De même que Buenos Aires a été forcée à la «pesofication» (retour au peso avec dévaluation et défaut sur la dette), de même Athènes est menacé d'en venir à une «drachmatisation», jeu de mots compris. Les deux pays ont beaucoup de ressemblances: peu fiables, ils ont fait défaut maintes fois dans l'histoire, leur Etat est faible, leur classe politique aussi. Quelles leçons tirer de Buenos Aires?
L'Argentine vit dans les années 1990, comme la Grèce dans les années 2000, au-dessus de ses moyens. Elle a l'illusion d'une prospérité ensoleillée et éternelle. Les gouvernements embauchent des fonctionnaires, les coûts salariaux grimpent, comme les prix. Les comptes internes (déficit public) et externes (balance extérieure) se dégradent. Le choc de la crise des «subprimes» va heurter la Grèce de plein fouet.
L'Argentine est, elle, prise en tenaille par la hausse du dollar, la dévaluation du real brésilien (de 66%!) et la baisse des prix des matières premières. Sa dette ne représente que 50% du PIB (155% en Grèce), mais comme elle est beaucoup exprimée en dollars, les marchés commencent à douter de sa soutenabilité. Dès novembre 2000, les taux d'intérêt augmentent et on assiste à des premiers retraits dans les banques.
En décembre, le gouvernement présente un plan dit «bouclier», qui installe l'austérité et demande aux créditeurs des aménagements de remboursement. La stratégie est de maintenir le PEG (le lien peso-dollar), mais de procéder à une «dévaluation interne» par baisse des salaires et des coûts pour regagner en compétitivité et en exportation; c'est la stratégie actuellement adoptée (imposée) par les pays du Sud européen.
En juillet, le gouvernement resserre la ceinture, baisse les retraites et les rémunérations des fonctionnaires de 13%. Les syndicats de la fonction publique mobilisent. Emeutes, valse des ministres... Des provinces se mettent à imprimer leur propre monnaie pour compenser la rigueur centrale. Les taux d'intérêt grimpent encore. Des élections provinciales sont un désastre pour le pouvoir. Le gouvernement arrache au FMI un chèque de 8 milliards de dollars et renégocie avec les créditeurs privés. Le ministre des Finances, Domingo Cavallo, réussit l'exploit de sécuriser la moitié de la dette. Mais peine perdue.
En décembre, devant la panique des épargnants, il doit bloquer les retraits des banques, l'économie s'assèche. Les manifestations contre l'austérité grossissent, on relèvera 31 morts. Une «rumeur» sur la réticence du FMI à poursuivre met le feu aux poudres. Le gouvernement saute, quatre présidents se succèdent en dix jours.
Le président de la République par intérim, Edouardo Duhalde, doit annoncer l'abandon du PEG. L'Argentine sort de la zone dollar et sa monnaie flotte. Le peso, qui valait 1 dollar, tombe à 25 cents. Le PIB chute encore (-5%), le chômage passe de 18 % à 24 %. L'inflation grimpe à 40% en 2002, les revenus réels des Argentins sont réduits... au tiers! La croissance va revenir dès 2003, mais «ce n'est pas dû à la dévaluation, selon Domingo Cavallo. La clef est la remontée des cours des matières premières».
Quelles leçons tirer? L'austérité ne fonctionne pas lorsqu'un pays est dans une récession. Elle a toutes les chances de l'aggraver. La Grèce ne peut pas s'en sortir sans retrouver de la croissance. Mais comment? Athènes est dans une situation bien pire que Buenos Aires. Sa dette est trois fois plus lourde en proportion du PIB. Une dévaluation ne peut fonctionner que si le pays dispose d'une capacité productive. Or, l'Argentine a une industrie, c'est un grand pays agricole, mais que peut produire la Grèce? Sur quelle économie peut-elle repartir?
D'où la double conclusion. Si les Grecs décident de quitter l'euro, leur chute de revenu sera très forte (de deux tiers pour les Argentins) et pour longtemps (à cause du manque de base productive). Ils devront effacer leur dette, aux frais de l'Europe. Mais, de l'autre côté, s'ils restent, l'Europe paiera aussi, elle devra maintenir le pays sous perfusion pour ranimer d'une façon ou d'une autre la croissance.
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