L'OCDE a revu mercredi ses prévisions pour la croissance mondiale à la baisse en 2013, disant ainsi anticiper une récession plus marquée dans la zone euro alors que les Etats-Unis et le Japon bénéficient d'un rebond. L'institution ne prévoie plus dans ses perspectives de printemps qu'une hausse du produit intérieur brut (PIB) global de 3,1% en 2013 et de 4,0% en 2014, soit respectivement 0,3 et 0,2 point de moins que dans ses prévisions de l'automne dernier. L’OCDE liste également les principaux risques qui pèsent sur l’économie mondiale :
-intensification renouvelée de la crise de la zone euro par une activité économique très faible et un chômage persistant qui pourraient faire perdurer la stagnation.
-instabilité potentielle des marchés financiers à l’approche de la sortie définitive d’une politique monétaire non traditionnelle
-risques persistants en matière de politique fiscale, liés notamment à l’impact des coupes budgétaires qui ont été mal ciblées aux Etats-Unis
-finances publiques non maîtrisées au Japon et taux de croissance s’avérant, une fois la crise passée, plus bas qu’escompté.
Atlantico : Quelles sont les raisons qui expliquent la composition de cette liste ?
Simone Wapler : En 2008, le public s’est ému que le FMI, l’OCDE, la BRI et diverses autres institutions aient été incapables d’anticiper puis prévenir la crise du crédit subprime. Selon le sain principe que « chat échaudé craint l’eau froide », on peut imaginer que l’OCDE cherche à se border contre la prochaine crise. L’organisme se donne comme mission « de promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde ». Vaste programme… dont on peut envisager que la prévention du risque en fasse partie.
Nicolas Goetzmann : Tout d’abord, il faut signaler la pertinence du rapport de l’OCDE, ce qui est déjà une victoire en soit. Les risques présentés sont réels mais il convient de nuancer. L’intensification de la crise européenne est selon moi une évidence tant que les réformes monétaires ne seront pas menées (modification du mandat de stabilité des prix pour un mandat de PIB nominal). La persévérance dans l’erreur de diagnostic des Européens devient un sujet grotesque, d’autant qu’elle reste la seule zone à maintenir ce diagnostic budgétaire.
L’éventualité d’une sortie de la politique monétaire américaine « non traditionnelle » entraînera un ralentissement de la croissance mondiale et pèsera lourd pour l’Europe. Le sujet principal reste cependant le nom du successeur de Ben Bernanke et ce choix sera dévoilé au mois de septembre. La doctrine déployée par le prochain gouverneur de la FED sera un point essentiel de l’avenir économique mondial.
Pour le moment, les mesures d’austérité budgétaire américaines n’ont pas d’impact sur leur économie, justement parce que cette dernière est soutenue par la FED. Ce sujet n’est dès lors pas préoccupant.
Enfin, les taux de croissance futurs ne seront que le reflet des politiques monétaires menées et des efforts réformistes des gouvernements. Si nous souhaitons une croissance plus forte, nous devrons adapter les mandats des banques centrales et réformer de concert. Le risque inflationniste est toujours aussi faible et les marges de manœuvre dans ce domaine sont donc encore importantes.
Dans quelle mesure ces choix sont-ils fondés ?
Simone Wapler : Tous ces risques sont fondés mais ils découlent tous d’un seul et unique risque qui est absent : le gonflement illimité de la masse de crédit, essence même du système keynésien qui confond richesse et dette.
Imaginez que vous ne connaissiez rien du tout au jeu des chaises musicales. Tout le monde s’agite, danse, au rythme d’une musique variable et vous avez envie de rentrer dans ce jeu où personne ne paraît s’ennuyer. Quelqu’un de très complaisant vous détaille par le menu les règles : comment danser et vous déplacer habilement sans déranger les chaises vides, comment répondre aux changements de rythme de l’orchestre, comment rester le plus près possible d’une chaise tout en ayant l’air de bouger. Votre bienveillant guide oublie seulement de vous dire deux choses : 1) la musique s’arrête sans préavis - 2) il n’y a pas assez de chaises pour tout le monde. C’est exactement l’impression qu’on éprouve en lisant cette liste dressée par l'OCDE. On est dans le détail, mais la toile de fond manque, le véritable enjeu est absent. La musique va s’arrêter et les chaises sont trop peu nombreuses…
La stagnation décrite en Europe (les États-Unis et le Japon sont les deux plus gros contributeurs au budget de l’OCDE, il eut été impoli de commencer par eux) a une cause principale et majeure : le surendettement d’États providences incapables de faire face à leurs engagements et incapables de les réduire. Ce surendettement a été rendu possible par des populations complaisantes et des banques trop heureuses de facturer des intérêts à des gouvernements dispendieux. Cet étouffement durera tant que la question du surendettement n’a pas été résolue. Le chômage n’en est que la conséquence.
L’instabilité des marchés n’est pas potentielle : elle est déjà tangible. Les krachs éclairs se succèdent. Dernier en date : le Nikkei et les obligations japonaises suspendues de la cote. Cette instabilité trouve son carburant dans les tombereaux de liquidités déversées sur le système financier. Les États dispendieux sauvent le système financier dont ils ont besoin pour survivre en émettant de la fausse monnaie que l’industrie financière « fait travailler » sur les marchés.
Les comptes publics des États-Unis et du Japon défient l’entendement. Dans le cas du Japon, le vieillissement de la population rend tout remboursement de la dette impossible.
La croissance plus faible qu’au XXème siècle - même en supposant que les mauvaises dettes soient purgées – est une réalité. Ce sont les chiffres du siècle précédent qui sont une anomalie historique. Après la fin du boom du pétrole bon marché et de la mécanisation, il va nous falloir apprendre à vivre avec des gains de productivité marginaux. Hélas, le keynésianisme – né au XXème siècle - prétend que les récessions ne sont pas naturelles et les combat avec vigueur… par la dette !
Nicolas Goetzmann : Oui, mais l’OCDE aurait pu y aller plus franchement dans ses conclusions. Il est aujourd’hui évident que la politique européenne ne mène à rien alors que les Etats-Unis et le Japon obtiennent des résultats concluants en menant des politiques monétaristes. En Europe, l’Allemagne est attachée à une doctrine monétaire obsolète mais imposée par le traité de Maastricht. Aussi longtemps que la France n’abordera pas ce sujet de façon officielle, la crise perdurera. Si d’aventure les Etats-Unis ralentissaient leur soutien monétaire à l’économie mondiale, nous plongerions à nouveau dans la tourmente. L’Europe ne peut pas se permettre de compter indéfiniment sur Ben Bernanke pour espérer une sortie de crise de la zone euro. Nous avons également une Banque Centrale.
Quelle est la probabilité de voir ces risques se concrétiser ? Quels événements/choix pourraient y conduire, voire les accélérer ?
Simone Wapler : Logiquement, on pourrait s’attendre à ce que le marché obligataire craque d’abord au Japon, pays le plus endetté et le plus vieux. Mais une grande banque pourrait aussi enregistrer, lors d’un accident de marché, de lourdes pertes dans ses activités de trading menées pour compte propre, des pertes qui brûleraient ses fonds propres.
Un risque que ne mentionne pas l’OCDE et qui me paraît important est la révolte de gens qui se rendront compte qu’ils ont été bernés par des élites qui leur promettaient le bonheur à crédit. On a déjà vu en Grèce et en Espagne des « mouvements sociaux » comme on dit pudiquement. Si les retraités floués montent rarement sur les barricades, il n’en est pas de même des jeunes au chômage, exclus d’un système qui ne fait que protéger ceux qui sont dedans au détriment des autres qui en restent exclus.
Nicolas Goetzmann : Encore une fois, le risque majeur serait l’arrêt pur et simple du programme monétaire américain. Si tel était le cas, nous pouvons nous préparer à la saison 5 de cette mauvaise série. Ce risque pourrait se concrétiser en nommant un « faucon » en septembre à la tête de la FED. Pour le moment, les têtes d’affiche sont plutôt enclines à continuer le programme, et pourraient même l’accélérer.
En Europe, le drame de cette lenteur d’action a un coût très important en termes humains. Les personnes touchées par le chômage depuis un long moment s’éloignent de l’emploi faute de formation. C’est ainsi que le chômage conjoncturel devient structurel, et nous pouvons parler de sacrifice générationnel. La responsabilité des gouvernements, ici, est totale car les solutions sont sur la table. Je n’ai aucun mal à dire que cette situation est le choix de l’Europe, le choix de la dépression. Les Etats Unis et le Japon ont pris un risque que l’Europe ne veut pas prendre. L’Europe actuelle préfère tolérer 12% de chômage plutôt que de prendre un risque, ce qui est insupportable.
S'ils venaient à se concrétiser, quelles seraient les conséquences possibles à court et à long terme de ces risques sur l’économie mondiale et en particulier sur l’Europe ?
Simone Wapler : L’un des trois premiers risques de l’OCDE déstabiliserait l’ensemble du système puisque les banques sont toujours trop grosses pour faire faillite (et donc trop grosses pour exister). Les dernières cartouches ont tété tirées avec l’émission de fausse monnaie officielle. Jusqu’à présent le système s’en était toujours tiré par la croissance de la dette publique ou privée. Les banques ont évité le pire pour elles : le démantèlement car personne dans les médias ayant pignon sur rue ne remet encore en cause le principe des réserves fractionnaires qui conduit à toujours plus de crédit.
Le dernier risque envisagé par l’OCDE ne mérite pas, à mon sens, ce qualificatif. Ce n’est pas un événement plus ou moins probable, c’est une réalité avec laquelle il faut apprendre à vivre. La dette publique ou privée n’est pas le mode de gestion d’une croissance perdue.
Il va falloir en revenir à des bases plus saines avec des crédits adossés à de l’épargne existante. Ainsi, en cas de mauvais crédit, on détruit une richesse déjà existante. C’est certes dommage, mais moins grave que de détruire la richesse du futur en prétendant faire payer des gens qui ne sont même pas en âge de voter. Il faudra que cette épargne préexistante puisse se reconstituer sur les décombres des vieilles créances sur lesquelles il faudra faire défaut, ruinant ceux qui n’auront pas vu venir le coup. Évidemment, les pays à haut niveau de vie et population vieillissante – donc l’Europe – souffriront plus que les pays dits émergents de cet indispensable réajustement.
Nicolas Goetzmann : Supposons que les Etats Unis ralentissent leur soutien monétaire et que l’Europe ne modifie rien dans ce domaine. Dans ce cas, la conclusion est simple : la zone euro éclatera. Je suis déjà très surpris par la résistance grecque ou espagnole face à la crise, et aux réformes qui leurs sont imposées. Si ces pays étaient sortis de l’Euro dès les premières difficultés, en menant les mêmes réformes budgétaires qu’ils ont déjà mises en place tout en suivant une politique monétaire adaptée, ils seraient déjà proches du plein emploi. Et la doctrine de la BCE apparaîtrait inefficace, ce qu’elle est.
Les autres zones économiques me semblent être en bonne voie pour en finir avec la crise, il peut y avoir encore des heurts, mais les doctrines monétaristes appliquées permettent de voir l’avenir de façon optimiste. Quant à la zone euro, elle est maîtresse de son destin, et la France a un rôle-clé à jouer. La France est la seule à avoir un poids politique suffisant pour porter l’indispensable réforme monétaire, rallier l’Espagne et l’Italie, et convaincre l’Allemagne de cesser ce jeu de massacre.
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