La Grèce est mon pays d'origine. Je l'ai connue à 30 ans, et j'en
suis tombé amoureux. Mes deux parents étaient grecs. Ils vivaient à
Alexandrie, ville grecque, fondée par Alexandre le Grand. Alexandrie
abritait aussi une école de philosophie qui en faisait la rivale
d'Athènes. Mes parents étaient des fils d'immigrés. Mon grand-père
paternel était tailleur, il confectionnait des gilets, des pièces
uniques. Il a trouvé l'Égypte accueillante, il s'y est donc installé.
Mon grand-père maternel, resté en Grèce, a subi des persécutions qui
l'ont contraint à s'exiler, lui aussi.
J'ai attendu l'âge de 30 ans pour me rendre en Grèce. Je ne
souhaitais pas faire mon service militaire auquel j'étais astreint si
j'y allais. Chaque fois que je renouvelais mon passeport au consulat de
Grèce, on me demandait "Et votre service? C'est pour bientôt? Quand vous
rendrez-vous en Grèce?" Je leur répondais: "Envoyez-moi une demande
officielle, j'y répondrai". Mais, je n'ai jamais rien reçu. À
l'ambassade parisienne, la secrétaire me répétait: "Méfie-toi, si tu vas
en Grèce, tu risques de te faire attraper..."
Après toutes ces mises en garde, j'ai fini par mettre un pied en
Grèce, mais à reculons, même si j'avais passé l'âge du service. Et
finalement j'ai fait un voyage merveilleux qui jusqu'à aujourd'hui me
laisse des traces affectives très fortes.
La Grèce, je ne peux pas en parler avec une grande rigueur politique.
Aujourd'hui, quand mes amis m'appellent pour me raconter leur
situation, mon cœur se serre. Ce ne sont pas les plus pauvres, mais la
crise a chamboulé tous leurs projets. Ils font partie de la bourgeoisie,
ils ont fait des études, tout comme leurs enfants. Pourtant certains
ont dû s'expatrier pour échapper à l'ouragan de la crise. Ceux qui sont
restés et que l'on pensait à l'abri de tout commencent à connaître la
misère.
Bien sûr, les plus riches, les grosses fortunes, les armateurs dont les bateaux battent pavillon maltais, s'en sortent toujours.
Ce que je vais dire maintenant n'est pas politiquement correct, mais à
l'heure où la Grèce entrait dans l'Europe, les Grecs ont lentement
glissé vers une caricature du modèle européen qu'ils enviaient, ouvrant
moult boîtes et restaurants ostensiblement chics. Ils avaient un
complexe, celui de croire que chez eux, c'était le tiers-monde et qu'il
fallait faire aussi bien que les pays nantis. Ils auraient mieux fait de
se réapproprier le mot "Europe" et de recréer un nouveau modèle, à leur
sauce, plus enraciné dans leur culture. Après tout, l'Europe est un mot
grec, qui signifie "celle qui voit bien".
Aujourd'hui, je suis heureux de voir que les Grecs sont très combatifs.
Ils participent aux manifestations, signent des pétitions, lisent des
déclarations. J'ai su que mon ami Theodorakis me disait que les Grecs
essayaient d'imposer la voix du peuple à leur gouvernement, pour ne pas donner raison aux intérêts financiers de la communauté européenne.
J'espère que la Grèce va foutre le bordel. Ma sympathie va à cette
attitude de contestation parce que ce n'est pas le peuple qui a créé la
crise. Or, on lui fait en porter le poids. Finalement, c'est lui qui a
le sens civique le plus développé, pas ceux qui veulent se conformer aux
directives bruxelloises. Que le gouvernement grec ouvre grand ses yeux
et ses oreilles.
Les Grecs sont très politisés.
Avant la dictature des colonels, tout était sujet à discussion; ils
commentaient à tour de bras les événements politiques. À l'époque,
j'admirais beaucoup le fait que les Grecs ne discutaient pas l'un contre
l'autre, mais l'un avec l'autre. Comme s'ils avaient passé une sorte de
pacte tacite, pour le bien commun.
Lorsque les Colonels sont arrivés au pouvoir, ma conscience politique
s'est réveillée. Avant, je ne faisais que des chansons d'amour ou
d'humour. Depuis, je n'ai eu de cesse de donner une tournure engagée à
mes textes.
mardi 17 avril 2012
J'espère que la Grèce va foutre le bordel!
Il est vrai que Moustaki n'a rien a craindre, il vit en France !!!
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