TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

vendredi 23 novembre 2012

Pourquoi l'exode fiscal n'est pas un mythe

Emmanuel Cotsoyannis, co-fondateur de la start-up Les dîners d'Eloïse, participait le 12 novembre à la table ronde de clôture de la Conférence annuelle des entrepreneurs. Une belle journée organisée dans le grand amphithéâtre de Bercy, avec des discours de Pierre Moscovici et de Fleur Pellerin. Un rendez-vous important pour ces ministres en charge de l'Economie et des PME, soucieux de remettre en confiance les chefs d'entreprise après l'épisode des "pigeons". C'est d'ailleurs bien parti. Le rapport Gallois sur la compétitivité a été loué par la présidente du Medef, Laurence Parisot. Et, miracle, la séquence gouvernementale qui a suivi n'a donné lieu à aucun couac majeur. Ouf.
Rendez-vous deux jours plus tard dans les bureaux du même Emmanuel Cotsoyannis, rue Saint-Fiacre à Paris. On y donne le pot d'adieu d'Hugues Franc, directeur de l'équipe parisienne de Réseau Entreprendre, une association fondée par André Mulliez qui a fait éclore et épaulé des milliers d'entreprises en France depuis 1986. Ancien cadre de Cap Gemini, Hugues Franc est depuis des années un parrain accessible et efficace pour les créateurs d'entreprises de la capitale.
C'est outre-Atlantique qu'il développera Beeleev, un réseau social d'entrepreneurs internationaux. La France? Il a jeté l'éponge: "Les grands corps d'Etat ne comprennent pas la réalité entrepreneuriale." Rideau. Trop d'énarques, trop d'impôts, trop d'instabilité juridique, trop de mépris, trop de réglementations, trop c'est trop. Comme beaucoup d'autres, il quitte le pays.
>> A LIRE Lindsay Owen-Jones, Paul Loup Sulitzer, François de la Villardière... Le témoignage en image de ceux qui ont choisi de quitter la France
Cette fois, il n'y a pas seulement les retraités milliardaires qui partent. Il y a des start-uppers vedettes, des chefs d'entreprise dans la force de l'âge, des cadres supérieurs en activité. "C'est comme un sparadrap qu'on arrache: ça commence petit à petit puis, d'un coup sec, tout vient", constate drôlement Frédéric Quennoz, qui dirige Emile Garcin à Genève: 30% des transactions de cette agence immobilière haut de gamme étaient, en octobre, le fait de Français. Simultanément, les beaux appartements de l'Ouest parisien se vident.
Le déni du gouvernement
Charles-Marie Jottras, président de Féau, n'en revient pas: "Cela fait plus de trente ans que je suis dans le métier et que j'accompagne des gens qui vendent pour quitter la France, jamais je n'ai vu ça." Sachant que la vente de la résidence principale est le point de non-retour, l'heure est grave.
Combien d'exfiltrations de gros contribuables sont-elles en cours? Beaucoup, selon Marc Vaslin, avocat spécialisé aux barreaux de Paris, Genève et Bruxelles, qui officie au cabinet Scotto et traite "un dossier par jour en moyenne". Peu selon Bercy: "Il n'y a pas de mouvement significatif", assure le ministre délégué au Budget, Jérôme Cahuzac, dans Challenges ; "nous n'avons aucun indice d'exil fiscal massif", renchérit le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici dans Le Parisien ; "il n'y a pas de signe d'un quelconque exode", insiste la ministre déléguée aux PME dans Les Echos. Ce déni fait s'étrangler Bernard Monassier, notaire à Paris: "Ils feraient mieux de se taire, je suis tétanisé par de tels propos sans fondements."

Aucune statistique sur le sujet 
Alors, info ou intox? Le gouvernement ne ment pas mais, en fait, il ne sait pas. Car depuis le 1er janvier 2005, les candidats au départ n'ont plus l'obligation d'obtenir un quitus fiscal avant de déménager. Du coup, l'administration a perdu le décompte. La Direction générale des finances publiques effectue bien un suivi des délocalisations des redevables de l'ISF, mais ces chiffres sont parcellaires et remontent à ... 2009. Les sorties nettes d'ISF étaient alors limitées à 466 assujettis. Réputé pour sa sagacité, le fisc français est en fait dans le brouillard. Quand Bernard Arnault, première fortune française, a demandé la nationalité belge, Bercy l'apprend, comme tout le monde, dans la presse!
"Faute de chiffres, le débat reste idéologique", déplore Gilles Carrez, président (UMP) de la commission des Finances de l'Assemblée. C'est pourquoi il essaie d'élaborer un questionnaire pour Bercy, afin de collecter des données plus récentes, comme le nombre d'enfants inscrits ou en attente dans les lycées français de l'étranger, les listes d'immatriculations dans les consulats... "Le mouvement des départs semble s'accélérer, croit savoir Carrez, mais pour le confirmer il faut des données plus récentes. Nous espérons les obtenir avant la fin de l'année."
Bercy veut construire une ligne Maginot fiscale
Abrité derrière sa ligne de communication, le gouvernement s'inquiète. Chez Gide Loyrette Nouel, le plus grand cabinet d'avocats d'affaires français, on confirme que la grande majorité des groupes du CAC 40 a commandé des études pour délocaliser certains hauts revenus, voire tout le comité exécutif, voire le siège social (lire notre article sur le sujet en cliquant ici). On est loin du folklore des "pigeons" qui rêvent de la Silicon Valley et des stars du showbiz coincées à Gstaad.
Mi-octobre, le conseiller en fiscalité de Matignon, Philippe-Emmanuel de Beer, a réuni des avocats spécialisés pour aborder le sujet. Les hauts fonctionnaires de Bercy se mettent à l'oeuvre pour bâtir une ligne Maginot fiscale afin de taper au portefeuille les entreprises et les riches qui passent les frontières. Dès l'élection de François Hollande, le ministère du Budget s'est activé pour appliquer l'Exit Tax votée sous Nicolas Sarkozy mais non entrée en vigueur. Et, à l'occasion du rectificatif budgétaire de fin d'année, il toilettera la législation sur les transferts de filiales ou de sièges, déjà existante mais trop fragile juridiquement.
Dans les quartiers chics de Londres, Genève et Bruxelles, les prix montent
Exit Tax pour particulier ou pour entreprise, le dispositif est prêt pour attraper les émigrés de l'ère Hollande et leur faire rendre gorge de leurs plus-values avant qu'ils ne s'exilent. Pour y arriver, les experts du ministère devront jouer une partie serrée. "La Cour de justice de l'Union européenne n'aime pas trop les dispositifs d'Exit Tax, comme tout ce qui restreint la liberté de circulation, mais en tolère certains, décrypte Laurent Modave, avocat chez Gide Loyrette Nouel. L'administration fiscale française a manifestement regardé de près les régimes étrangers qui avaient survécu aux contentieux et travaille pour rendre ses taxes de sortie difficilement attaquables."
Face à la demande française, le prix du mètre carré grimpe à South Kensington, Cologny ou Uccle, les terres d'asile londonienne, genevoise et bruxelloise. Quelques-uns prennent la route à découvert, beaucoup en catimini, certains se font démasquer. Il s'en trouve heureusement pour... rester. Même s'ils sont malheureux, comme Pierre Kosciusko-Morizet, fondateur de PriceMinister, pour qui "le gouvernement est agressif avec les entrepreneurs et fait fuir ceux qui gagnent de l'argent". Et de finir par un appel aux "pigeons patriotes" : "On n'aime pas son pays pour son gouvernement, on ne quitte pas son pays quand il va mal. Restez! La France a besoin de vous et ça ira mieux plus tard!"

0 commentaires: