mercredi 13 février 2013
Abenomics, la guerre des étoiles
Abenomics, la guerre des étoiles
Avis aux explorateurs. Pour voyager dans le futur, il suffit de faire quelques heures d'avion. À 10 000 kilomètres de Paris, il est un pays où se prépare l'une des expériences les plus audacieuses en matière de politique économique, Abenomics, du nom de Shinzo Abe, le nouveau Premier ministre japonais. Expérience qui a toutes chances de préfigurer, fût-ce de façon radicale, les politiques qui seront bientôt conduites dans d'autres pays développés.
Le Japon a connu, bien avant nous, l'explosion de l'une des bulles financières les plus ventrues de l'Histoire - la répétition générale de la crise que connaissent nos pays a eu lieu là-bas il y a vingt-cinq ans. Le 30 décembre 1989, l'indice boursier nippon, au sommet, cotait près de 39 000 points. Si la madame Michu locale, qui s'appelle plutôt Watanabe, avait alors investi son épargne dans les actions, elle aurait aujourd'hui un capital divisé par quatre. Car, en février 2013, le Nikkei végète aux alentours de 11 000. Idem pour l'immobilier, qui a pris une claque gigantesque.
Voilà donc un quart de siècle que les gouvernements japonais se succèdent, météoriques et impuissants à sortir l'archipel de la crise. D'innombrables relances budgétaires ont été déclenchées, avec des millions de mètres cubes de béton déversés sur les îles nipponnes. Les fonctionnaires d'Okura-sho, le ministère des Finances, ont été jusqu'à décréter la construction de routes qui ne menaient nulle part, dans l'espoir de ranimer la croissance. Si Keynes était encore vivant, il serait japonais. Et il serait malheureux. Car tout cela n'a pas eu d'autre effet que de faire grimper la dette à 245 % du PIB, un chiffre aberrant qui est sans équivalent parmi les grandes puissances économiques.
Élu en décembre 2012 et confronté à cette déflation rampante, Shinzo Abe a décidé de déclencher la guerre des étoiles. Il prépare ainsi une nouvelle relance, la plus importante jamais effectuée depuis l'après-guerre. Comment la financer ? Par le déficit, qui va atteindre près de 12 points de PIB cette année, un record. Il s'apprête à se saisir d'entreprises industrielles pour stimuler l'investissement qui ne veut pas repartir tout seul - la nationalisation, une idée qui séduit, de Montebourg au mont Fuji. Et surtout le nouveau Premier ministre a littéralement remis sous contrôle gouvernemental la banque centrale du pays, en lui enjoignant un triple objectif : relancer l'inflation, financer les dépenses publiques avec la planche à billets et faire baisser le cours de la devise nipponne pour faciliter les exportations. C'est là qu'Abe a remporté un premier succès, puisque le yen a déjà chuté de 15 %, allégeant d'autant la pression qui asphyxiait les exportateurs nippons.
En bref, pour définir cette expérience inédite, il suffit de prendre le contre-pied intégral de tous les commandements de la politique économique telle qu'on la pratique depuis trente ans dans les pays développés. Le chef du gouvernement japonais se prévaut, pour lancer cette révolution, de l'expérience de l'entre-deux-guerres, où le ministre des Finances d'alors, Takahashi Korekiyo, avait sorti son pays de la crise dès le début des années 30 avec ces recettes. Il s'agit de mobiliser tous les moyens en même temps sur le même objectif pour en démultiplier l'effet.
Ce Pearl Harbor contre la crise a t-il une chance de réussir ? Le principal risque de l'opération est une violente remontée des taux d'intérêt à cause de la spirale de l'endettement, qui stopperait net l'expérimentation. Mais il est faible au Japon, car les épargnants et les institutions financières sont dociles et mangent des obligations d'État autant qu'on leur demande. A terme, la création monétaire excessive provoquera une crise de confiance dans le papier-monnaie, avec une inflation hors de contrôle.
Mais avant cela l'onde de choc va se faire sentir chez nous. Parce que nos politiques contre la crise s'épuisent, elles aussi. Seuls les États-Unis et l'Allemagne ont retrouvé leur niveau de PIB de 2007 parmi les grands pays développés. Le chômage atteint des niveaux sans précédent en Europe du Sud. La tentation des armes non conventionnelles va donc monter à peu de chose près, le programme économique de Shinzo Abe est celui du Front national ou celui de Silvio Berlusconi, candidat aux élections législatives italiennes, plutôt en forme dans les sondages.
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