TOUT EST DIT

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mardi 17 avril 2012

J'espère que la Grèce va foutre le bordel!

La Grèce est mon pays d'origine. Je l'ai connue à 30 ans, et j'en suis tombé amoureux. Mes deux parents étaient grecs. Ils vivaient à Alexandrie, ville grecque, fondée par Alexandre le Grand. Alexandrie abritait aussi une école de philosophie qui en faisait la rivale d'Athènes. Mes parents étaient des fils d'immigrés. Mon grand-père paternel était tailleur, il confectionnait des gilets, des pièces uniques. Il a trouvé l'Égypte accueillante, il s'y est donc installé. Mon grand-père maternel, resté en Grèce, a subi des persécutions qui l'ont contraint à s'exiler, lui aussi.
J'ai attendu l'âge de 30 ans pour me rendre en Grèce. Je ne souhaitais pas faire mon service militaire auquel j'étais astreint si j'y allais. Chaque fois que je renouvelais mon passeport au consulat de Grèce, on me demandait "Et votre service? C'est pour bientôt? Quand vous rendrez-vous en Grèce?" Je leur répondais: "Envoyez-moi une demande officielle, j'y répondrai". Mais, je n'ai jamais rien reçu. À l'ambassade parisienne, la secrétaire me répétait: "Méfie-toi, si tu vas en Grèce, tu risques de te faire attraper..."
Après toutes ces mises en garde, j'ai fini par mettre un pied en Grèce, mais à reculons, même si j'avais passé l'âge du service. Et finalement j'ai fait un voyage merveilleux qui jusqu'à aujourd'hui me laisse des traces affectives très fortes.
La Grèce, je ne peux pas en parler avec une grande rigueur politique. Aujourd'hui, quand mes amis m'appellent pour me raconter leur situation, mon cœur se serre. Ce ne sont pas les plus pauvres, mais la crise a chamboulé tous leurs projets. Ils font partie de la bourgeoisie, ils ont fait des études, tout comme leurs enfants. Pourtant certains ont dû s'expatrier pour échapper à l'ouragan de la crise. Ceux qui sont restés et que l'on pensait à l'abri de tout commencent à connaître la misère.
Bien sûr, les plus riches, les grosses fortunes, les armateurs dont les bateaux battent pavillon maltais, s'en sortent toujours.
Ce que je vais dire maintenant n'est pas politiquement correct, mais à l'heure où la Grèce entrait dans l'Europe, les Grecs ont lentement glissé vers une caricature du modèle européen qu'ils enviaient, ouvrant moult boîtes et restaurants ostensiblement chics. Ils avaient un complexe, celui de croire que chez eux, c'était le tiers-monde et qu'il fallait faire aussi bien que les pays nantis. Ils auraient mieux fait de se réapproprier le mot "Europe" et de recréer un nouveau modèle, à leur sauce, plus enraciné dans leur culture. Après tout, l'Europe est un mot grec, qui signifie "celle qui voit bien".
Aujourd'hui, je suis heureux de voir que les Grecs sont très combatifs. Ils participent aux manifestations, signent des pétitions, lisent des déclarations. J'ai su que mon ami Theodorakis me disait que les Grecs essayaient d'imposer la voix du peuple à leur gouvernement, pour ne pas donner raison aux intérêts financiers de la communauté européenne.
J'espère que la Grèce va foutre le bordel. Ma sympathie va à cette attitude de contestation parce que ce n'est pas le peuple qui a créé la crise. Or, on lui fait en porter le poids. Finalement, c'est lui qui a le sens civique le plus développé, pas ceux qui veulent se conformer aux directives bruxelloises. Que le gouvernement grec ouvre grand ses yeux et ses oreilles.
Les Grecs sont très politisés. Avant la dictature des colonels, tout était sujet à discussion; ils commentaient à tour de bras les événements politiques. À l'époque, j'admirais beaucoup le fait que les Grecs ne discutaient pas l'un contre l'autre, mais l'un avec l'autre. Comme s'ils avaient passé une sorte de pacte tacite, pour le bien commun.
Lorsque les Colonels sont arrivés au pouvoir, ma conscience politique s'est réveillée. Avant, je ne faisais que des chansons d'amour ou d'humour. Depuis, je n'ai eu de cesse de donner une tournure engagée à mes textes.

Il est vrai que Moustaki n'a rien a craindre, il vit en France !!!

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