TOUT EST DIT

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jeudi 16 août 2012

Le Président méfiant est-il vraiment le mieux à même de tirer la France de l'ornière de la défiance ?

"François Hollande est d’évidence un homme méfiant. Il s’abrite derrière un programme électoral ambigu et lacunaire pour n’entreprendre que très peu de réformes."  

1 - Respectons les différences

Ne confondez pas. Quand Manuel Valls reconduit des clandestins à la frontière, il ne fait pas de politique du chiffre. Quand il promet de nettoyer les banlieues, ce n’est pas au Kärcher. On mesure toute la différence entre la droite et la gauche.

2 - François Hollande : le président méfiant d’une France défiante

On n’est jamais suffisamment vigilant face aux enfumages de la société de communication. Certains lecteurs m’ont gentiment fait remarquer que j’avais été naïf de croire que la présence de François Hollande dans le top 50 des Français les plus populaires signifiait un quelconque succès, même temporaire, de sa stratégie de dissimulation, d’esquive des difficultés et de lancer de bisous.
En réalité, il faisait partie d’une « short list » proposée par le JDD et il n’y avait donc rien de très étonnant à ce qu’il soit ainsi distingué. Voilà qui explique le faible niveau de satisfaction face à son action révélé par un autre sondage : déjà plus de mécontents que de satisfaits. Dont acte.
Puisqu’au terme d’une période de 100 jours il est d’usage médiatique de dresser les premiers bilans – ce qui est évidemment un peu absurde – nous nous risquerons simplement à une brève synthèse.
Par sa personnalité comme par sa culture politique, François Hollande est d’évidence un homme méfiant. Il s’abrite derrière un programme électoral ambigu et lacunaire pour n’entreprendre que très peu de réformes et ne s’en prendre qu’à quelques cibles commodes : les « très riches », les dirigeants d’entreprises publiques, les propriétaires fonciers, les banques, les compagnies pétrolières. Encore ne vise-t-il ces deux derniers groupes que de manière incantatoire. Il faut désormais ajouter à sa liste - quelle surprise - les Roms, bientôt suivis par les jeunes de tous les quartiers « Nord » de France et de Navarre, suivez mon regard. Le seul risque politique réel qu’il ait pris en 100 jours est la re-fiscalisation des heures supplémentaires et cette mesure lui coûte déjà politiquement. De quoi le rendre plus timoré encore …
Cette extrême prudence pose un vrai problème quand on la met en perspective avec la « société de défiance » qui caractérise la France et a été finement analysée par Pierre Cahuc et Yann Algan dans un livre paru il y a cinq ans. Les Français se méfient les uns des autres, s’en remettent à l’Etat pour gérer les intérêts corporatistes et en viennent rapidement à se défier du gouvernement lui-même qui ne saurait être neutre. Dans cette situation, un président devrait chercher à dénouer par son allant les crispations sociales et économiques, à montrer avec rapidité qu’il y a des gains à bousculer les conservatismes. Or, que voit-on depuis plus de trois mois ? On cadenasse, on contraint, on limite, on réduit, on verrouille. Le président méfiant n’est certes pas la solution pour une France de la défiance.

3 - Europe : le conseil constitutionnel invente la règle de plaqué-or 

La légitimité du Conseil constitutionnel n’étant plus contestée par personne, il est temps pour ce glorieux aréopage d’en profiter pour rendre des décisions déterminées par ses préférences politiques.
Soucieux d’éviter au « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire » l’épreuve cruelle d’un vote du Congrès à la majorité des trois-cinquièmes ou, quelle horreur, la confrontation avec le suffrage universel sous forme de referendum, il a jugé, à la satisfaction au moins apparente de notre modeste président, qu’une loi organique suffisait. En matière de droit constitutionnel, il est d’usage médiatique de dire que la question est technique et complexe pour s’épargner l’analyse. En réalité, les choses ne sont pas si difficiles à comprendre et nos lecteurs nous pardonneront l’épreuve estivale à laquelle nous les convions pour dissiper l’écran de fumée qui sera répandu sur la vie politique française dans les semaines qui viennent.
Le traité en question prévoit deux méthodes alternatives pour incorporer ses stipulations dans le droit français :
1 - soit « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles »
2 - soit au moyen de dispositions « dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon. ».
Pourquoi ces deux possibilités ? D’abord parce que certains pays n’ont pas de constitution, comme la Grande-Bretagne, qui n’a pas signé le traité mais pourrait un jour revoir sa position, sait on jamais. Surtout, parce que la situation politique d’autres Etats leur interdit d’envisager une révision constitutionnelle quelconque, comme en Belgique par exemple. Mais, après tout, si d’autres méthodes existent, comme confier le contrôle du budget à un organisme juridictionnel indépendant capable de décider de coupes dans les dépenses en cas de déficit excessif, pourquoi s’en priver ?

Cette seconde méthode vaut donc bien une proclamation constitutionnelle. En réalité, dans le traité en question, peu importe le flacon, pourvu qu’il y ait la rigueur. Les expressions « dispositions contraignantes et permanentes » et « strict observance tout au long des processus budgétaires » sont conçues pour avoir des portées et des effets équivalents. L’important est que la discipline soit « garantie ».
Pourtant, qu’écrit notre Conseil constitutionnel ? « Dans la seconde branche de l'alternative … le respect des règles … n'est pas garanti par des dispositions « contraignantes » … d'une part, il revient aux États de déterminer, aux fins de respecter leur engagement, les dispositions ayant l'effet imposé par le paragraphe 2  … d'autre part, le traité prévoit que le respect des règles … n'est alors pas garanti dans le droit national au moyen d'une norme d'une autorité supérieure à celle des lois. »
Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, peu effrayé par les tautologies, dès lors que la France n’a pas choisi la règle de vraie contrainte, elle n’a pas à modifier sa constitution. Là où le traité laissait le choix des moyens, pourvu que la fin soit garantie, la juridiction française considère que ce choix modifie la fin.
Là où le sophisme prend son envol, c’est quand il s’agit d’interpréter l’article 8 de ce fameux traité, qui prévoit qu’en cas de déficit excessif, à la suite d'un rapport de la Commission européenne, la Cour de justice de l'Union européenne peut être saisie par une ou plusieurs parties au traité et qu’elle prend alors un arrêt « contraignant à l'égard des parties à la procédure … ; en cas de méconnaissance des prescriptions de la Cour, celle-ci peut encore être saisie par une partie au traité afin de prononcer des sanctions financières contre cet État ».

Bref, une instance où la France n’a pas de droit de veto peut imposer à notre pays des coupes budgétaires claires sous peine de sanctions financières.
Qu’en dit le Conseil constitutionnel ? Il s’appuie sur sa précédente pirouette pour se lancer dans un double salto. « Le paragraphe 2 de l'article 3 n'imposant pas qu'il soit procédé à une révision de la Constitution, les stipulations de l'article 8 n'ont pas pour effet d'habiliter la Cour de justice de l'Union européenne à apprécier, dans ce cadre, la conformité de dispositions de la Constitution aux stipulations du présent traité ; par suite, si la France décide de faire prendre effet aux règles énoncées au paragraphe 1 de l'article 3 du traité selon les modalités fixées à la seconde branche de l'alternative de la première phrase du paragraphe 2 de l'article 3, l'article 8 ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. »
Étrange formule qui permettra le cas échéant à la loi et aux autorités françaises, dès lors que le traité n’aura pas valeur constitutionnelle, de s’abriter derrière cette absence pour plaider que ses obligations ne peuvent s’imposer au législateur national. Celui-ci ne sera en effet confronté qu’à la seconde branche de l’alternative, celle qui n’est pas contraignante.
Quelle conclusion en tirer ? Que la bataille politique qui s’annonce autour de la règle d’or sera une opérette puisqu’il s’agit de plaqué or. La France continuera à faire des moulinets dans l’air en proclamant ses fortes intentions. Mais la récession en cours rendra impossible le respect des règles que l’on fait semblant de s’imposer.
A contrario, tous ceux qui s’inquiètent de la réalité de l’adhésion française à la discipline européenne, qui pourtant justifierait que la Banque centrale européenne rachète des obligations d’Etat, vont pouvoir continuer à se poser des questions. Le Tribunal constitutionnel allemand, s’il examine la décision de son homologue français pour juger de la rigueur de l’engagement de ses partenaires, aura de quoi tousser.
On est ici au cœur du problème européen. Depuis 1957 et jusqu’à l’an dernier, ce projet politique n’a jamais été légitimé par de vrais sacrifices d’un quelconque pays membre. La participation à l’Europe se faisait toujours sous contreparties sonnantes et trébuchantes et contre des avantages : des montagnes d’aide, des taux d’intérêt plus bas, des soutiens politiques. On était dans la recherche permanente de bénéfices individuels et, pour certains pays, notamment ceux du Sud de l’Europe, ces récompenses étaient nombreuses.
L’ambiguïté régnait : les contraintes acceptées en échange de ces prodigalités étaient toujours assouplies puis contournées. Pas un des pays européens concernés n’a vraiment respecté les fameux critères du précédent « Pacte européen de croissance et de stabilité » issu des traités de Maastricht et Amsterdam. L’Union européenne était comme un mariage de conte de fées : rien que le meilleur, jamais le pire.

Aujourd’hui, on entre dans le « dur ». Du fait des résistances allemandes, l’aide est conditionnée à des efforts et des sacrifices réels. Certains pays en acceptent les prémices, avec beaucoup de réticences toutefois, comme la Grèce ou l’Espagne où les vraies coupes dans les budgets publics ne font que commencer. En France, et la décision du Conseil constitutionnel s’inscrit dans cette tradition, on est encore à jouer sur les mots et accepter une règle pourvu qu’on puisse s’en dispenser.
François Hollande peut-ils être satisfait de cette échappatoire ? Elle lui épargne la désagréable et immédiate nécessité de s’appuyer sur la droite pour faire réviser la constitution. Et elle renvoie à plus tard l’heure de vérité sur les efforts nécessaires pour faire vivre l’Union européenne dans la durée. Bref, le président de l’ambiguïté a trouvé au Palais-Royal plus ambigu que lui. Le problème est qu’il lui appartiendra, quand les déficits se creuseront du fait de la situation économique, de sortir de ladite ambiguïté, chose qu’on ne fait qu’à son détriment, comme le lui ont enseigné des maîtres en la matière, du cardinal de Retz à François Mitterrand. Mais, bah, il a gagné du temps et pour lui c’est l’essentiel.

4 - France, capitale Vichy

Au lendemain du discours de Grenoble, réaction sarkozienne un brin démagogique il est vrai à une sombre histoire d’attaque par des Gitans d’une gendarmerie et au saccage de commerces à Saint-Aignan, après qu’un des leurs ait été tué par un Pandore, ce fut un concert d’admonestations à gauche. C’était le retour de la France de Vichy, la fin des libertés publiques, tous les étrangers et les droits de l’homme étaient menacés. Le charter vers la Roumanie avec 300 euros en poche était ni plus ni moins assimilé à un train vers Auschwitz. Par extension, toute expulsion devenait suspecte.
Un des aspects les plus déplaisants de cette rhétorique est la confusion entre la mise en œuvre d’une politique de renvoi d’étrangers en situation irrégulière vers leur pays d’origine et la déportation et la mise à mort de communautés racialement définies.
On ne peut s’empêcher de penser que ceux qui usent et abusent de cette assimilation et se donnent à bon compte des frissons rétrospectifs de résistance à un pouvoir oppresseur ne seraient pas les premiers à s’opposer à une véritable dictature. Leur mauvaise conscience collaborationniste, qui parfois joue à saute-mouton d’une génération à la troisième, a trouvé un exutoire commode.
En tout cas, voilà désormais Manuel Valls menacé des mêmes anathèmes. Il va pourtant falloir que ces esprits généreux se fassent une raison : plus le gouvernement socialiste rencontrera de difficultés économiques, plus il cherchera à flatter les sentiments majoritaires en France sur les sujets de société et moins il sera enclin à l’indulgence vis-à-vis des sans-papiers. Qu’ils réclament donc immédiatement le transfert de notre capitale à Vichy : dans leur monde de fantasmes, elle s’y trouve déjà.

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