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jeudi 8 novembre 2012

Présidentielle : cinq États désigneront le vainqueur

Présidentielle : cinq États désigneront le vainqueur 



Lorsque les annales américaines se pencheront sur les caractéristiques marquantes de cette élection présidentielle, elles souligneront trois points forts : l’inédit bras de fer de minorités (un Noir contre un Mormon), son coût faramineux (2,5 milliards de dollars dépensés par les deux camps) et la remontée foudroyante, au dernier moment, du rival du président sortant. Après dix mois de combats, le plus étonnant, le plus spectaculaire restera ce tour de force inattendu dans une course qui s’annonçait sans éclat.
Depuis cinquante ans, on affirme, on répète que les trois débats télévisés opposant les deux candidats ne sont organisés que pour la galerie, car leur impact sur les votants s’avère pratiquement nul. En gros, c’est vrai. La victoire de John Kennedy contre Richard Nixon en 1960, celle de Ronald Reagan contre Jimmy Carter en 1980 et celle de George Bush contre Al Gore en 2000 ne durent presque rien aux points qu’ils marquèrent pendant les joutes oratoires. Elles furent acquises bien avant, pour d’autres raisons et sur d’autres terrains. Cependant, il arrive qu’une exception se glisse dans une logique imputrescible. C’est le cas cette année avec Mitt Romney. A trois jours du vote, il talonne le président Barack Obama. Il l’inquiète. Il le menace. Si la course s’affiche si serrée, si elle a tourné au suspense, c’est à cause du républicain. Début septembre, Romney était considéré comme battu et traînait dans les sondages avec cinq ou six points de retard. Un mois et demi après, le même Romney empoigne Obama et l’oblige à camper dans la zone où les sondages s’avouent incapables de départager les adversaires. Une remontée fulgurante. Du jamais vu. Tout cela parce que dans le premier débat Romney fut souverain, dans le second accrocheur, dans le troisième courageux. A chaque fois, il prit le meilleur d’un homme abattu, crispé, agressif. La grosse presse refusa de le croire. Dommage, car la carte électorale ne s’explique que par cet événement.
Cette carte est en trois couleurs : bleu pour Obama, rouge pour Romney, gris pour les ultimes champs de bataille. Le système attribue à chaque Etat, selon son importance économique et son poids démographique, un nombre précis de Grands Electeurs selon un vaste éventail allant de la Californie qui en a 55 au Montana qui n’en a que 3. Il en faut 270 pour entrer à la Maison-Blanche. Ce chiffre est le seul qui compte. Les Américains l’appellent Electoral Vote. Dans une colonne différente, mais très en retrait, figurera, au soir du 6 novembre, un autre chiffre appelé Popular Vote, autrement dit, en vrac et sans aucune compartimentation, l’ensemble des choix exprimés par la nation. C’est l’expression du suffrage universel direct selon la formule des pays européens, qui ne joue ici aucun rôle : fédéralisme oblige.
Donc, une carte tricolore. A première vue, le bleu s’impose à gauche sur la bordure Pacifique, à droite sur la façade Atlantique et sur le bord central dans le Midwest. C’est la mosaïque des fiefs d’Obama. Ces fiefs désormais pratiquement intouchables totalisent 217 Grands Electeurs. Ils constituent la base, la fortune démocrate dans cette course. A côté, le rouge semble vouloir s’étaler partout. Il y en a dans les Rocheuses, ces montagnes qui flanquent le désert de l’Ouest. Il y en a dans le Sud profond, cette région qui monte vers les Grands Lacs. Il y en a sur les rives orientales, cette côte qui verrouille l’ancienne Confédération. C’est la peau de léopard de Romney. Cette peau considérée par tous comme inaltérable rassemble 191 Grands Electeurs. Ils représentent le socle, le capital républicain dans ce duel. Enfin, entre le bleu et le rouge, coincés dans des zones inattendues, disposés presque en embuscade, les cinq Etats-clés, les cinq Etats gris qui sont devenus la substantifique moelle de cette interminable épreuve, le modèle réduit des passions exprimées, le microcosme où mijote la victoire.
Ces cinq Etats ont tous leur importance, leurs caractéristiques, leurs mystères. Chacun d’entre eux représente un bloc, une sorte de citadelle qu’Obama ou Romney doit prendre d’assaut pour rafler la totalité des Grands Electeurs de l’Etat en question. Mais les combats apparaissent si serrés – presque du corps à corps politique – que les deux équipes de campagne furent obligées d’alléger leurs quartiers généraux établis dans la capitale de ces Etats afin de se rapprocher du terrain, de plonger dans le local, de « muscler » des antennes au niveau des counties (cantons). On atteint le micro-électoralisme. Sans être totalement nouvelle, cette descente au ras de l’électorat est tout de même assez rare. C’est que certains counties sont tout bleus, d’autres tout rouges alors qu’une troisième catégorie peut être badigeonnée en gris et exiger un traitement spécial parce que les indépendants, les retraités ou les minorités y sont en nombre décisif. Subtile stratégie dont la plus importante cible est la Floride, 29 Grands Electeurs. Le nord du Sunshine State penche plutôt vers les républicains, le sud vers les démocrates. Obama et Romney s’y trouvent à égalité avec 48 % chacun. Le premier pourrait perdre en conservant ses chances ; le second ne peut se le permettre.
Autres joyaux des Etats indécis ? L’Ohio, 18 Grands Electeurs. Obama y réunit 48 % des intentions de vote, Romney 46 %. Compétition acharnée. Le président détient les villes, l’ex-gouverneur les campagnes et les banlieues. Chacun en est à sa quinzième visite. La Virginie, 13 Grands Electeurs. Là aussi, les deux rivaux sont à égalité, 48 % chacun. Romney insiste sur l’emploi dans les bases navales et les mines de charbon, Obama sur sa défense de l’avortement. Le Colorado, 9 Grands Electeurs. Le président n’y devance son challenger que d’un point. Le premier compte sur les conservateurs des stations de ski, le second sur les hispaniques des environs de Denver. Enfin, le New Hampshire, 4 Grands Electeurs. Obama y prend 2 points à Romney, qui espère rattraper son retard dans le sud de cet Etat, voisin du Massachusetts dont il fut gouverneur pendant quatre ans.
Au milieu de ces minutieux calculs, l’ouragan Sandy frappa 27 Etats avec une terrible rage destructrice (63 morts, 55 milliards de dollars de dégâts). Il imposa durant 72 heures un cessez-le-feu électoral qui sépara les deux rivaux un peu étourdis comme le sont deux boxeurs retenus chacun dans son coin par des soigneurs inquiets. Obama se plut à lancer un appel à l’union « devant un drame qui nous frappe tous ». Romney, de son côté, eut le bon goût de ne pas en profiter pour politiser la catastrophe. Bien malin le politologue qui pourrait donner le nom du bénéficiaire de vents ayant soufflé à plus de 150 kilomètres à l’heure. Une fois évanouies, les rafales caribéennes laissèrent très vite la place aux attaques verbales qui reprirent leurs droits. Obama réutilisa ses deux « boulets rouges » favoris : sur ses 20 millions de dollars d’investissements, Romney n’a payé que 14 % d’impôts, moins qu’un salarié qui gagne 50 000 dollars par an. Et sur les 330 millions d’Américains, Romney estime que « 47 % ne l’intéressent pas » puisque, étant tous assistés, ils votent systématiquement pour le pouvoir en place. Deux tirs qui ont dû faire mal au républicain dont la riposte ne passe pas non plus pour inédite : « Obama est le candidat du statu quo. Ce qu’il a fait pendant quatre ans, c’est ce qu’il compte faire encore pendant quatre ans. En pire. Est-ce vraiment ce que vous voulez ? »
L’équipe d’Obama craint que l’impact des trois débats perdus par son champion ne réduise à néant l’image négative de Romney (un affairiste cynique méprisant la classe moyenne) construite à coups de publicité au début de l’été. Elle redoute également que le flou des solutions, les rancœurs partisanes et le chaos de la lutte n’incitent les électeurs à choisir finalement un homme neuf dans un Washington qui aurait bien besoin de changement.
Trois scénarios se dessinent pour le 6 novembre. A l’issue du premier, Obama reste à la Maison-Blanche en raflant l’Ohio et le Colorado. A l’issue du second, c’est Romney qui entre à la Maison-Blanche en empochant l’Ohio, la Floride et la Virginie. A l’issue du troisième scénario, les deux adversaires sont ex æquo avec 269 Grands Electeurs chacun – un de moins qu’il n’en faut pour vaincre. Dans ce cas, Obama et Romney seraient les perdants de la solution de secours : un retour au régime d’assemblée avec un vote de la Chambre des représentants pour désigner l’un des siens comme président. Celui-ci serait forcément républicain puisque la Chambre a une majorité républicaine. Mais, au-delà de ces mises en perspective et de ces schémas en filigrane, deux réflexions s’imposent à quelques heures du vote. D’abord, une question. Pourquoi Romney n’a-t-il pas été capable de profiter davantage du bilan désastreux de son adversaire ? Comment se fait-il qu’il n’ait pu transformer les 16 trillions de dollars de dette, le 1,2 trillion de dollars de déficit, les 23 millions de chômeurs, les 47 millions de bénéficiaires de coupons d’alimentation en autant de tremplins vers la position indéracinable du meneur de la course ? Ensuite, une constatation. Cette élection qui ressemble à beaucoup de celles qui l’ont précédée par la démesure, l’outrance, la brutalité, est en réalité une épreuve sans précédent. Pendant quatre ans, Obama fut moins un président qu’un fossoyeur. Le fossoyeur d’une certaine Amérique, celle de l’initiative individuelle, des libertés fédérées, du risque novateur. Obama a voulu remplacer ces valeurs fondatrices par un étatisme paralysant, une bureaucratie tatillonne, une mentalité d’assistés. Cette élection s’inscrit moins dans une alternance de régime que dans une tentative de changement de système.

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