jeudi 3 octobre 2013
Hollande, un président de plus en plus "maxi-énervé"
Comme ce 18 septembre, au matin. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, déclare, dans une interview à Metronews, que 2014 sera une année de "ralentissement pour aller à une pause fiscale[...] effective en 2015". Or, cette fameuse "pause fiscale", lui, le président de la République, l'a promise dès l'an prochain. Encore un bug! Au début, le chef de l'Etat prend sur lui. Il préside le Conseil des ministres à 10 heures comme si de rien n'était. Mais rapidement, les digues de la placidité se fissurent.
Un séminaire sur l'industrie numérique est programmé dans la foulée, à 11h30. Une poignée de ministres reste donc sur place. Seulement la réunion ne peut pas commencer. Il manque François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Les participants se regardent, éberlués, sans comprendre. Dix minutes, vingt minutes, trente...
Quand le couple exécutif fait enfin son apparition, le président affiche une moue renfrognée. Il s'assoit et commence à feuilleter le fascicule à la couverture bleue qui lui a été distribué. Il s'agit d'un résumé, fait par le gouvernement et des diplomates de l'Elysée, de la position française dans les négociations européennes sur l'avenir du numérique.
"Je ne comprends rien à la première partie, râle-t-il. Vous ne pouvez pas me rédiger quelque chose qui ne soit pas de la bouillie?" Il poursuit, sèchement: "On doit arriver au Conseil européen avec des objectifs clairs et précis, là, c'est technocratique, c'est du jargon. Que veut-on obtenir?" Un coup de sang qui, pour les ministres autour de la table, en cache un autre. "Il avait la tête ailleurs", note un participant. "Il était maxi-énervé", ajoute un autre. En face de lui, Jean-Marc Ayrault se recroqueville. "Mais si, monsieur le président, c'est bien détaillé...", tente-t-il en vain.
Le Corrézien s'est forgé une image de bonhomie, de M. "Petites blagues", confinant pour ses détracteurs à la mollesse, qui cadre mal avec la dureté intérieure que décrivent ses plus proches. "A la grosse artillerie, il préfère quelques mots ciselés, raconte un conseiller. Des petites balles." Avec lui, les chaises ne volent pas, les cendriers ne sont pas transformés en projectiles - ce n'est pasPhilippe Séguin. Pas de propos grossiers, pas d'emportements éruptifs à la Nicolas Sarkozy non plus. Plutôt des irritations froides, quand il découvre, par exemple au moment de la réforme des retraites, des fuites dans la presse.
Les journaux distillent, jour après jour, des informations confidentielles. François Hollande fulmine et décide, du coup, d'organiser la dernière réunion d'arbitrage à l'Elysée avec un maximum de précautions. Le 23 août arrivent au palais Jean-Marc Ayrault, les ministres de l'Economie Pierre Moscovici, des Affaires sociales Marisol Touraine, de l'Emploi Michel Sapin et des Relations avec le Parlement Alain Vidalies. Tous ont reçu la même consigne, valant tir de sommation: "Venez sans vos conseillers."
"C'est insupportable, ces fuites, sermonne bientôt le président. Il faut maîtriser la communication." Moment crucial: la décision est définitivement prise de ne pas augmenter la CSG. Les pensions seront financées par les cotisations. "Qui informe-t-on dans notre entourage?" demande le Premier ministre. Hollande, lapidaire: "Personne." "On peut quand même en parler aux collaborateurs de ton cabinet s'ils nous appellent pour avoir des infos?" rebondit Pierre Moscovici. Le chef de l'Etat fronce les sourcils: "Non, les ministres, c'est vous. Pas eux. Ils n'ont pas à être informés."
Quand elle s'extériorise, la réprimande chez Hollande est glaçante. Dans les enceintes diplomatiques, là où les relations personnelles jouent un rôle important, elle peut devenir glaciale. C'est ce qui est arrivé au château de Brdo, l'ancienne résidence de chasse de Tito, en Slovénie, où se tient, le 25 juillet, le sommet des chefs d'Etat des Balkans.
Dernier voyage officiel de François Hollande avant ses vacances. Hôte d'honneur de l'événement, il rencontre les huit dirigeants des pays de la région, les uns après les autres. Il finit son speed dating par un tête-à-tête avec le président albanais, Bujar Nishani. Les deux hommes se sont enfermés dans un salon, loin des regards. Leur échange s'éternise. A l'extérieur, on s'impatiente car c'est l'heure de la séance plénière avec tous les intervenants. Le chef d'Etat slovène, Borut Pahor, se permet alors d'ouvrir la porte pour presser les retardataires. François Hollande, incrédule devant cet impair, se retourne et le crucifie d'un regard orageux. Pahor referme, penaud.
Avec ses collaborateurs, le président ne fait pas dans le cinéma muet. Dans l'ambiance feutrée du palais, il peut les balafrer d'un "Vous ne m'apportez pas de conseils", "Vous ne servez à rien", "Tu as peut-être raison, mais c'est moi qui décide". Les conseillers ne sont pas protégés par les galons des politiques, qui bénéficient aux yeux du président de l'aura du suffrage universel.
Le traitement, du coup, est plus âpre. Il est arrivé, lors d'un déplacement européen, que François Hollande s'empare lui-même de la liste des passagers pour barrer des noms: en l'occurrence, ceux de certains conseillers qui devaient partager son Falcon - le chef de l'Etat préférait faire monter une poignée de journalistes avec lui.
Au printemps, il s'en prend, devant une dizaine d'invités d'outre-mer, à un membre de sa cellule de communication, qui n'a pas prévenu les photographes de la tenue de cette réception: "J'ai le seul conseiller de presse qui interdit aux journalistes de couvrir les événements auxquels je participe", grommelle-t-il.
Le locataire de l'Elysée a l'exigence tatillonne. Il attend beaucoup de son entourage, sans pour autant lui dire précisément dans quelle direction aller, refusant de lever le voile sur sa stratégie ou changeant d'idée au dernier moment. Plus que tout, il déteste se sentir enfermé dans un carcan, entravé dans sa liberté par des décisions qui lui échappent. "Ce n'est pasun dictateur-né, mais presque", glisse un proche. Son cabinet se sent ballotté par ce management tantôt cajolant, tantôt abrupt.
Le 3 avril, le président enregistre une allocution télévisée, juste avant de s'envoler pour un voyage officiel au Maroc. "C'est une faute, une faute impardonnable" ; "Il faut lutter de manière impitoyable contre le mélange des intérêts publics et privés". Sa déclaration est prête: l'affaire Cahuzac, après les aveux de l'ex-ministre du Budget, menace le quinquennat tout entier. On a branché à la va-vite les projecteurs et installé les caméras au rez-de-chaussée du palais.
De nombreux collaborateurs ont quitté leur bureau pour assister à ce discours. L'orateur tente de se concentrer, mais n'y parvient pas, il y a foule autour de lui. "Sortez tous", leur ordonne-t-il, hors de lui. Il ne reste bientôt que trois personnes: le cameraman, le chargé du prompteur et l'un de ses conseillers presse. Qui ne tarde pas à prendre la foudre: "Toi aussi, tu sors", lui intime Hollande. Le chef de l'Etat s'exprimera finalement devant deux techniciens, auxquels il donnera lui-même le top départ pour l'enregistrement. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
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