatriotes de leurs dérives consuméristes et clientélistes.
De retour en Grèce, il joue depuis la rentrée à Athènes et en région les jours de la semaine et le week-end. Refusant de changer de registre, assumant sa posture politique (à l’instar d’un Coluche ou d’un Pepe Grillo), il revendique sans fléchir le rôle subversif de l'art, son art.
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