jeudi 24 janvier 2013
La méthode économique de François Hollande n’est pas la bonne
Augmenter les impôts est la pire des méthodes en période de crise budgétaire. Baisser les dépenses publiques a toujours eu de meilleurs résultats. François Hollande devrait s’en inspirer.
Article publié en collaboration avec l’Institut Turgot, qui, en réponse aux bons voeux de notre Président, nous propose de lire la traduction d’un article signé par Alberto Alesina et publié à la fin novembre (sous le titre « Cutting Deficits by Cutting Spending ») sur l’excellent site d’analyse économique VoxEU.org. Traduction Henri Lepage/Institut Turgot.
Les Etats qui croulent sous les dettes et se débattent dans les difficultés économiques croissantes doivent-il à tout prix donner la priorité à la réduction de leurs déficits budgétaires ?
Les réponses données à cette question sont particulièrement confuses – pas seulement en Europe où c’est une question particulièrement pressante, mais aussi aux Etats-Unis.
Pour ceux qui conseillent une réduction immédiate du déficit, il s’agit là d’une précondition nécessaire au retour de la croissance. Les déficits d’aujourd’hui, disent-ils, sont la dette de demain, ce qui ne peut se terminer que par une crise budgétaire avec une possible faillite à la clé. Les marchés, inquiets de la dégradation de ses perspectives de solvabilité, demanderont à l’Etat de payer des taux d’intérêt plus élevés pour acheter ses obligations, ce qui renchérit le service de sa dette. Le défaut d’un Etat risque d’entraîner l’effondrement des banques dont les bilans sont gorgés de titres de sa dette publique, ce qui à son tour est susceptible de provoquer une réaction en chaîne menant à d’autres faillites. Le retour à la croissance est impossible, disent ces faucons du déficit, tant que l’on ne corrige pas les déficits.
Leur adversaires sont d’accord pour reconnaître qu’il faut bien sûr combattre les déficits, mais, ajoutent-ils, pour l’instant, tant que l’économie mondiale ne ne se porte pas mieux, ce n’est pas le moment. Pour réduire le déficit, expliquent-ils, il faut soit relever les impôts, soit réduire les dépenses budgétaires. Dans les deux cas, le résultat est de réduire la demande, ce qui aggrave les ratés de l’économie déjà vacillante. Le rapport dette/PIB – cet indicateur que tout le monde suit avec attention – gonfle de plus belle parce que la croissance ralentit plus vite qu’on ne réduit l’endettement. Il s’ensuit que cette politique est vouée à l’échec. Pour le moment, mieux vaudrait que les Etats acceptent de rester en déficits et les couvrent avec de l’argent emprunté, en attendant que la reprise économique leur permette enfin de rééquilibrer leurs budgets.
Ce débat sur les déficits est souvent trompeur car on y oublie l’énorme différence qui oppose les deux techniques de réduction des déficits. Les faits démontrent clairement que lorsqu’un gouvernement entreprend de réduire ses déficits en augmentant les impôts, il a toutes chances de le payer d’une longue et profonde récession ; mais que lorsqu’il s’y attaque en donnant la priorité aux réductions de dépenses, les résultats sont très différents.
En 2011, les chercheurs du Fonds monétaire international ont dressé la liste de tous les épisodes, entre 1980 et 2005, au cours desquels des pays développés – ils en ont identifié 17 – ont mené une politique agressive de réduction des déficits budgétaires. Ces épisodes ont été classés en deux catégories : d’un côté, ceux caractérisés principalement par une politique de réduction des dépenses publiques, de l’autre, ceux donnant la priorité au relèvement de la fiscalité. Lorsque Carlo Favero, Francesco Giavazzi et moi-même avons étudié les résultats de ce classement, il nous est clairement apparu que ces deux types de politiques débouchaient sur des résultats finaux étonnamment différents : dans le premier cas (action par les économies budgétaire), cela se traduit par des récessions certes (et encore !) mais d’ampleur relativement limitée et de durée plutôt courte, alors que dans le second (action par la hausse des impôts) on obtient des récessions prolongées.
Bien sùr, nous n’êtions pas les premiers à distinguer ces deux types de politiques. Dans le passé, d’autres comme Paul Krugman, Christina Romer et des économistes du FMI se sont posé le même genre de questions, mais ils y ont répondu en observant que leurs résultats n’étaient pas très différents. Si on constate qu’a la suite d’une opération de coupe dans les dépenses budgétaires l’économie se relève, en réalité, expliquent-ils, c’est parce que cela coïncide avec une reprise du cycle conjoncturel, ou bien parce que l’on est passé dans une phase d’expansion monétaire. Dans notre recherche, mes collègues et moi-même avons cherché à tenir compte de ces deux éléments. Les mouvements du cycle économique et de la politique monétaire ont été attentivement étudiés en rapport avec la politique budgétaire poursuivie au cours de chaque épisode entrant dans notre enquête. Notre analyse a confirmé les conclusions auxquelles nous êtions précédemment arrivés. La différence dans les résultats observés entre les deux types de politiques demeure.
La grande question qui se pose alors est la suivante : qu’est-ce qui maintient l’activité économique alors que les dépenses de l’Etat, l’une des principales composantes de la demande globale, viennent d’être réduites ? Autrement dit, si l’économie ne tombe pas en récession, c’est nécessairement que les réductions budgétaires se trouvent compensées par l’accroissement d’un autre élément de la demande globale. Lequel ? Réponse : l’investissement privé. Notre travail montre que les investissements privés ont augmenté après que l’on ait procédé aux réductions budgétaires, les entreprises investissant davantage dans des activités productives, comme l’achat de machines où l’ouverture de nouvelles usines. Lorsque la diminution du déficit est recherchée via l’alourdissement de la fiscalité, il se passe le contraire : on assiste à une chute de l’accumulation du capital.
La raison de cette différence est sans doute liée à l’indice de confiance des entreprises dont nous avons observé qu’il s’effondrait lorsque l’Etat jouait en priorité de la fiscalité, mais qu’il augmentait (ou tout au moins restait étale) lorsqu’il préfère agir sur ses dépenses. L’explication vient probablement de ce que lorsque l’Etat réduit ses budgets, ceci est compris comme un signal indiquant qu’à l’avenir la fiscalité ne sera pas appelée à augmenter, ce qui encourage les investisseurs (mais aussi, peut-être, les consommateurs) à se montrer plus actifs. Notre résultat en ce qui concerne le rôle de l’indice de confiance des entreprises est cohérent avec l’argument plus large selon lequel, aujourd’hui, bien que leurs marges restent positives, les firmes américaines n’investissent pas ou n’embauchent pas autant qu’elles le pourraient tout simplement en raison des incertitudes qui pèsent sur l’évolution à venir de la politique budgétaire, fiscale, mais aussi en matière de réglementations.
Mais il y a une seconde raison qui explique que l’investissement privé reprenne après que l’Etat ait coupé dans ses dépenses : le programme d’économie budgétaires fait généralement partie d’un paquet global de réformes économiques qui incluent d’autres mesures , de natures plus structurelles, favorables à la croissance. Dans une autre étude, j’ai montré avec Silvia Ardagna (2009) que les politiques de réduction du déficit budgétaire qui ont effectivement réussi à diminuer le rapport de l’endettement au PIB, sans pour autant provoquer de récession, présentent généralement pour caractéristique de combiner l’action sur la dépense publique avec d’autres mesures comme une action par la déréglementation, la libéralisation du marché du travail (y compris, dans certains cas, un accord explicite de modération des salaires avec les syndicats), et leur accompagnement par des réformes fiscales dont l’objet est d’accroître le taux d’emploi de la population.
Soyons clairs : tout ce qui précède ne signifie pas qu’il suffit de réduire les dépenses publiques pour qu’à chaque fois cela suffise à rallumer la croissance. La leçon à en retenir est simplement que réduire les dépenses de l’Etat est une méthode qui revient finalement moins cher que de chercher à éliminer le déficit par la hausse des impôts . Cela signifie aussi qu’une stratégie soigneusement conçue de réduction du déficit, fondée à la fois sur la recherche de coupes budgétaires et sur des réformes structurelles, peut réussir à éliminer complètement les pertes de production que l’on serait normalement en droit d’attendre en conséquence de telles politiques d’économies. Alors qu’à l’inverse, rechercher l’élimination du déficit prioritairement par la voie de hausses d’impôts s’accompagne toujours de conséquences récessives.
Avec ces résultats en tête, revenons aux deux points de vue par lesquels nous avons commençé. Les gens qui exigent que l’Etat réduise son déficit ont raison, pour autant que cette réduction est obtenue via la recherche d’économies budgétaires idéalement accompagnées d’autres mesures d’ordre plus structurel favorables à la croissance. Cela n’a rien à voir avec l’idée, beaucoup trop simpliste, que, par définition, toute réduction du déficit serait nécessairement une bonne chose, et que cela suffirait pour ramener à tout coup le calme sur les marchés.
A l’opposé, l’autre idée que toute diminution du déficit ne peut que ralentir l’économie et déboucher sur un échec, est elle aussi tout aussi simpliste. Un programme soigneusement élaboré d’économies budgétaires peut permettre de réduire l’endettement sans pour autant tuer la croissance, il n’y a donc pas lieu d’afficher une attitude aussi protectrice à l’égard des économies aujourd’hui les plus faibles.
Les partisans « modérés » de la réduction du déficit ont raison de s’inquiéter lorsque l’objectif de réduction de l’endettement public est recherché en priorité par la voie fiscale, comme le démontre par exemple l’Italie qui, depuis vingt ans, n’arrive pas à se débarrasser d’un endettement public record. Tous les gouvernements italiens successifs ont essayé de réduire la dette en levant davantage d’impôts, une stratégie qui n’a fait que paralyser l’économie italienne et n’a eu pour résultat que de maintenir le rapport dette sur PIB toujours au même niveau. En Novembre 2011, le gouvernement de Mario Monti a fait passer un programme comprenant une très forte augmentation des impôts . Aussitôt la conjoncture du pays a plongé, et on s’attend à une croissance globalement négative pour 2012. (L’Italie est cependant en train de réaliser son erreur. Depuis lors, le gouvernement de Mario Monti a lancé une opération de rééxamen systématique des dépenses publiques qui devrait déboucher sur un programme à venir d’économies budgétaires détaillées, cependant qu’il mettait également en route un certain nombre de réformes du marché du travail).
Quant aux « faucons » de la réduction du déficit ils ont raison sur un autre point : l’urgence qu’il y a pour l’Amérique a réduire sa dette nationale. Les travaux de Carmen Reinhart et de Kenneth Rogoff (2010) établissent de manière convaincante que la dette devient un handicap pour la croissance dès lors qu’elle dépasse les 90 % du PIB. Or les Etats-Unis en sont aujourd’hui à 80 %, et l’on devrait atteindre les 120 % d’ici pas si longtemps (merci aux dépenses de santé, et notamment à Medicare!).
En Europe, où le taux d’endettement est en moyenne plus élevé qu’aux Etats-Unis, il est encore plus urgent de réduire les déficits. Si la Grèce, l’Espagne, le Portugal , l’Irlande et l’Italie n’arrivent pas à redresser l’état de leurs finances, il courent le risque de faire défaut – un événement qui entraînerait des conséquences désastreuses non seulement pour eux, mais également pour l’ensemble de la zone euro qui pourrait imploser et entraîner une véritable catastrophe économique mondiale. Ils ne retrouveront jamais la capacité de s’endetter à des taux raisonnables tant qu’ils n’auront pas redressé la barre au plan budgétaire. Bien sûr, on peut discuter de savoir jusqu’à quel point la BCE doit les aider, mais de toute façon il faut qu’ils commencent par mettre leurs propres affaires en ordre. Relever les impôts et réduire la croissance n’est certainement pas la bonne solution. Réduire les dépenses, oui.
Pour le moment, les marchés semblent encore faire confiance aux Etats-Unis et la demande pour les titres du Trésor reste forte, ce qui permet à l’Amérique de continuer à emprunter à bon marché. Mais les USA vont devoir très vite rectifier la trajectoire de leur endettement. L’idée que l’on pourrait continuer sans procéder à un fort redressement budgétaire ne relève pas seulement du wishfull thinking, c’est une faute à l’égard de nos enfants qui se retrouveront un jour écrasés par un fardeau fiscal insoutenable. Plus nous attendrons, plus le prix à payer pour sortir de ce problème sera élevé.
Couper dans les dépenses n’est bien sûr pas chose facile en raison du poids politique que représentent, dans l’arène publique, tous ceux qui bénéficient des subventions et avantages distribués par l’Etat - les fonctionnaires, les jeunes retraités, les grandes entreprises qui bénéficient des coûteuses faveurs de la puissance publique, les collectivités locales sans véritable discipline budgétaire, etc.. – alors que les contribuables restent mal représentés. Il n’en reste pas moins que l’idée reçue selon laquelle tout gouvernement qui mène une politique budgétaire trop prudente court inéluctablement à l’échec électoral semble fausse. Dans une récente étude de 2011, Dorian Carloni, Giampaolo Lecce et moi-même montrons que même les gouvernements qui ont adopté les politiques de réduction des dépenses publiques les plus sévères sont loin d’avoir systématiquement perdu leurs élections. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, mais il arrive parfois que les électeurs reconnaissent l’inéluctable nécessité de réduire la dépense publique et soutiennent l’action de gouvernements qui résistent aux appels des groupes de pression, surtout lorsque ces gouvernement leur parlent clairement et se montrent justes dans la répartition des coupes.
Certainement pas dans des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie, où le secteur public est tellement inefficace qu’il pourrait sans difficulté fonctionner avec beaucoup moins d’argent sans pour autant abaisser le niveau et la qualité des services rendus. Même dans des pays qui disposent d’un service public fonctionnant nettement mieux – comme la France, où la dépense publique atteint presque les 60 % du PIB – il y a encore de la marge pour faire d’importantes économies sans pour autant porter préjudice aux plus pauvres et aux plus vulnérables. C’est également le cas aux Etats-Unis où la dépense publique, qui était de 34 % en 2000, est aujourd’hui de 43 %, un niveau qui était encore celui de l’Europe il n’y a pas si longtemps. A condition de mieux cibler leurs systèmes de transferts et de redistribution les Etats occidentaux peuvent faire pas mal d’économies sans réduire le bien être de leurs concitoyens. Il leur faut accepter de réduire les programmes sociaux qui, comme le Medicare américain, sont pour l’essentiel financés par des impôts prélevés sur les classes moyennes et qui servent pour l’essentiel à produire des services publics destinés aux mêmes classe moyennes. Il faudra sans doute progressivement porter l’âge de la retraite à 70 ans. Si les Français croient qu’ils pourront impunément continuer à partir en retraite à l’âge de 60 ans, ils se mettent le doigt dans l’oeil.
Une fois que l’on a diminué la dépense publique, on peut réduire les impôts. La question devient alors de savoir comment répartir ces baisses d’impôts parmi les contribuables. Notamment de savoir si imposer plus lourdement les gens les plus riches risque de compromettre la croissance. Et si c’est vrai, jusqu’à quel point. Les économistes les plus honnêtes vous avoueront qu’en fait ils n’en savent rien. Ils vous diront même qu’en raison de l’affreuse complexité des systèmes fiscaux modernes, ils ne savent même pas quelle part d’impôt les riches paient exactement. Régulièrement, le New York Times publie des articles très richement documentés qui démontrent qu’en réalité les riches paient proportionnellement moins d’impôts que les classes moyennes. Non moins régulièrement, le jour suivant, le Wall Street Journal publie un autre article, tout aussi rigoureusement documenté, qui explique que les Etats-Unis ont en réalité le système fiscal le plus progressif du monde.
Mon propre point de vue est qu’en tout état de cause il est plus important de réduire la taille de l’Etat que de défendre ce que les 1 % les plus riches ont dans la poche. Quelle que soit la répartition du fardeau fiscal, l’essentiel est de couper dans les dépenses. Quel que soit celui qui gagnera les prochaines élections présidentielles (article écrit avant que la réélection de Barack Obama soit acquise – NdT), il devra présenter au pays un programme qui modifie la trajectoire d’évolution de son rapport dette/PIB. Il sera alors plus que jamais essentiel qu’il adopte pour cela la bonne manière de le faire.
- Alesina, Alberto, and Silvia Ardagna (2009), “Large Changes in Fiscal Policy: Taxes Versus Spending”, NBER Working Paper, 15438.
- Alesina, Alberto, Dorian Carloni, and Giampaolo Lecce (2011), “The Electoral Consequences of Large Fiscal Adjustments”, NBER Working Paper, 17655, Decembre 2009.
- Alesina, Alberto, Carlo Favero, and Francesco Giavazzi (2012), “The output effect of fiscal consolidations”, Harvard University.
- Reinhart, Carmen M, and Kenneth S Rogoff (2010), « Growth in a Time of Debt« , American Economic Review, American Economic Association, 100(2), 573-78, Mai 2010.
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