Arnaud Leclercq est l’un des meilleurs spécialistes de la haute finance à l’échelle internationale. Il a tenu à se prononcer sur la crise économique qui est en train de dévaster nos pays européens.
Que pensez-vous de la crise économique et financière qui a frappé le monde de plein fouet ? En verra-t-on la fin ?
jeudi 3 octobre 2013
La Bérézina financière française
Arnaud Leclercq. « Vous avez quand même des pays européens, comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal et l’Irlande qui sont toujours dans une situation très grave… Si je prends la Grèce, notamment, j’avais précisé sur votre radio qu’ils ne vont jamais rembourser l’argent qu’on leur aura prêté ! Et c’est exactement ce qui s’est passé. Pour calmer les marchés et les gens on dit : « Voilà ! On leur prête, mais ça va aller mieux grâce à une petite austérité… » Mais jamais ce ne sera le cas. Déjà avant la crise la collecte d’impôts a été assez limitée. On dénotait déjà une sérieuse corruption et beaucoup de marché noir… Des secteurs économiques comme les armateurs, qui sont complètement exonérés d’impôts… Dans une situation qui était déjà un peu particulière, avec un pays qui a quand même triché sur sa comptabilité publique, comment du jour au lendemain, de surcroît en imposant une politique d’austérité très dure, peut-on prévoir une amélioration de la situation ? Plus précisément les banques de ces pays sont dans une situation extrêmement fragile ! Elles ont des bilans qui sont assez insuffisants. Ce qui fait que la Banque Centrale Européenne avec Mario Draghi, a assumé une politique similaire à celle des Etats-Unis. Un programme que l’on appelle LTRO qui consiste, grosso modo, à injecter beaucoup de liquidités dans le marché, ce qui est loin de donner la solvabilité. Et tout cela crée une illusion de solidité.
En résumant vous avez des banques européennes même dans les pays a priori insoupçonnables et insoupçonnés plus risqués qu’on ne le croit communément. Si vous prenez par exemple la Deutsche Bank, son bilan de 2 trillions d’euros est leveragé 49 fois pour un bilan de 56 milliards seulement. La situation des banques européennes, y compris les plus solides est encore fragile. Il est clair que les banques doivent poursuivre la réduction de leur bilan. Mais pour l’instant on en est encore très loin.
Les problèmes fondamentaux sont toujours là. Vous avez un chômage qui, dans certains pays, atteint 25 % de population active. En Espagne, on parle de 30 à 33 % des jeunes sans emploi ! Au-delà des drames sociaux que cela engendre, il y a un coût pour l’économie par ce qu’il faut les nourrir et leur donner des subventions… Et comme on sait, les sans-travail ne paient pas d’impôts !
Néanmoins, des pays comme l’Espagne et la Grande-Bretagne vont sans doute dans la bonne direction. Ils ont réduit le coût du travail et ont allongé sa durée jusqu’à l’âge de la retraite. Ils essaient de réduire le coût de l’Etat… D’un autre côté, vous avez la politique économique de la France qui va à l’encontre de la réalité et du bon sens à beaucoup d’égards : le budget de l’Etat s’est finalement assez peu réduit et la fiscalité atteint des niveaux record. Et puis le niveau de confiance des investisseurs et des citoyens est compromis. Cela se traduit par une réduction des investissements et de la consommation.
Pour simplifier, l’une des raisons de la crise mondiale a été un endettement progressif des Etats ou de la population, suivant les cas, mais pour finir un endettement abyssal des Etats. Les banques prêtaient et la consommation tant des entreprises que des particuliers s’est faite surtout grâce à l’emprunt pour s’acheter l’électroménager, des maisons, etc. Cela ne s’est point fait grâce à l’argent thésaurisé. Je constate sur ce plan une nette amélioration, car les banques ont progressivement fermé le robinet... mais cela va réduire la consommation et le secteur immobilier est déjà en baisse. Dans un pays comme la France, vient se greffer sur ce contexte le manque de confiance qui rajoute une couche supplémentaire. Comme le bilan est assez négatif, le résultat sera malsain. On fait moins confiance. On consomme moins et les banques sont dans l’obligation de réduire leur soutien à l’économie en diminuant leur bilan.
Aux Etats-Unis le problème du crédit n’est pas réglé non plus. Les entreprises américaines sont à un niveau de dette extrêmement important et qui est maintenu à un niveau record pour les trente dernières années. Les dettes de l’Etat et les dettes des entreprises sont au plus haut aux Etats-Unis. Sans vouloir donner une image par trop négative, on peut ajouter qu’en Chine, la dette du secteur privé, contrairement à ce que l’on entend malheureusement trop souvent, est très élevée ! Dans certains domaines, l’usine du monde qu’est devenue la Chine, se retrouve avec une surcapacité de production qui n’est pas compensé par le marché intérieur. »
Commentaires de l’Auteur. Pas de doute, Arnaud Leclercq s’y connaît en macroéconomie et il ne craint pas pour son avenir parce qu’il a su se tourner tout jeune en direction de la Russie et puis du Proche-Orient. Il faut dire que la conjoncture financière actuelle est largement tributaire du modèle spéculatif anglo-saxon que le monde occidental a hérité après la conférence de Potsdam en 1945. Les vainqueurs ont imposé leur propre doctrine économique basée sur une consommation débridée, à cent lieues d’une Europe un peu paysanne vivant avec son livret d’épargne sous le matelas. Il ne faut point oublier que l’économie américaine est parasitaire parce qu’elle s’est faite sur le dos des esclaves et à coups d’un génocide sans précédent de la population indigène. Ensuite elle a largement profité de la Première Guerre mondiale en restant éloignée de la zone du conflit mais en s’engraissant sur les commandes militaires. La Seconde Guerre mondiale lui a permis de retrouver sa santé économique ébranlée par la Grande Crise. Et après 1945, la partie occidentale du monde lui a été donnée en pâture. Copier ce modèle pour une France basée sur d’autres valeurs s’est révélé plus que néfaste. La note est salée et le client est bon pour aller dans la cuisine et faire la vaisselle du chef. Et le plus dramatique est que les Etats-Unis s’en retrouveront bien aise, car les guerres profitent à cette puissance sangsue.
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