samedi 9 février 2013
L'Europe, son budget, ses pauvres
L'Union européenne va-t-elle mettre à mal l'oeuvre de Coluche, de soeur Emmanuelle et de Jacques Delors réunis ? En 1987, il y a un quart de siècle, après un hiver particulièrement glacial, se créent non seulement les Restos du coeur chers à Coluche, mais encore les banques alimentaires, chargées de redistribuer aux plus démunis les excédents de la Pac, la politique agricole commune. Beurre, lait, viandes, fruits...
Cette aide alimentaire - en sursis depuis deux ans- est sur la sellette du Conseil européen qui s'est ouvert, hier, à Bruxelles. Se négocie le budget de l'Union pour les sept années à venir, près de mille milliards d'euros, quand l'aide aux plus démunis ne pèse que trois milliards et demi, 500 millions par an, 1 € par an et par Européen. Autant dire, à l'aune des grands équilibres budgétaires, rien ou si peu.
Si elle est financièrement marginale, son poids symbolique et politique est considérable. Car comment expliquer à l'opinion publique, que l'Union a su trouver, en temps et en heure, les milliards qui ont sauvé ses banques de la faillite, mais qu'elle ne lèverait pas le petit doigt pour sauvegarder les banques alimentaires et les repas de 19 millions de pauvres !
Les Vingt-sept sont une fois de plus divisés. D'abord parce que cette aide ne bénéficie qu'à dix-huit pays. Qu'elle relève de la politique agricole commune, alors que les « surplus » alimentaires ont été résorbés. Sept pays, l'Allemagne en tête avec le Royaume-Uni et la Suède, considèrent désormais, que c'est à chaque État de s'occuper de ses pauvres. Et en Allemagne, pays fédéral, à chacun des länder. La Cour de justice des communautés européennes, de surcroît, leur a donné gain de cause au nom de la subsidiarité. Principe fondateur mais ambigu qui stipule que Bruxelles ne doit mener que les actions que les États ne peuvent pas conduire eux-mêmes.
En pleine crise sociale
Que cette aide alimentaire relève désormais de la politique sociale et non plus de la politique agricole, c'est sûrement judicieux. Mais, sauf à s'égarer dans des arguties juridiques et technocratiques obtuses, les chefs d'État et de gouvernement des Vingt-sept doivent regarder la réalité en face : celle de la vague montante de la pauvreté. 43 millions d'Européens, actuellement, ne mangent pas à leur faim. Les associations caritatives voient grossir les files d'attente. Et c'est en pleine crise sociale que l'Europe abandonnerait les plus démunis de ses concitoyens ? Impossible, sauf à vouloir briser l'Union. La réduire à vingt-sept égoïsmes nationaux.
Comme toujours à Bruxelles, un compromis est possible, probable. Une proposition est en discussion. Encore faut-il qu'elle soit à la hauteur du défi. L'idéal serait évidemment que l'Union, nageant en pleine prospérité, n'ait plus besoin de soupes populaires, de repas distribués et de Restos du coeur. La réalité est cruellement différente.
À Bruxelles, l'Union négocie, crans par crans, sa ceinture budgétaire. Débat entre les tenants de la rigueur et les volontaristes de la croissance. Mais au-delà, avec le sort réservé aux plus pauvres, c'est l'image de l'Union qui se joue. Ne veut-elle être qu'une vaste zone d'échanges économiques, ou bien a-t-elle encore une ambition sociale ? Il faut choisir : l'Europe des égoïsmes ou l'Europe de la solidarité.
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